L’allégorie de l’étoile de mer

RénionAtherbeaJean-Daniel Elichiry vient de rendre son tablier de directeur général de l’association Atherbea —dont on se demande ce qu’un “h” vient faire dans cette appellation— et dans laquelle il a officié de 2002 à 2019 (1). Jeune, il débute sa vie professionnelle comme éducateur spécialisé dans un travail de rue auprès de toxicomanes durant une dizaine d’années. Puis, il devient directeur adjoint d’un Institut Médico Pédagogique en Béarn. Inspecteur quelque temps à l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) des Pyrnéeés-Atlantiques, il enjambe le nouveau millénaire en devenant formateur Consultant à l’Institut du Travail Social à Pau. En 2002, il a la bonne idée d’accepter de rejoindre les Manex où il oeuvra sans compter pour le respect des personnes les plus vulnérables. A l’occasion de son départ à la retraite à la mi-décembre 2019, il a commis un discours de haute volée, tout en bilan impitoyable d’une politique sociale de plus en plus violente et tout en n’oubliant pas son légendaire sens de l’humour.

Extraits.

“En 2002, débute ici pour moi, une aventure professionnelle au sein de l’association Atherbea que j’ai vécue jusqu’à ce jour avec passion. J’ai évolué dans un système gigogne (ou en poupée russe) par un tandem formé avec mes deux présidents successifs : Louis Seguin et Olivier Picot (…).

Dans ce système gigogne, il y a les membres du Conseil d’administration. Nous avons éprouvé dès les années 2000, dans notre secteur, les effets du changement de climat à l’égard des pauvres, comme métaphore des sources de l’autre changement climatique actuel : surconsommation, course à la croissance, progression des inégalités. 9,3 millions de français (10,7% de la population en 2018) vivent en dessous du seuil de pauvreté (fixé à 1.015 € mensuel).

Nous avons toujours veillé, ensemble, à maintenir l’équilibre entre le versant politique animé par le président et incarné par le Conseil d’administration et le versant opérationnel vivifié par les professionnels. Qu’il me soit permis de marquer ici en toute simplicité et sincérité absolue, tout le respect que j’éprouve à l’égard des professionnels (…) Ils s’exposent à accueillir la souffrance, la violence, la folie, la mort aussi, croisées au quotidien. (…) Nous sommes tous conscients que toute organisation tend à adopter les symptômes des personnes qu’elle accompagne… D’où l’importance du travail en équipe (passer d’un tas à un tout, nous dit Régis Debray) et de cadres de direction, sachant protéger, contenir et promouvoir leurs collaborateurs (…) Ainsi que le clamait Francis Blanche : “il vaut mieux viser la perfection et la manquer que viser la médiocrité et l’atteindre !” Quelle richesse, diversité et créativité dans le partenariat aujourd’hui en Pays Basque ! La coopération entre professionnels de terrain oeuvrant de concert à solutionner des situations trop complexes pour un seul type de réponse, les partenariats (institutionnels) structurés pour les besoins du territoire, les rapprochements entre associations pratiquant là aussi la coopération fructueuse plutôt que la concurrence stérile se développent à grand pas.

Nos associations de solidarité se présentent donc sur deux registres : comme entreprises de service en action sociale et comme corps intermédiaires. (…) Les corps intermédiaires constituent les contre-pouvoirs indispensables à toute vie démocratique. Le projet d’une association de solidarité (ou projet associatif) ne peut s’exempter de se concevoir comme un projet politique de transformation sociale sur un territoire. Il y a donc là une dimension politique et un versant militant. Attention à ne pas traiter nos associations de solidarité par un somnifère institutionnel : cela permet certes d’endormir les professionnels et les bénévoles mais en produisant un sommeil… sans rêves ! Or les rêves sont les éloges silencieux de la pensée ! (…) Penser et pas seulement réaliser, exécuter, sinon c’est le sens même du travail que l’on sacrifie ! (…) La violence du contexte actuel (…) produit un basculement de la réflexion au réflexe, de la maturation dans le temps à la saturation du temps.

Cette violence n’est pas du côté que l’on croit parfois : les personnes désocialisées. Elle est plutôt du côté des politiques sociales. C’est là qu’intervient l’allégorie de l’étoile de mer : ses bras perdus se régénèrent et repoussent. Par nécessité plus que par hasard, à Atherbea, nous avons adopté la culture de “cellules progénitrices”. Il s’agit, en biologie animale, de cellules souches spécialisées dans la régénération ou de cellules déjà différenciées ayant la capacité de se re-spécialiser. Ces cellules, ce sont les projets que nous veillons à “cultiver au long cours” dans la perspective de les voir, peut-être, advenir un jour, en complément d’actions existantes ou pour se substituer à des actions dont le financement cesse. Nous anticipons résolument les évolutions du contexte, le bouleversement des politiques sociales afin d’éviter d’avoir et toujours à “subir” la maltraitance faite aux plus fragiles (…) Il nous faut aujourd’hui prendre en compte de nouveaux paradigmes dans l’action sociale: complexité, imprévisibilité, prise de risques, adaptation continue, coopération, citoyenneté, parcours (…)

Le travail social a un coût… mais il n’a pas de prix ! Sinon on bascule dans le culte du changement qui imprègne notre société pré-adolescente et cultive la pathologie de la réforme alliée à la pathologie du chiffre (…)

Deux phénomènes se révèlent en ce moment:
• la résurgence de la théorie du ruissellement, plus les riches s’enrichissent et plus les pauvres bénéficieront de cette manne. Mais c’est confondre la fontaine à Champagne et le ruissellement. En fait, plus les riches s’enrichissent et plus les pauvres ramasseront de miettes. Mais les miettes, c’est pour les pigeons, pas pour les hommes. Ce à quoi Pierre Desproges pouvait rétorquer: “les riches forment une grande famille, un peu fermée certes. Mais les pauvres, pour peu qu’on les y pousse, ne demandent pas mieux que d’en faire partie”.
• la distinction (implicite) entre les bons et les “mauvais” pauvres : les migrants et les hommes seuls sont revêtus prestement de l’habit des seconds. Car face à l’accroissement du nombre des pauvres, face à la pénurie de places, un critère de distinction apparait : la vulnérabilité. La pauvreté est une situation qui doit rester transitoire et s’appréhender comme un manteau d’Arlequin qui doit être rapiécé, domaine par domaine, quelles que soient les situations : accès aux droits, logement, santé, travail, culture, lien social, parentalité- filiation (…)

Et n’oubliez pas : Gutxika, gutxika, asko egiten da (Petit à petit, on fait beaucoup).”

Jean-Daniel ELICHIRY

(1) ATHERBEA, dont le siège flirte entre Anglet et Bayonne, est gestionnaire de Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale : Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile, Lits Halte Soins Santé, Equipe Mobile, SIAO, Accueils de jour, Hôtel social, Centre d’hébergement d’Urgence, Lieu d’accueil, d’écoute et service de logements pour femmes victimes de violences, Service de Soutien à la Parentalité, Ateliers et Chantiers d’Insertion, Prévention Spécialisée (Educateurs de rue).

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One thought on “L’allégorie de l’étoile de mer

  1. Le H est là parce qu’il était beaucoup plus utilisé qu’aujourd’hui avant l’unification orthographique de l’euskara. Heuskara écrivait Brenard Detxepare et en prêtant l’oreille vous entendrez la légère prononciation de ce H dans la bouche des euskaldun zahar pour nommer leur langue et dans une foule d’autres mots très courants. La lecture du dictionnaire de Lhande est à cet égard édifiante. Sous la pression des Gipuzkoans qui l’avaient supprimé dans leur dialecte, l’usage du H a été largement sabré par Euskaltzaindia. L’affaire fit l’objet d’une querelle homérique, d’éminents euskaltzale n’hésitant pas à écrire dans un pamphlet que le H était marxiste…. La gauche euskaltzale le défendait ! Alors pourquoi pas ne pas le remettre à l’honneur en 2020 ?
    Quant au reste de l’article, avant de tresser une couronne de lauriers, J. M. Abadie ferait mieux de se renseigner auprès d’autres sources que les seules sources officielles. La pluralité des infos donnerait une approche plus nuancée voire bien différente des choses.

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