Le groupe islamiste irakien Daesh a diffusé le 26 février la destruction volontaire par des djihadistes de statues assyriennes du musée de Mossoul.
Pour les auteurs de ce crime culturel, ces représentations et ces tombeaux millénaires “exhumés par les gens de Satan” favorisaient l’idolâtrie ou étaient des divinités païennes.
Ils méritaient donc d’être détruits. Le monde entier s’en est ému et les plus hautes instances internationales ont protesté.
Personne ne s’est souvenu que cette pratique fut hier abondamment pratiquée par le chrétien blanc occidental, le “civilisé” qui a ouvert la voie.
Petit rappel des faits.
Le 18 octobre 1860, un détachement de 3.000 Français et autant d’Anglais conquiert une partie de la Chine et met à sac le Palais d’été des empereurs mandchous, une des “merveilles du monde” selon Victor Hugo, un des rares à avoir protesté.
Les bâtiments furent incendiés, un million et demi de pièces ont été pillé par la soldatesque, quelques-unes ont rejoint le musée de l’Armée à Paris, le musée chinois de Fontainebleau ou le Victoria and Albert Museum à Londres. On en trouve aujourd’hui encore sur le marché dans de prestigieuses ventes aux enchères. La Chine réclame leur restitution.
Quant aux missionnaires chrétiens, qu’ils soient catholiques ou protestants, ils ont fait très fort en ce domaine depuis quelques siècles. Soucieux de prosélytisme et donc de répandre la vraie religion, la leur, ils ont systématiquement détruit les idoles des peuples colonisés par les Européens, en d’autres termes leurs dieux, leur spiritualité, leur âme, leur identité.
Au Congo par exemple, les chroniqueurs relatent la destruction “d’idoles” (1) brulées au cours du XVIe siècle par les missionnaires portugais en de gigantesques et spectaculaires autodafés.
Fin XIXe, quelques “idoles” furent récupérées par des missionnaires et des militaires et figurent dans plusieurs musées européens, en exil. Malheureux trophées de la violence faite aux peuples dont se sont émus encore récemment des intellectuels africains lors de l’ouverture du musée du quai Branly à Paris.
“Les dieux ineptes”
En Amérique du Sud, le premier évêque de Mexico de 1528 à 1548, Juan de Zumarraga (un bon Basque, sans doute…) vante la destruction des idoles: pas moins de 500 temples indiens et 20.000 idoles selon les écrits de ce missionnaire. Codex, temples, objets de culte, et baptêmes de masse, tout y passe pour la “conquête des âmes“. De gré ou de force, il faut protéger et instruire les indigènes dans la foi chrétienne. Pour faire bon poids, la politique linguistique fut révisée. L’apprentissage des langues indigènes mobilisait les premiers missionnaires. En 1540, Charles Quint préféra l’enseignement de l’espagnol aux Indiens pour transmettre sans distorsion le message chrétien.
Les autodafés et autres démonstrations par lesquelles en peu de temps et à peu de frais, les envoyés de London Missionary Society et ses teachers imposèrent leurs règles de vie chrétienne en Polynésie centrale, sont des faits largement connus.
Le spécialiste en arts premiers, Steven Hooper, précise qu’au début du XIXe siècle, les missionnaires étaient libres de brûler les idoles ou de les présenter aux peuples d’Europe pour leur faire “connaître les dieux ineptes de Tahiti”. Lorsqu’à partir de 1891, le peintre Paul Gauguin part vivre à Tahiti puis dans l’archipel des Marquises, il constate, désespéré, la mort des dieux et tente au travers de sa peinture de faire revivre les cosmogonies océaniennes : mélancolie sans remède de La femme à la fleur… Les tikis ont été renversés et les clôtures des maraes —enceintes sacrées— détruites. Les femmes doivent boutonner jusqu’au cou les robes longues imposées par les missionnaires.
En 2009, le pape Benoît XVI en visite en Angola, exhorta les habitants à renoncer à la sorcellerie, aux féticheurs et à ramener au bercail les brebis égarées. Comme quoi, on ne peut reprocher à l’église catholique son manque de constance.
Lorsqu’il y a quelques semaines, Daesh commit ses odieuses destructions en Irak, on a beaucoup lu et entendu cris d’orfraies et leçons de morale. Mais bien peu de regard rétrospectif ou historique. Toujours le même européocentrisme et la vieille histoire de la poutre et de la paille que rapporte l’Évangile selon saint Mathieu, chapitre 7, v. 3 à 5 : “Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’oeil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton oeil ?”
Xoxuak beleari burubeltz !
(1) Le terme d’idole est utilisé par saint Paul dans sa première Lettre aux Corinthiens : “Fuyez le culte des idoles” (1 Co 10, 14).
La différence est, que ce soit réel ou mythique, l’antiquité mésopotamienne fait partie de notre patrimoine historique et culturel. À commencer par la bible qui en reprend beaucoup (déluge, etc.). L’astronomie/astrologie, le système sexagésimal, les 360 degrés angulaires, l’irrigation, etc.
Il y a aussi la Syrie, au sens ancien du terme (du Sud de la Turquie à la Palestine), à laquelle nous devons le système d’écriture, que nous partageons avec les grecs, russes, arabes et hébreux (certes avec pas mal d’évolutions graphiques). Nous lui devons aussi bien sûr les religions monothéistes, comme aussi l’élevage, le vin, le blé, etc.
Bref, qu’on l’accepte ou non, nous partageons des millénaires d’histoire commune avec ces peuples, jusques y compris la Perse, l’Egypte, le Magreb. C’est aussi pour ça que ces destructions nous font mal.
Daech a la même volonté que nos religieux d’avant, apporter une explication totale et unique du monde. Ils ont donc choisi de tout détruire. Ceci dit, comme ils ne pourront pas reconstruire plusieurs millénaires de patrimoine (pas que culturel), s’ils survivent ils seront irrémédiablement pauvres et dépendants.
Les autres cultures nous sont, au sens fort, étrangères, qu’elles soient indienne, chinoise, africaine, etc.
C’est aussi pour cela que nous avons voulu les détruire, avec succès pour le nouveau monde et heureusement en échouant en grande partie pour l’ancien monde. Reste l’Afrique, qui sera bientôt le continent le plus peuplé. Quelle culture utiliseront-ils comme moteur?