Dans une de mes précédentes chroniques, j’évoquais les effets potentiellement dévastateurs du Brexit sur le fragile équilibre politique en Irlande du Nord. Mes craintes sont plus que jamais d’actualité. La crise politique qui secoue Belfast en apporte la preuve.
Outre l’impact économique sur un petit territoire qui reçoit près de 600 millions d’euros par an de l’Union Européenne, la réapparition de contrôles à la frontière avec la République d’Irlande rappellerait de tristes souvenirs.
Même la police nord-irlandaise s’en inquiète qui parle de “cadeau de propagande” pour les dissidents républicains et craint de voir ses agents transformés en “sitting ducks” (cibles faciles).
Mais surtout, le Brexit pourrait porter un coup fatal aux Accords du Vendredi Saint (AVS) signés en 1998 et qui ont permis la mise en place des institutions autonomes.
C’est pourquoi Gerry Adams, président du Sinn Fein estime que “la volonté du gouvernement britannique de sortir [l’Irlande du Nord] de l’UE, contre la volonté de ses habitants d’y rester, est une action hostile”.
Même son de cloche chez les nationalistes du SDLP : “Le fait que la Chambre des Lords britannique, non élue et non représentative, soit appelée à se prononcer sur les termes du Brexit, mais pas les régions autonomes, est un acte de vandalisme démocratique”.
Relations dégradées
Le Brexit est donc un défi de taille aux institutions nord-irlandaises où catholiques et protestants exercent conjointement le pouvoir.
Ce défi arrive à un très mauvais moment car les relations entre les Républicains du Sinn Fein et le Democratic Unionist Party (DUP) sont au plus bas.
Vice-premier ministre depuis 2007, le républicain Martin McGuinness, ancien dirigeant de l’IRA, avait su établir un climat de confiance avec les différents premiers ministres unionistes qui se sont succédé, y compris avec l’intransigeant révérend Ian Paisley. Mais depuis la nomination à ce poste d’Arlene Foster en mars 2016, les relations se sont très sérieusement détériorées. Le DUP a affiché un mépris arrogant contre toutes les minorités : veto contre le mariage homosexuel, blocage des enquêtes sur certaines exactions commises pendant les pires années du conflit, suppression de bourses pour les étudiants en langue irlandaise, etc.
Pour reprendre les termes de McGuinness, le DUP a fait preuve “de la bigoterie la plus crue et la plus crasse” et a remis en cause “la parité d’estime” dont tous les partis doivent bénéficier.
A cette situation déjà déplorable est venu se rajouter un scandale qui prend des allures d’affaire d’Etat autour d’une escroquerie aux énergies renouvelables.
En 2012, le gouvernement nord-irlandais avait proposé des mesures incitatives à l’installation de systèmes de chauffage fonctionnant avec des énergies renouvelables (biomasse, solaire, pompe à chaleur, etc.). Très vite, certains ont détourné le système et ont gagné beaucoup d’argent par le simple fait de chauffer. En 2016, un informateur a ainsi dénoncé un agriculteur ayant empoché plus d’un million d’euros pour chauffer un hangar vide ! Ce scandale du “cash for ash” (du cash pour des cendres) pourrait coûter à l’Irlande du Nord près d’un milliard d’euro, et il est d’autant plus déstabilisateur que c’est l’actuelle première ministre Arlene Foster qui avait lancé ces mesures alors qu’elle était ministre de l’industrie en 2012, et qu’elle a ignoré les avertissements qui lui avaient été faits très rapidement.
Pour McGuinness,
le DUP a fait preuve
“de la bigoterie la plus crue
et la plus crasse”
et a remis en cause
“la parité d’estime”
dont tous les partis
doivent bénéficier.
Démission de Martin McGuinness
L’opposition a évidemment demandé une commission d’enquête et exigé qu’Arlene Foster se retire le temps des investigations pour des raisons évidentes de conflit d’intérêts. Face aux refus arrogants et répétés de la première ministre, les partis d’opposition emmenés par l’Alliance Party (centriste, non communautaire) ont déposé une motion de censure en décembre, que le Sinn Fein n’avait pas votée.
Le parti républicain était en effet soucieux de préserver les institutions autonomes, mais cette position était intenable tant en interne qu’à cause de la pression des Républicains dissidents et de formations de gauche comme le People Before Profit Alliance qui grignotent son électorat.
Le 9 janvier, Martin McGuinness présentait donc sa démission…
De nouvelles élections devraient avoir lieu le 2 mars prochain, mais on voit mal comment le Sinn Fein et le DUP, qui devraient arriver en tête des suffrages, pourraient s’entendre pour former un gouvernement – en vertu des Accord de St Andrews en 2006, le premier et le vice-premier ministres doivent en effet être issus des deux formations arrivées en têtes des élections.
D’un côté le Sinn Fein déclare qu’il “n’y aura pas de retour au statu quo” ; de l’autre, Foster annonce une campagne “brutale” et prévoit un retour de la “direct rule” britannique.
Il faudrait un Martin McGuinness au meilleur de sa forme pour surmonter cette crise, probablement la pire depuis 2007. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Miné par une grave maladie, le dirigeant républicain de 66 ans a annoncé qu’il n’était pas en état de se lancer dans une nouvelle campagne et qu’il se retirait de la vie politique électorale.
C’est une terrible perte pour l’Irlande du Nord, et qui arrive au pire moment.
Mais l’optimisme a la vie dure, et Gerry Adams veut voir dans la crise actuelle une “opportunité pour promouvoir une nouvelle Irlande concertée”.