L’ANNÉE 2010 sera chaude
en Iparralde. Outre les
élections régionales et la
réforme des collectivités territoriales,
nous connaîtrons sûrement
les détails du projet de Ligne Grande
Vitesse. Face à ce débat, le citoyen
que je suis s’avoue perplexe.
Une pièce de théâtre
La configuration qu’a prise le débat
sur la LGV est, depuis le début, un
grand classique du genre. Il y a
ceux qui ne veulent pas de LGV
parce qu’ils ont une connaissance
affûtée du dossier et pensent que
c’est un mauvais projet. Il y a ceux
qui leur emboîtent opportunément
le pas uniquement parce que la
ligne passera à côté de chez eux.
Inversement, il y a ceux qui sont
pour la LGV parce que cela va sûrement
faciliter l’arrivée des touristes
et autres consommateurs en
Pays Basque. D’autres sont favorables
à la nouvelle ligne pour les
mêmes raisons que certains de
ceux qui sont contre: s’il n’y a pas
de LGV, on devra densifier le trafic
sur les lignes existantes et «les
nuisances seront seulement pour
nous, or y’a pas de raison ma bonne
dame!».
Et puis il y a les partis politiques,
qui oscillent entre l’inconfort des
contradictions et des intérêts divergents
en interne, et la facilité d’une
opposition de principe à toute infrastructure
nouvelle. Si je suis
perplexe, ce n’est pas trop devant
cette pièce de théâtre que le monde
politique nous offre si régulièrement,
mais sur le message que
nous autres abertzale portons.
Pour dire clairement les choses, je
n’ai pas l’impression que nous
nous opposons au projet pour les
bonnes raisons.
Anti-LGV ou anti-voie nouvelle ?
Personnellement, si je suis hostile
à ce projet de LGV, quitte à choquer
le principe d’une nouvelle
voie ferrée ne me gêne pas. En effet,
nous passons notre temps à
dire que nous sommes contre la logique
du «tout camion» et du «tout
voiture», mais peut-on continuer à
refuser le diktat de la route tout en
refusant d’accepter son alternative
de long terme qui est d’abord et
avant tout le train? Au vu de la
ligne actuelle —que je prends tous
les jours pour aller travailler—, si
l’on pense un jour parvenir à inverser
le rapport entre transport autoroutier
et transport ferroviaire, à le
faire à la fois pour le fret et pour
les voyageurs, et à parvenir enfin à
réaliser un tram-train interurbain
efficace (c’est-à-dire rapide et régulier,
donc en site propre), cela
me paraît contradictoire. En outre,
n’oublions pas que les infrastructures
de déplacements de tous
types sont le squelette de l’Europe
en construction et du Pays Basque
réunifié de demain, et qu’on n’a
pas forcément tout à gagner à les
écarter d’un revers de main. Enfin,
à plus grande échelle, comment
espérer lutter contre l’avion si
prendre ce dernier reste plus rapide
et souvent moins cher que de
prendre le train? À ce titre, même
une LGV pourrait à la limite être
justifiée (à mon avis, on devrait
plutôt opérer au préalable une réflexion
collective sur la valeur du
temps et sa gestion soutenable,
mais autant prêcher dans le désert).
Le problème, c’est que ce projet
n’est même pas pensé avec ces
objectifs. Je suis par exemple choqué
par le fait que l’on nous «vende
» une LGV qui perd tout son
sens en faisant un crochet par
Bayonne. Tant de dégâts environnementaux,
humains, et tant de
dépenses pour gagner 3mn entre
Bayonne et Hegoalde, c’est une
imposture… D’autre part, pour qui
est pensé ce projet? Pour les
quelques centaines d’usagers qui
feront le trajet Paris-Madrid ou même
Paris-Bayonne plus d’une fois
par semaine? Les minutes qu’ils
gagneront à ces quelques occasions
ont-elles davantage de valeur
que les territoires et leurs
populations? Quant à la question
des possibilités d’optimisation des
voies existantes au niveau local,
c’est un préalable que le quasi riverain
de la voie ferrée que je suis
doit être capable d’accepter. Du
principe aux détails, nombreuses
sont les limites, pointées notamment
par le CADE, que je partage
sans réserve.
S’opposer à tout ou savoir choisir ?
Avec ce qui précède, ce que je
souhaite montrer c’est qu’il existe
beaucoup d’arguments pour s’opposer
au projet, mais que selon les
logiques qui nous guident, il ne me
semble pas qu’on doive avoir d’opposition
dogmatique à une nouvelle
voie. Ce qui est navrant, c’est de
constater par contre que l’on continue
à juxtaposer des infrastructures
nouvelles sans jamais
chercher à les élaborer de manière
cohérente. Ainsi avons-nous été
confrontés, ces dernières années,
à tout ceci: une 2×2 voies heureusement
mort-née à l’intérieur,
l’élargissement de l’A63, une nouvelle
voie LGV, tout cela en présence
de 2 aéroports à 30km de
distance et de deux ports appelés
à s’agrandir sans coordination, l’un
à Pasaia et l’autre à Bayonne.
Quelle logique dans tout cela?
Doit-on dire amen à tout sans
broncher?
Ce qu’il manque aujourd’hui, c’est
une politique d’aménagement des
territoires qui soit cohérente à
toutes les échelles (d’Europe au niveau
local) et dans toutes ses dimensions.
La première de ces
dimensions paraît utopique tant elle
nous dépasse, mais elle est fondamentale:
avant d’accepter la
fuite en avant des nouvelles voies
ou des nouvelles routes, ne doit-on
pas mettre l’accent sur la refonte
des logiques de production et de
consommation qui la sous-tendent?
En espérant y parvenir un
jour, n’est-il pas au moins possible
dès aujourd’hui de rationaliser davantage
les modes de transport,
de sorte que si l’on doit accepter
une nouvelle infrastructure, cela
serve à mieux valoriser les autres?
Les structures de réflexion ne
manquent pas pour cela, en tout
cas en Pays Basque; encore faut-il
s’en servir à bon escient et non
comme des alibis commodes.
En l’absence d’une telle réflexion
prospective, je reste tout aussi opposé
au projet de LGV, mais tout
autant perplexe devant la nature
des critiques qui lui sont formulées.