Il y a quarante ans, le 20 novembre 1975, mourait Franco. Le Pays Basque et l’Espagne sortaient d’un cauchemar, d’une dictature militaro-chrétienne fondée sur une effroyable guerre civile.
Bien que porté sur les fonds baptismaux par Hitler et Mussolini, Franco évita d’entrer dans la guerre à leur côté au prix d’une glaciation sociétale. Le PNV, alors unique porteur de l’abertzalisme, vaincu militairement en 1937 à Santoña, anima un temps une résistance intérieure jusqu’aux grandes grèves de 1949 et vécut en exil dans l’attente de la mort du dictateur.
Une partie de sa jeunesse, n’acceptant pas ce repliement, organisa le seul dialogue possible dans une dictature: la lutte armée d’ETA. Elle fut déterminante dans la rupture de l’héritage franquiste par l’élimination physique, le 20 décembre 1973, dans une rue de Madrid, de celui désigné par Franco pour lui succéder, l’amiral Carrero Blanco.
ETA évita ainsi le précédent portugais de prolongation de six années par Marcelo Gaetano de trente-six ans de pouvoir absolu de Salazar.
Tout portait à croire, dans un pays de tant de haine et de crimes accumulés, que la transition soit dramatique. Le roi que Franco avait adoubé sans royaume, au détriment de son père, le postulant légitime vivant, avait bien triste mine. Il fut cependant l’alternative emportant un consensus que l’on croyait impossible. Ce pays sans tradition ni culture démocratique redoutait une libération à l’image de celle de 1944/45 en France. La passation de l’Etat français de Pétain au gouvernement provisoire de De Gaulle fut une vaste épuration avec ses règlements de comptes, ses embastillements, ses procès sommaires.
A Madrid, le communiste historique Santiago Carillo et le PSOE de Felipe Gonzalez fraîchement installé par un congrès à Suresnes, organisent le dialogue avec la frange la plus civilisée du régime sortant, puis avec les hommes mis au pouvoir par Franco lui-même. Il en sort un compromis historique et pacifique où la gauche, jusqu’ici clandestine, renonce à la république
et son drapeau pour qui beaucoup étaient morts en 36, en échange d’une amnistie générale, crimes franquistes compris, et l’organisation d’élections municipales, constitutionnelles, puis générales, qui la verra prendre le gouvernement en 1982.
Depuis, l’Espagne est entrée dans l’Europe démocratique dont elle est un partenaire de même nature que tous les autres.
Une particularité cependant. L’Alianza Popular, devenu l’actuel Partido Popular de Mariano Rajoy, est marqué du sceau franquiste de son fondateur, l’ancien ministre de l’Intérieur de Franco, Manuel Fraga Iribarne. A ce titre, elle incarne aujourd’hui l’ensemble des forces de droite et explique, exception en Europe, l’absence d’une extrême droite autonome.
Tout ce bel exercice de maturité politique s’est cependant accompli au détriment des nations captives de la péninsule. L’exercice du droit à l’autodétermination de ces peuples prévu dans les programme élaborés en exil par les socialistes et les communistes fut sacrifié sur l’autel de la réconciliation espagnole.
Les acquis catalans et basques obtenus sous la république furent tenus d’être réaffirmés sur le terrain, non sans dévoiement des règles du jeu. Ainsi, il fallut aux Basques voter par référendum propre pour le statut d’autonomie de Gernika dans les trois provinces, laissant la Navarre qui obtiendra, sans vote, une autonomie séparée.
Ne voulant pas donner l’impression de régimes singuliers aux Catalans, aux Galiciens et aux Basques, on banalisa les système accordant, sans vote, l’autonomie à toutes les provinces espagnoles qui n’avaient pourtant rien demandé.
Cahin-caha, cette Espagne post-franquiste s’est confortée, a réalisé, sans à-coup, plusieurs alternances politiques, a changé de Roi, a même été un temps un modèle de développement avant de sombrer dans la crise et la corruption. Bref, la normalité…
Reste sa contradiction existentielle que la transition franquiste a habilement mise sous le tapis.
La Catalogne est en voie de la faire éclater.
L’étatisation est un processus qui ne cesse de s’écrire. Tous contradictoires, les états peuvent tout juste prétendre à l’amélioration. Ce que nous appelons, faute de mieux, la démocratisation, n’est que la poursuite de ce processus qui menace à tout moment de laisser éclore un nouveau paradoxe, une N-ième contradiction, ou un autre éclatement.
Si l’éclatement catalan se produit, où s’arrêtera sa fragmentation? Franchira-t-elle les Pyrénées? Verra-t-on la Catalogne française s’émanciper de l’hexagone? Je ne crois pas. Dans son sillage, si la Catalogne conquiert son indépendance, où s’arrêtera la fragmentation de l’Espagne? Que deviendra le processus qui aurait pu mener l’Espagne vers la sortie de Monarchie? En obtenant son indépendance, la Catalogne quitte la partie, offrant quelques années de répit à la Monarchie. À moins que l’émergence des nouvelles forces politiques espagnoles viennent accélérer le processus démocratique. Auquel cas, c’est aussi l’enjeu de Podemos, si disparaissait le post-franquisme monarchique, l’indépendantisme ne deviendrait-il pas caduque?
Si la Catalogne et le Pays Basque quittent le “projet politique” espagnol, ce sont les régions les plus prospères d’Espagne qui prétendront pouvoir voler de leurs propres ailes. Quand à Ceuta, Melilla, l’Estremadure, ou la Mancha de Don Quixote, eh bien leur resterait la soupe aux cailloux. Cependant, resteraient-ils prospères longtemps, le Pays Basque et la Catalogne, si, croyant faire éclater le post franquisme, ils faisaient éclater la branche sur laquelle ils sont assis?