La coexistence harmonieuse des ours, des touristes et des bergers dans le massif cantabrique sonne comme un contre-exemple apaisant à la “guerre de l’ours” béarnais. Invitation à aller voir sur place.
Elle a fait rage pendant plusieurs semaines dans les vallées béarnaises mais n’est pas éteinte. En contrepoint, à quelques centaines de kilomètres, dans les Asturies, le Parc naturel de Somiedo cohabite avec l’ours brun Cantabrique. La Guerre de l’Ours a débuté avec l’été dans les vallées béarnaises et leurs parages. Le bruit et la fureur orchestrés à coups de plaintes, de menaces et de prédictions plus alarmistes les unes que les autres ont pour l’instant cessé, mais la hache n’est pas enterrée entre défenseurs et détracteurs de l’ours.
Les ennemis jurés des deux plantigrades d’origine slovène (littéralement tombés du ciel puisque largués par hélicoptère les 4 et 5 octobre derniers), ont vainement attendu les deux ourses annoncées de pied ferme…
Le nouveau ministre de la Transition écologique entré en fonction après la démission inopinée de son prédécesseur Nicolas Hulot, a repris le fil du projet annoncé en mars 2018, et s’est offert un coup d’éclat imparable.
Tant et si bien que les deux ourses ont pu immédiatement prendre leurs marques dans les Pyrénées. L’instinct vital l’ayant emporté, les deux femelles se cherchent une nouvelle vie sans se douter des enjeux dont elles sont l’objet entre éleveurs, bergers, agriculteurs et élus du territoire, entre organisations écologistes, adeptes de la chasse et leurs détracteurs, entre l’administration de l’Etat et les citoyens lambda qu’un tel charivari ne saurait laisser de marbre.
Les “intruses” vont-elles renforcer la population de l’ours “Pyrénéen” et régénérer le massif dans sa diversité ? Ou bien carrément précipiter l’élevage ovin dans sa perte ?
Des boucs émissaires ?
Et si ces animaux mythiques venus de l’Est (dotés de prénoms béarnais) n’étaient que simples boucs émissaires, au-delà de ces contingences ? Et s’ils n’étaient que les victimes expiatoires de nos peurs, de nos angoisses, de nos attentes et de nos espoirs les plus fous, susceptibles d’être déçus à tout moment alors que tout semble se dérober sous nos pieds ?
Et si ces animaux mythiques venus de l’Est
n’étaient que les victimes expiatoires
de nos peurs, de nos angoisses, de nos attentes et de nos espoirs les plus fous,
susceptibles d’être déçus à tout moment
alors que tout semble se dérober sous nos pieds ?
Qu’il s’agisse de la protection de la Nature contre l’agression humaine et de la survie d’un mode de vie millénaire en équilibre précaire.
Deux objectifs compatibles ou pas ? Ils peuvent l’être, comme le démontre l’évolution du massif Cantabrique (au nord de l’Espagne), dans la Communauté autonome des Asturies. Deux noyaux d’ours bruns Cantabriques (l’une des plus petites espèces de plantigrades de la planète), s’y sont développés au prix d’une cohabitation homme-ours patiemment tissée depuis les années 70-80, à l’initiative des pouvoirs publics.
Bien qu’ayant frôlé le seuil fatidique de l’extinction dans les années 60, l’ours qui s’était réfugié dans les parties les plus sauvages, n’y avait pas disparu. A ce jour, les Asturies abritent une population d’environ 260 spécimens. La progression a été foudroyante (300% !) au fil des 25 dernières années. Le site le plus connu n’est autre que le Parc naturel de Somiedo. 22.122 hectares, surface totalement protégée, 38 minuscules bourgs dispersés (certains n’y comptent qu’une poignée d’habitants) entre vallées profondes, forêts épaisses, prairies et montagnes (point culminant (2188m). Création du Parc naturel en 1988, déclaré Réserve de la Biosphère en 2000 par l’Unesco(1). L’ours vit là en totale liberté, la zone étant tout de même étroitement surveillée par les gardes du Parc, dont le centre névralgique se trouve à Pola de Somiedo, capitale de presque 200 âmes, à 78 kilomètres d’Oviedo.
“Vivre avec les ours”
Voilà un havre de paix de toute beauté où l’automobiliste est accueilli par quelques panneaux routiers signalant la présence éventuelle de l’ours sur la chaussée. Le ton en est donné !
Economie dominante : l’élevage bovin. On y produit une race à viande (la Vaca Roisa) qui passe l’été au plus haut des vallées, dans ces espaces où survivent plusieurs centaines de cabanes de “bergers” aux toits de genêts, regroupées par grappes dans les estives.
Chevaux et bovins cohabitent sans encombre. Tout ceci n’exclut pas quelques “incidents” malheureux entre troupeaux et ours. Ces derniers sont désormais sans cesse traqués non par les braconniers mais par le touriste armé de télescope et jumelles. Il se concentre des heures durant, sur quelques “observatoires” avec vue sur une ou autre zone de passage de l’ours vaquant à ses occupations familières. La quête peut toutefois durer des jours, sans aucune garantie de succès. Saisons idoines : le printemps et l’automne.
Le tourisme d’observation est devenu l’activité seconde après l’élevage. “L’ours est devenu la marque du Parc naturel. C’est à partir du local que nous devons chercher nos sources de développement. Nous devons être fiers de notre appartenance à la terre !” assurent les partisans du modèle Somiedo, bâti à partir d’un relief et de pratiques d’élevage bien spécifiques.
L’on y a appris “à vivre avec l’ours, à l’accepter, à prévenir et à résoudre les conflits possibles”. Reste que dans les vallées asturiennes et pyrénéennes, le coeur de la question est le même : ours ou pas, de gros nuages menacent l’avenir de la ruralité.
Un ouvrage souvenir
Vivre avec les ours c’est aussi le titre de l’ouvrage magnifique, écrit à partir témoignages recueillis ces 10 dernières années, par l’écrivain-photographe espagnol Ezequiel Martinez Rodriguez(2). L’auteur donne la parole à des dizaines d’hommes et de femmes qui vécurent le Somiedo d’hier, encore grouillant de monde au début du siècle dernier, jusqu’à l’hémorragie démographique des années 60. Une région pauvrissime où l’homme, fusil au pied, se débattait dans une nature intacte mais rude, entre son maigre troupeau, sa haine et sa fascination pour l’ours dont la peau se vendait cher. On y avait faim parfois, et la chair de l’ours agrémentait un ordinaire réduit à sa plus simple expression. Souvenirs, émotions. 100 ans d’histoires d’ours vécues de 1917 à 2017, à Somiedo.
(1) www.parquenaturalsomiedo.com / www.turismoasturias. es
(2) “Viviendo con osos. Somiedo, Asturias. 100 años de historias y leyendas. 1917-2017” d’Ezequiel Martinez Rodriguez. Edition La Trébere. Paru en espagnol, 2017.