Le 24 avril dernier, le monde a commémoré le centenaire du premier génocide du XXe siècle. Entre 1915 et 1918, 1,5 million d’Arméniens sur les deux millions que ce peuple comptait alors, hommes, femmes, enfants, ont été massacrés par le régime des Jeunes-Turcs à la tête d’un empire ottoman en plein déclin après avoir perdu sa domination sur les Balkans, l’Afrique du Nord et l’Egypte.
A ces massacres s’ajoutent 250.000 chrétiens d’Orient (Assyro-Chaldéens, Syriaques). Il s’agit bien d’un génocide, bien que nié par la Turquie d’aujourd’hui, car il découle d’un vaste plan d’extermination, arrêté et planifié entre le 20 et 25 mars 1915, après le putsch du parti des Jeunes-Turcs réalisé 7 ans après leur naissance. La prise de pouvoir des Jeunes-Turcs suscite un immense espoir dans tout l’empire Ottoman à dominante musulmane, notamment chez les Arméniens chrétiens, car ils s’inspiraient des idéaux de la république française. Mais au nom de la modernité, ils construisent un Etat jacobin uniformisateur, réprimant les peuples différents du modèle culturel central turc. Or comme l’empire voisin Austro-Hongrois, l’empire Ottoman était constitué d’une multitude de peuples aux langues et religions diverses.
Dès 1909, la répression s’abat sur les Arméniens. Le bilan est effrayant: 20 à 30.000 morts. Le sort tragique de ce peuple martyr s’accomplit dans l’indifférence quasi générale de l’Europe. Rares sont ceux qui, comme Jean Jaurès apporte la force de son verbe à la Chambre des députés, s’émeuvent. Enhardis par le silence des bonnes consciences et profitant des désordres mondiaux de la grande guerre 14-18, où la Turquie est alliée à l’Allemagne et combat le voisin russe, les Jeunes-Turcs mettent à exécution leur plan génocidaire.
Le 24 avril 1915, arrestation et élimination de milliers d’intellectuels arméniens à Constantinople. En avril, 35.000 Arméniens sont déportés et les mois suivants la cadence augmente: 181.408 en mai, 255.499 en juin, 321.150 en juillet, 276.500 en août. Cette première phase du génocide s’arrête en octobre avec les convois provenant de Cilicie et de la Cappadoce. Ce sont 1,2 million d’Arméniens qui sont envoyés de force vers les déserts de Syrie et de Mésopotamie. Dans son livre bleu, l’historien britannique Arnold Toynbee, raconte : “Ils étaient entassés dans des wagons à bestiaux, souvent répugnants et toujours bondés, et leur voyage était infiniment lent car la ligne était congestionnée par leurs nombreux convois et les transports de troupes ottomanes”. Cela nous renvoie aux récits de la shoah planifiée par les nazis. Les hommes sont séparés de leur famille, souvent liquidés sur place. Les femmes et les enfants sont voués à l’enfer des longues marches forcées vers des camps de la mort à Alep et Mossoul. Seuls 400.000 sont arrivés à destination.
La deuxième phase du génocide est tout aussi cruelle. Que faire des 700.000 déportés massés en Syrie? Alors que les troupes russes prennent la ville-garnison d’Erzurum le 22 février 1916, le gouvernement turc ordonne la liquidation de tous les déportés. Dès les premiers massacres, le 24 mai 1915, la Triple Entente (France, Angleterre, Russie) met en garde les autorités turques: “Elles tiendront pour personnellement responsables ceux qui auront ordonné ces crimes contre l’humanité et la civilisation”.
La grande guerre finie, la Turquie vaincue et les Jeunes-Turcs chassés du pouvoir, le 27 avril 1919, dans une Constantinople sous contrôle des Alliés, s’ouvre le procès de ces crimes. Mais leurs commanditaires et exécutants ne sont pas dans le box des accusés. Ils ont fui et rejoint Berlin grâce à la complicité de leurs anciens alliés allemands. Le 5 juillet, le verdict tombe, ils sont condamnés à mort par contumace pour ces massacres et aussi pour avoir engagé la Turquie dans la guerre.
Au terme de cinq années de guerre civile, le jeune Mustafa Kemal, dit Atatürk, impose une république “une et indivisible” comme son modèle français. Cet unioniste impose la modernité dans le mensonge sur le génocide arménien et la négation des Kurdes que l’on appellera Turcs des montagnes. Sur le plan extérieur, le négationnisme est tout aussi patent.
Après la signature de l’armistice entre Turcs et alliés, le 30 octobre 1919, intervient le traité de Sèvres du 10 août 1920 où l’Arménie retrouve l’intégrité de ses six provinces dans une République qui sera, en partie, intégrée à l’URSS en 1920-21. Le même traité de Sèvres donne un Etat aux Kurdes. Mais le 24 juillet 1923, le traité de Lausanne annule celui de Sèvres et entérine l’annexion de l’Anatolie arménienne à la Turquie. Les 500.000 survivants du génocide arménien se dispersent à travers le Caucase, en France et dans toute l’Europe ou en Amérique.
Cette diaspora, après de longues années de silence et de souffrances, est aujourd’hui très vivante, à la pointe de l’éclat de la célébration du centenaire du génocide de leur nation niée. Des historiens, des Etats reconnaissent peu à peu la réalité de leur calvaire. Les parlements français et européen, le pape récemment, ont reconnu le premier génocide du XXe siècle.
Comme Madrid qui prétend toujours que les Basques ont incendié Gernika, Ankara est toujours dans le déni.
“Comme Madrid qui prétend toujours que les Basques ont incendié Gernika, Ankara est toujours dans le déni”. Hélas, c’est très juste, exactement comme la république française et ses “hussards noirs” chargés d’éradiquer l’euskara ont toujours nié la déportation – appelée pudiquement “internat” – des Basques en février/mars 1794… C’est pourquoi je reste, cher Jakes, très dubitatif sur votre affirmation : “La prise de pouvoir des Jeunes-Turcs suscite un immense espoir dans tout l’empire Ottoman à dominante musulmane, notamment chez les Arméniens chrétiens, car ils s’inspiraient des idéaux de la république française”. Car, précisément, s’inspirant des idéaux de la république française, ces Jeunes-Turcs ne pouvaient aboutir qu’au résultat “d’un Etat jacobin uniformisateur, réprimant les peuples différents du modèle culturel central turc”. Tout comme les jacobins français avaient exporté le leur en Espagne, via les guerres de la révolution en 1795, “couronnées” plus tard d’un “Pepe botella” aidé par des “afrancesados” locaux dont les héritiers “libéraux” calqueront les “provincias” sur les département français et tueront définitivement ce qui restait des antiques fueros basques !
Mis à part ces réserves, bravo pour cette belle synthèse, beti bezala !
Bihotz bihotzetik, Alexandre de La Cerda