Suite et fin de la partie “Il faut changer de logiciel” (1/2)
Directeur du Comité ouvrier du logement (COL), Imed Robanna est aux avant-postes pour mesurer les conséquences sociales de l’inflation des prix du logement. Héritier d’une culture humaniste, il mesure les limites des outils dont il dispose pour développer le logement social ou l’accession sociale à la propriété et dresse un bilan des préconisations politiques en terme d’urbanisme ou des évolutions prévisibles de la situation. Dans cet entretien à Enbata, Imed Robanna estime que l’Agglomération Pays Basque est la bonne échelle pour appliquer une politique pertinente afin d’endiguer “une situation préoccupante” et “changer de logiciel”, pour permettre simultanément aux habitants de se loger et de préserver un modèle de proximité respectueux de la planète. Parmi les solutions préconisées pour contenir les prix, le directeur du Col estime que celle consistant à construire davantage “ne marche pas sur des secteurs très attractifs”.
Cette explosion des prix du foncier et du bâti a pour conséquence un danger concernant les logements en accession sociale à la propriété et ceux inclus dans des dispositifs à prix maîtrisés. Au terme de la clause anti-spéculative, les propriétaires seront tentés de revendre leur bien et c’est compréhensible au regard des prix énormes que des acheteurs leur proposent, pour arrondir une retraite ou faire face à un accident de la vie… Deux questions à ce sujet : existe-t- il un état des lieux permettant de prévoir les pertes de logements loués à l’année dans les années à venir, à la fin des clauses anti-spéculatives des mesures d’accession au logement social ou de type loi Pinel ? Quelles sont les solutions existantes pour contrer l’émergence de ce type de problèmes ?
C’est une bonne question… (sourire). Nous avons les chiffres concernant la localisation des logements que nous avons produits, mais nous n’avons pas la photo de ce qui s’est déjà vendu et de ce qui reste encore à vendre. Je ne sais pas si la Communauté d’agglomération dispose de ce type de données. Il faudrait peut-être constituer un observatoire et travailler avec les notaires pour réaliser une étude afin de répertorier et savoir où en sont ces logements, à quel moment ils vont sortir du dispositif anti-spéculatif.
En ce qui concerne les outils pour lutter contre ce phénomène, actuellement nous ne disposons que du Bail réel solidaire (BRS)(1). Nous nous sommes intéressés par exemple à un T3 de Guéthary que nous avons vendu 152.000 euros et qui s’est revendu à plus de 400.000 euros, pour être occupé un mois ou deux par an en résidence secondaire. L’ancien maire de Guéthary était dépité. Il nous avait vendu le terrain pas trop cher et le logement avait bénéficié d’une TVA à 5.5% et le bien repart sur le marché. Le maire m’a dit : “Nous ne ferons plus d’accession sociale à la propriété”. Le locatif social reste accessible de manière pérenne. Pour le reste, on ne peut faire des clauses anti-spéculatives au-delà de 10 ans ou en tous cas, très difficilement. Cela dit, ce n’est pas parce qu’on est pauvre que l’on ne peut pas aussi réaliser des plus-values, alors que juste à côté des gens font la culbute. On ne peut pas éviter à nos sociétaires de le faire. Que cela profite à une seule personne, cela nous a beaucoup travaillés pour savoir où l’on met le curseur. Le COL a été pionnier en ayant livré les quatre premiers projets en BRS en France. Il s’agit de l’invention majeure de ces dernières années dans le domaine de l’immobilier. Justement au moment de l’urgence climatique, son gros avantage est de proposer des logements durablement accessibles. Un logement pourra être revendu avec une légère plus-value. Alors que l’ascenseur social est cassé, c’est bien que les gens puissent progresser dans la vie. La plus-value est limitée, encadrée, ceux qui rachètent doivent être, eux-mêmes, sous le plafond du Prêt social de location-accession ce qui facilite l’accès à la propriété de ménages disposant de revenus moyens et modestes. Nous aurons donc un parc d’accession sociale durablement abordable.
Nous construisons des logements, nous artificialisons des sols et au bout de 10 ans, ils repartent sur le marché spéculatif et il faut trouver d’autres terrains… c’est absurde !
Nous n’avons plus le temps, un autre modèle de développement passe notamment par le BRS. C’est vraiment l’outil adéquat.
Est-ce que la création de la Communauté d’agglomération Pays Basque amène un plus, des outils, des moyens supplémentaires en matière de politique de logement et de l’habitat ?
Le sujet est évidemment politique. En fait, dans les politiques de logement, je me méfie de ce que l’on appelle les effets de bords. Si l’on raisonne sur un territoire trop petit, on va mettre des règles, mais comme juste à côté ce ne sont pas les mêmes, ça ne marche pas. L’Agglomération Pays Basque me paraît être une bonne échelle de territoire pour mettre en oeuvre des politiques cohérentes. Ce sont des structures importantes, donc il faut du temps, une administration, les choses se font, je pense que nous sommes sur la bonne voie même s’il faut accélérer compte tenu de la situation de tension actuelle.
L’outil est potentiellement bénéfique, mais sa première production, le PLH Pays Basque, est-elle satisfaisante ?
Le présent PLH est assez équilibré en termes de volume de production, en revanche, il est ambitieux sur la part sociale qui est plus importante que ce que l’on a produit jusqu’à présent. Il faut donc que les opérateurs sociaux suivent. La volonté est là, l’affichage politique est là, maintenant il faut rentrer dans le faire.
Donc l’enjeu est d’arriver à ce que les objectifs du PLH soient réellement tenus et qu’il ne se passe pas la même chose que précédemment du temps de l’ACBA ?
Il est fondamental qu’il y ait un suivi assez serré de cet objectif. Sans cela, nous allons exaspérer nos concitoyens. Encore une fois, afficher des objectifs politiques et ensuite passer à côté serait très décevant. Très sincèrement je ne pense pas que ce sera le cas. Il y a une vraie volonté de faire, tant l’urgence est importante, pour pouvoir loger la population locale.
Concevoir des quartiers comme empilements de logements ou comme véritables lieux de vie n’est pas la même chose. Il semble que les politiques des dernières décennies aient davantage considéré les quartiers comme des zones de logements, voire des zones dortoirs, et non pas comme des lieux de vie dotés de commerces au rez-de-chaussée des immeubles. Les habitants doivent aller dans un autre quartier ne serait-ce que pour acheter le pain. Vivre dans des quartiers dépourvus de lieux pour échanger, se connaître, interagir ensemble, tout cela participerait-il de la déresponsabilisation collective, de la méconnaissance et du manque d’intérêt à l’égard d’autrui et donc cela affaiblirait-il la citoyenneté ? L’urbanisme actuel qui semble privilégier l’homo economicus au détriment de l’humain, est-il une des causes de la tendance à l’abstention, à la montée de l’extrême droite, au sentiment d’isolement et d’insécurité ? Quelles sont les alternatives possibles face à cette évolution observée dans nombre de quartiers ?
Le modèle ultra-libéral né dans les années 80 a mis en tension l’ensemble de la société et creusé les inégalités comme jamais. La planète a été dévorée par les deux bouts. Clairement, pour nous, le balancier du chacun pour soi et Dieu pour tous, a été tellement loin que nous avons décidé de construire des écosystèmes qui favorisent la solidarité, le lien social, sans que ce soient des formules creuses. C’est pour cette raison que nous développons beaucoup l’habitat participatif. Le COL est l’opérateur le plus engagé au niveau national en matière d’habitat participatif.
Entre les logements livrés, ceux qui sont engagés ou en chantier ou en cours de programmation participative, nous avons entre 700 et 800 logements engagés dans cette voie. Ces projets sont beaucoup plus complexes que des projets classiques. Il est beaucoup plus facile de faire de manière industrialisée le même T3 pour tout le monde. Nous ne sommes pas un constructeur immobilier, nous essayons de produire des lieux de vie où les habitants se retrouvent, se parlent et coopèrent.
Ensemble on peut être plus intelligents et plus forts. Il s’agit de recréer les ambiances de village qui existaient avant. Même les villages aujourd’hui ne sont plus ça. Les gens vont appeler le maire pour le moindre problème autrefois géré entre voisins… c’est absurde. Il convient de revenir à des fondamentaux, par exemple le lien social. La démarche rejoint les origines du COL. Les fondateurs avaient fait cela avec le site de Saint-Amand à Bayonne où ils ont fait de l’habitat participatif avant l’heure, en construisant eux-mêmes leurs maisons. Il y avait une vie extraordinaire dans ce quartier. Ce n’était pas le monde des bisounours évidemment, mais il y avait de l’entraide et de la solidarité, plein de choses que l’on a beaucoup perdues. Nous avons modélisé aujourd’hui une nouvelle approche de l’urbanisme et nous voulons utiliser notre expérience de la participation à l’échelle de la résidence, pour l’élargir à l’échelle d’un quartier en secteur urbain, voire à l’échelle d’un village en secteur rural.
Nous avons un projet assez emblématique à Tarnos qui s’appelle Grandola, où sur un même lieu, nous avons un pôle d’économie sociale et solidaire avec des structures qui travaillent sur l’économie circulaire, l’insertion professionnelle par le vélo, etc Nous avons un pôle culturel avec une salle de spectacle et des logements au-dessus, en habitat participatif. Dans un même lieu, il faut que l’on puisse avoir, et de l’habitat, et des activités qui peuvent interagir. La mairie de Tarnos a été très ambitieuse, puisqu’elle va rester propriétaire des toits qui offrent une vue à 180° entre la montagne et l’océan pour donner un accès public à ces toits. Nous avons associé l’ensemble des Tarnosiens à la réflexion.
A Béhasque-Lapiste nous avons un projet en habitat participatif dans lequel nous associons non seulement les riverains mais aussi tous les habitants du village. L’acceptabilité des projets veut qu’on les élabore avec l’environnement proche, voire avec celui de la ville ou du village, et que ce projet puisse aussi amener quelque chose à son environnement. C’est donc une nouvelle manière d’appréhender l’urbanisme avec des projets qui sont coconstruits avec les citoyens. Nous ne sommes plus dans une ville dortoir où je viens vite et je m’en vais… Il faut que les citoyens s’impliquent, que les associations puissent fonctionner
Cet entretien avec Imed Robanna se poursuivra en novembre dans Enbata pour aborder notamment les contradictions à résoudre entre urgence écologique et besoin de produire des logements, l’habitat participatif, la visite de la Ministre du logement en Pays Basque, le rôle de la société civile…
J’ai 80 ans et tout celà ne me concerne plus …mais j’ai apprécié la justesse de l’analyse et l’intelligence des propositions .Il reste encore des hommes de bonne volonté dans notre pays , et peur être plus qu’ailleurs , merci