On le sait, les fêtes de Bayonne sont devenues l’un des événements festifs les plus fréquentés de la planète. En cela, elles sont le miroir grossissant de nombre de phénomènes sociaux quotidiens. Parmi ceux-là, la question de l’égalité hommes-femmes.
Un miroir grossissant
Au quotidien, le rapport entre hommes et femmes est souvent formulé en termes d’accès à l’emploi, de niveau de salaire, de répartition des tâches domestiques, etc. Dans l’échelle des pas à franchir vers l’égalité sexuelle réelle, la strate la plus dramatique reste évidemment celle des violences sexistes: harcèlement sexuel au travail, femmes battues au cœur de la sphère domestique, viols, la palette des périls auxquels les femmes sont potentiellement confrontées fait frémir. Le pire est que la constatation —qui n’a certes rien de nouveau— a tellement été intégrée comme une fatalité qu’elle en est même devenue un élément quasi normal de l’organisation de la vie quotidienne. Dans ses relations sociales, un homme va rechercher des amis, une partenaire amoureuse, des gens de confiance pour partager malheurs et bonheurs… bref des choses normales. La femme va rechercher la même chose, bien sûr, mais elle va devoir ajouter une donnée relativement inconsciente, celle de sa sécurité. Le champ des possibles sociaux, largement étendu pour la plupart des hommes, sera plus ou moins réduit pour la femme selon l’heure de la journée ou plutôt de la nuit, l’isolement d’un lieu, le fait qu’elle est ou pas accompagnée d’un homme de confiance. Sans tomber dans la paranoïa, qui serait objectivement excessive, la femme a tout de même intégré le fait que la malchance pourrait lui faire croiser un danger potentiel, et elle organise sa vie en conséquence.
Les fêtes de Bayonne sont à cette image. Pour la grande majorité des «festayres», elles se passent sans aucun problème. Les seuls risques auxquels ils sont confrontés sont ceux d’une belle gueule de bois ou d’un trou dans le budget. Les plus malchanceux pourraient éventuellement risquer un coup de chaud éthylique, les dégâts collatéraux d’une bagarre, mais la proportion de problèmes graves par rapport au nombre impressionnant de participants ne fait pas des fêtes de Bayonne un événement très dangereux. N’importe quel homme peut «faire» ces fêtes sans autre souci que celui de s’amuser mais pas les femmes, et le mâle que je suis a mis du temps à s’en rendre compte.
Le droit à la débilité
Si l’image de femmes ivres s’est plutôt normalisée dans ce contexte d’excès généralisé —ce qui est loin d’être le cas dans d’autres contextes—, les comportements transgressifs ne sont pas perçus de la même manière dans leur cas. Je me souviens du temps où la cabine téléphonique encore existante en face de l’ancien bar Aita-semeak servait de plateforme de strip-tease intégral pour jeunes désinhibés par l’alcool. Jamais Jean Grenet n’aurait dit dans la presse, au lendemain des fêtes, que leur comportement ou leur tenue était irresponsable ou provocateur de violences sexu-elles. Mais par contre, une jupe trop courte ou un tanga qui dépasse sont à ses yeux des tenues aguichantes, comme si le curseur de la décence était différent selon le sexe. Être ivre et danser nu sur une cabine devant 1.000 personnes est —selon mes principes judéo-chrétiens quelque peu rétrogrades— complètement débile, mais être débile est un droit inaliénable (le principe d’attentat à la pudeur étant bien relatif dans le contexte des fêtes de Bayonne). Se balader en slip en plein Bayonne ne me viendrait pas à l’esprit, mais cela ne choque personne. Or il est clair que le droit à la débilité ou à l’impudeur —a fortiori à la provocation— n’est pas le même pour les hommes et les femmes, et cette constatation-là pose un vrai problème philosophique.
Le pire est que ce ne sont pas les mœurs qui sont liberticides, la nudité féminine s’étant peut-être plus normalisée encore que celle des hommes dans d’autres contextes tels que les plages ou les media. Ce qui l’interdit, c’est le danger réel qu’elle constitue, les hommes n’étant visiblement pas tous égaux non plus dans leurs capacités à gérer leurs pulsions sexuelles une fois avinés.
Appel à la vigilance
Tout cela est connu, et une chronique n’y changera rien. Mais Enbata étant un journal militant, il est important que ses lecteurs qui bataillent pour la liberté et pour l’égalité gardent en tête que ces deux concepts sont aussi sexuels. La liberté de «se lâcher» en toute sécurité dans un contexte festif fait partie des droits universels, quel que soit le sexe, et cette absence d’égalité festive se paie chaque année au prix de viols. On ne changera pas la nature des hommes et des femmes, encore moins les réflexes comportementaux dont la biologie a affligé les premiers par rapport aux secondes, et claironner la supériorité de l’esprit sur le corps n’empêchera jamais la persistance de primates parmi les hommes.
Le minimum est donc d’en prendre conscience et de penser à rester vigilant face à ce qui pourrait survenir devant ses yeux, pour que les fêtes soient belles pour tout le monde.