Il y eut d’abord une percée folklorique, sur le ton du reportage. Cornemuses, tartans, whisky et kilts. Et la question que tout le monde se pose: qu’y a-t-il sous le kilt ? Si la réponse tombe sous le sens, dans un pays où la brise de septembre fait déjà chuter le thermomètre à 8°, le regard obstiné de la presse européenne laisse pourtant un grand vide, à l’image de ses articles creux que l’ironie vient combler pour secourir la nudité de leurs auteurs. Et quelques jugements imprudents, lorsque l’info ne suffit pas à exprimer le désarroi des journalistes. Ainsi, dans le Nouvel Observateur du 4 septembre, l’envoyé spécial en écosse finit-il par s’inquiéter : “Et si le référendum écossais servait de modèle au reste de l’Europe, où, de la Catalogne en passant par le Pays Basque et la Flandre, un cocktail d’humiliations mal cicatrisées, de projections économiques à courte vue et de futur idéalisé risque de déclencher une bombe à fragmentation ?” Un engin explosif dont la seule évocation fait déjà mal aux oreilles, d’autant, et c’est singulier, que sur la notice ne figure aucune explication sur ces “humiliations mal cicatrisées” ni sur ces “projections économiques à courte vue” et qu’on ne comprend décidément pas en quoi le futur de ces peuples est “idéalisé”. Mais la prophétie continue: “après le divorce, l’émiettement?” Nous y voilà. Le journaliste ne met pas d’eau dans son “cocktail”.
Don’t panic
Trois jours plus tard, un sondage donne pour la première fois gagnants les partisans de l’indépendance. Dans les rédactions, on range les whiskies en vitesse, on retourne les photos des Highlands et on habille sérieusement les Ecossais pour l’hiver. Les soldats britanniques sont déjà en place qui, sur l’air du “don’t panic”, font naturellement paniquer tous les médias européens. Une vraie boucherie. La charge est si féroce qu’un journaliste finit par s’interroger dans The guardian, fustigeant au passage son propre média et constatant “qu’il n’y a quasiment aucun journal, local, régional ou national, anglais ou écossais, qui soit en faveur de l’indépendance, à l’exception du Sunday Herald”. Pour Georges Monbiot, la couverture médiatique du référendum montre “toutes les pathologies de la corporation”. Il s’agit, selon lui, d’un mépris de la “classe dominante” pour le petit peuple écossais. Il faut dire que les Ecossais sont accusés d’être “dépendants de l’assistance publique”, adeptes de “la culture des allocs à gogo”, traités “d’enfants pourris gâtés, égoïstes” qui “ont l’impression que ce n’est pas à eux de payer des impôts”. Dans ce déferlement, le premier ministre cossais Alex Salmond est comparé à Robert Mugabe dans le Daily Telegraph et la menace de l’indépendance est devenue celle du nazisme d’Hitler dans le Daily Mail. Mais la plupart des journaux d’Europe s’accordent à envoyer une première salve économique. La livre sterling s’effondre, fait-on mine de s’inquiéter, sans tenir compte du principe économique enfantin qui va la faire remonter spectaculairement. Et la coalition se met à penser tout haut que l’Ecosse ne pourra survivre que très bas. Plus grave, le spectre de la “balkanisation de l’ensemble de l’Europe” est brandi, comme un réflexe, par toute la presse européenne, depuis Stockholm où le journal Aftonbladet enrage que cela fasse rire Vladimir Poutine, jusqu’à Madrid, évidemment, où l’heure est solennelle sur la Une de El Mundo, puisque le gouvernement espagnol y est investi du “devoir” de “freiner tous les défis souverainistes”.
Leçon de démocratie
Les journaux espagnols déploient, sans surprise, la légion Condor sur ce terrain qui sert déjà d’entraînement à la bataille de Catalogne. Mais Glasgow n’est pas Barcelone, préviennent les journaux madrilènes, dès que la victoire semble s’échapper. Et l’Espagne n’est pas l’Angleterre, qui favorise le référendum écossais dans un souci démocratique exemplaire. C’est là que le bât blesse pour les journaux français qui saluent unanimement cette formidable leçon de démocratie et semblent hésiter à mettre des coups sous la ceinture devant un tel arbitrage. Car rien n’est vraiment simple. Dans une belle cacophonie, la piste économique s’effondre. Les écossais pourraient finalement s’en tirer. Mais “à Bruxelles aussi, l’inquiétude gagne” prévient Le Monde en reprenant la litanie de la Balkanisation. “Le oui serait un encouragement aux Basques et aux Catalans espagnols, bref à toutes les minorités qui, au sein de l’Union européenne, veulent accéder à l’indépendance” ajoute le quotidien français. Et d’en conclure : “Au Royaume-Uni comme en Europe, le oui serait une régression”. Mais là encore, la “régression” n’est pas expliquée et l’Europe en est même gênée. Car les unionistes anglais sont aussi anti-union européenne quand les partisans du oui écossais restent fervents européens. A Bruxelles, on finit par danser sur les deux pieds. Trop tard, les poncifs sur le “repli identitaire”, la “fermeture”, l’“égoïsme d’une région riche” sont déjà dans toutes les langues d’Europe.
Storytelling
La parade est vite trouvée, autour d’un authentique storytelling digne des plus belles tragédies. Amour, haine, pétrole, jeunesse et sagesse. La comédie peut commencer et le mauvais rôle est d’abord tenu par celui qui demande le “divorce”, terme incessamment rabâché. Après les menaces, vient la morale. Dans le rôle du grand-père de la mariée, François Hollande tente de rappeler à l’ordre le vilain mari : “Si le projet européen se dilue, la voie est ouverte […] aux égoïsmes, aux populismes, aux séparatismes”. Maintenant qu’on sait qu’il s’en sortira financièrement, le voilà au passage traité d’égoïste. Un genre de chantage affectif auquel les médias s’essayent, comme s’ils avaient participé à la noce il y a plus de trois cents ans. “Ne déchirez pas notre famille” implore le premier ministre britannique, David Cameron, avec ce regret dans la voix des bons repas de famille. A la même table, la vieille-tante-quipique s’épanche dans The Spectator pour défendre encore “l’union entre nations la plus heureuse de l’histoire de l’humanité”. Le vieux cousin qu’il ne fallait pas inviter explique quant à lui dans le Monde qu’“il n’est pas sûr que cela soit suffisant pour enrayer le mélange complexe de sentiments qui explique la montée du tropisme indépendantiste en Ecosse.” Un “mélange complexe de sentiments”, en journalisme, ce n’est jamais la forme la plus heureuse pour “expliquer” un état, même si, en l’occurrence, il est en ébauche. Libération précise qu’il s’agit de “rêves romantiques”. Ce cochon d’Ecossais a dû se trouver une femme plus jeune et ce n’est pas la Une du Mirror, plantant la reine implorante en vieille mariée, qui va le faire revenir. Sauf si dans le rôle du tonton blagueur, France Inter a raison de “parier que les indépendants vont rentrer dans le rang”. Il n’y a bien que les langues sans Etat pour avoir un brin d’empathie pour le mari volage, à l’image de Berria qui, le lendemain du vote, encourageait les perdants à attendre la prochaine occasion. “Hurrengo aukeraren zain”. La bataille de Catalogne peut commencer. Et les images superbes des Highlands ont ressurgi en Unes.