Les commémorations de la naissance de Karl Marx sont l’occasion de mesurer la pertinence de ses analyses du système capitaliste dont les conclusions, près de deux siècles plus tard, se vérifient encore à notre époque.
Les marchés ont eu peur d’une montée de l’inflation
(c’est-à-dire du rythme de l’augmentation des prix),
car, face à une remontée des salaires,
la seule façon de maintenir les profits est d’augmenter les prix.
Nous avons fêté cette année le bicentenaire de la naissance de Karl Marx (né le 5 mai 1818). Pour ma part, je ne me considère pas marxiste. Je serais plutôt adepte d’un autre Karl, l’historien Karl Polanyi (1886-1964) qui expose dans son ouvrage La Grande Transformation un point de vue anthropologique selon lequel, dans les sociétés humaines, des facteurs d’ordres subjectifs et sociaux priment sur les aspect liés aux conditions de vie matérielles.
Ceci étant, ce bicentenaire a suscité des débats particulièrement intéressants. Et première surprise, d’après ce qu’en dit la presse (bien informée), le marxisme connaîtrait un renouveau important aux Etats-Unis. Ainsi, l’organisation Democratic Socialists of America (DSA), issue de la scission du Parti socialiste d’Amérique en 1973, aurait vu ses effectifs multipliés par quatre ces deux dernières années, dépassant les 32.000 adhérents, avec un rajeunissement très significatif de leur âge moyen (cf. Le Monde du 19.04.2018). Autre surprise : celle de constater l’hommage appuyé de certains économistes que l’on ne peut pourtant pas taxer de “gauchistes”.
Dynamique du capitalisme
Parmi ceux-ci, Patrick Artus, professeur associé à la Sorbonne, et surtout, directeur des études économiques à Natixis, une des grosses banques d’investissement françaises. Il a ainsi signé le 2 février dernier une note d’analyse diffusée par Natixis (Voir : Flash Economie, n°130) intitulée : La dynamique du capitalisme est aujourd’hui bien celle qu’avait prévue Karl Marx. Il ne s’agit pas du tout d’un canular. La note de Patrick Artus décortique de façon extrêmement sérieuse les facteurs de la crise structurelle du capitalisme mis en avant par Karl Marx au regard d’indicateurs économiques actuels. Voici en résumé ce que nous disent ces indicateurs. La productivité globale des facteurs atteste d’une baisse d’efficacité des entreprises dans l’OCDE. Le rendement du capital productif devrait en conséquence diminuer. Ce n’est cependant pas le cas, parce que les entreprises redressent leur profitabilité en comprimant les salaires par le biais d’une baisse du pouvoir de négociation des salariés, et de la flexibilité accrue du marché du travail. Mais l’impossibilité de réduire les salaires en deçà des salaires minimums légaux limite la hausse des profits engendrés par la compression des salaires. Pour soutenir le rendement du capital, les capitalistes utilisent des activités spéculatives. Notamment, les rachats d’actions par les entreprises qui font monter les cours boursiers. Mais aussi l’achat de biens immobiliers dont l’aspect spéculatif transparait dans l’évolution du prix de l’immobilier. Et enfin, toute une série d’opérations sur des actifs spéculatifs comme les matières premières rares, ou le développement des LBO (Leverage Buy Out).
Baisse du profit
Selon Patrick Artus, on a donc bien la dynamique du capitalisme décrite par Karl Marx : la baisse du taux de profit induite par un recul de l’efficacité des entreprises est compensée par une déformation du partage des revenus en faveur du capital et au détriment des salariés ; quand cette déformation atteint sa limite, les capitalistes ont recours aux activités spéculatives.
Hasard du calendrier, quatre jours après la publication de la note d’analyse de Patrick Artus (c’est-à-dire à partir du 6 février) un vent de panique va souffler sur les marchés financiers. La secousse est partie des Etats-Unis, et c’est l’annonce de l’augmentation des salaires américains qui a fait dévisser la bourse de Wall Street. Une démonstration on ne peut plus claire de l’extrême sensibilité des marchés financiers à une modification du partage de la richesse entre les salaires et les profits. En effet, les marchés ont eu peur d’une montée de l’inflation (c’est-à-dire du rythme de l’augmentation des prix), car, face à une remontée des salaires, la seule façon de maintenir les profits est d’augmenter les prix.
Quand on se remémore que Karl Marx avait tenu une conférence en 1865 devant le conseil général de l’Association Internationale des Travailleurs s’intitulant “Salaire, prix, profit”, il est frappant de noter à quel point ses analyses restent d’actualité !
Je ne me considère pas marxiste, mais on voit qu’il ne faut pas “jeter le bébé avec l’eau du bain”, tant la pertinence de beaucoup des concepts forgés par Karl Marx demeure impressionnante. Ce constat étant (à nouveau) fait, il ne nous reste plus maintenant qu’à organiser la sortie en bonne et due forme du capitalisme !