Un bac en électrotechnique, une licence en architecture et divers emplois et expériences bénévoles à Txirrind’Ola, Bizi! et Alternatiba 2018, ont amené Shawn Lubrano à co-fonder en 2019 la recyclerie solidaire Konpon Txoko. Il répond aux questions d’Enbata sur les origines du projet, l’originalité de son fonctionnement et les développements à venir.
D’où est venu le projet de Recyclerie / Repair Café Konpon Txoko?
L’association est née le 31 janvier 2019 avec pour volonté d’implanter une recyclerie solidaire sur Bayonne. Vu la difficulté pour obtenir un premier local, il nous fallait trouver un format nous permettant de faire nos preuves sans cela.
Nous démarrons donc par un Repair Café(1) pour répondre tout de suite à un véritable besoin, mais aussi pour rassembler des personnes ayant des profils variés, nécessaires à la réalisation d’un tel projet.
Nous réalisons très vite l’étendue du besoin en réparation ainsi qu’en articles de seconde main à petits prix, et totalisons 625 adhérent·e·s le jour de notre première AG en 2020. Nous ouvrons deux jours par semaine sur l’espace public ou dans des locaux associatifs prêtés. Merci notamment au Patxoki qui a rendu possible nos débuts. Quand il pleut, nous ouvrons uniquement l’atelier de réparation ; les beaux jours, s’y rajoute rapidement une recyclerie à prix libres sur la place Patxa.
Nous avons participé à l’effort collectif pendant la crise sanitaire en proposant des réparations à domicile, puis sur rendez-vous, pour nous adapter aux mesures sanitaires et apporter des solutions aux problématiques rencontrées.
Nous entamons un partenariat avec l’association AIMA (Allons Imaginer un Monde d’Amitiés) qui mène une action humanitaire internationale par le mobilier et le matériel médical pour venir en aide aux pays du Sud et de l’Est. AIMA est également pionnière dans le réemploi du mobilier professionnel. Elle nous aide à développer cette filière localement afin de consolider notre modèle économique. De notre côté, nous essayons de renforcer leur action et celle des différents réseaux du réemploi solidaire comme ReNAITRe (regroupant les recycleries de Nouvelle Aquitaine).
Et de la place Patxa, vous avez atterri au Forum ?
En 2022, nous remportons la deuxième place du budget participatif de la ville de Bayonne, ainsi que l’appel à projets « Réparation, Réemploi et Réutilisations » de l’ADEME. Cela nous permet enfin d’envisager l’obtention d’un local.
Après avoir visité un grand nombre de sites, nous en trouvons un sur la zone du Forum à Bayonne, correspondant aux besoins du projet. Nous signons le bail en 2023 grâce au soutien d’adhérent·e·s qui nous avancent les fonds nécessaires du dépôt de garantie.
Les premiers mois, nous obtenons des exonérations et réductions de loyer afin de réaliser les travaux de déconstruction et d’aménagement du local. Deux terrains de squash sont démontés et offerts à une structure qui projette de les remonter sur Hasparren. Notre inauguration a lieu le 18 septembre 2023 avec un local déjà bien rempli grâce à l’aide et au stock d’amorçage offert par AIMA.
Que propose Konpon Txoko aujourd’hui ?
Actuellement, seule la recyclerie est ouverte. Il nous faut terminer la mise aux normes des installations électriques afin de travailler en toute sécurité lors des ateliers d’aide à la réparation. Ils devraient reprendre en mars. À terme, nous prévoyons de devenir un véritable tiers-lieu(2) de la réparation et du réemploi, auquel s’ajoutera une bricothèque(3).
Vous avez choisi une structuration et un mode de fonctionnement originaux…
Depuis nos débuts, nous avons choisi de fonctionner en coprésidence avec la volonté de faire émerger une véritable intelligence collective à même de se poser les bonnes questions sur la problématique des déchets. Nous recherchons évidemment des personnes voulant s’investir dans ce projet, que ce soit régulièrement ou ponctuellement. Il est notamment crucial pour nous de trouver plus de personnes pouvant nous aider à mieux nous structurer et à améliorer notre communication. À l’heure actuelle, nous comptons environ 1.400 adhérent·e·s et une trentaine de bénévoles. Nos adhésions sont à prix libre et valables pendant un an. Nous avons fait le choix du prix libre afin de rendre accessibles nos activités à tout le monde, tout en permettant les adhésions de soutien aux personnes et structures qui le peuvent.
Konpon Txoko est une initiative de l’économie sociale et solidaire… Qu’est-ce que cela veut dire ? Et quelles sont les difficultés spécifiques du territoire pour ce type de projet ?
Notre démarche s’inscrit dans le cadre de l’économie sociale et solidaire (ESS), ce qui implique que son fonctionnement interne et ses activités sont fondés sur un principe de solidarité et d’utilité sociale. Monter un tel projet représente un véritable défi, notamment lié à la problématique des locations et de leurs prix très élevés. Notre loyer est de 5.200€ par mois (l’équivalent de trois salaires au Smic), ce qui est malheureusement le prix du marché actuel. Côté ressources, nous misons notamment sur le mobilier professionnel de seconde main qui, pour l’instant, part petit à petit grâce aux achats des particuliers.
Notre principal enjeu aujourd’hui est de nous faire connaître des professionnels et des institutions pour qu’ils puissent bénéficier de nos services, tout en participant à la transition écologique et sociale. En effet, nous sommes l’alternative gratuite et préservante à la déchetterie pour le matériel dont ils n’ont plus l’usage mais qui peut avoir une seconde vie. Ces dons matériels peuvent également donner lieu à une réduction fiscale, tout en renforçant la démarche RSE(4) des entreprises locales. Enfin, nous proposons du mobilier professionnel de qualité, à 30% du prix du neuf, permettant ainsi de s’équiper tout en répondant aux exigences de la loi AGEC(5).
Mais du coup, le niveau de votre loyer met en danger votre développement ?
Une réflexion globale sur les enjeux du foncier pour ce qui concerne les projets à but non-lucratif de transition, mériterait d’être sérieusement menée aux différents niveaux institutionnels. Nous sommes convaincus que des approches telles que l’urbanisme transitoire pourraient permettre l’utilisation temporaire et mutualisée de certains lieux, afin de faciliter l’émergence de projets comparables au nôtre.
Une autre piste, sans doute compliquée à mettre en oeuvre, serait de concevoir des dispositifs de subventions plus importants, et centralisés par un guichet unique, commun aux différentes collectivités. Cela éviterait d’avoir à monter plusieurs dossiers pour un même projet. Un versement direct des fonds faciliterait également le montage de projets, évitant de longs mois de démarches avec les institutions bancaires.
Enfin, il n’y a pratiquement pas de dispositifs pour financer du loyer ou des salaires et aucun, à notre connaissance, qui soit renouvelable. Bien que nous prévoyions d’être en autofinancement par la suite, nous regrettons qu’il n’existe pas de soutien possible sur une durée suffisante.
Quels sont les chantiers en cours de Konpon Txoko et les développements souhaités ou planifiés à court et moyen terme ?
Nous espérons lancer les activités d’aide à la réparation pour le mois de mars. Plusieurs chantiers sont prévus tels que la construction d’une mezzanine pour augmenter notre superficie, l’achat d’un conteneur, la construction d’un porche et d’un parking vélo couvert avec les structures acier récupérées lors du chantier de déconstruction. Enfin, nous comptons ouvrir la bricothèque dès que le modèle économique sera stabilisé, que l’équipe se sera développée et que notre système de traçabilité sera pleinement opérationnel.
(1) Repair Café : atelier d’aide à la réparation
(2) Tiers-lieux : endroit situé hors du domicile (premier lieu) et de l’entreprise (second lieu), qui cherche à mutualiser des espaces et des compétences, hybrider des activités et réunir un collectif citoyen engagé, favorisant la coopération pour répondre aux enjeux de leur territoire.
(3)Bricothèque : lieu où l’on peut emprunter des outils
(4) RSE : La responsabilité sociétale des entreprises ou responsabilité sociale des entreprises désigne la prise en compte par les entreprises, sur une base volontaire, et parfois juridique, des enjeux environnementaux, sociaux, économiques et éthiques dans leurs activités.
(5) AGEC : Les lois « Anti-gaspillage pour une économie circulaire » (AGEC) et « Climat et Résilience », respectivement promulguées les 10 février 2020 et 22 août 2021.