Cinq basques sont assis sur un banc —un très grand banc— et conversent. Le premier dit “To !”. Le second rajoute “Dia !”. Le troisième poursuit “Bah ?!”. Le quatrième surenchérit : “Hé bé !”. Le dernier se lève et dit : “Bon. Si vous continuez à discuter politique, moi je me casse”. Une histoire de basques racontée par des basques pour s’auto-railler, cela est plaisant. Pourtant, je l’ai entendue de la bouche d’un basque, certes, mais gangrené par un jacobinisme certain, au milieu des années 90.
A l’époque, j’étais syndiqué à la CGT et cette blague émanait d’un responsable de ce syndicat de l’union “locale”, sise à Bayonne. Il portait de plus un nom basque à coucher dehors. Depuis vingt ans, je la raconte de temps en temps car en y réfléchissant, elle se décrypte en fonction des pensées philosophico-politiques de son narrateur. Du point de vue d’un militant cégétiste et communiste qu’il était, je la prendrais presque au 1er degré. Ou au 3ème, c’est selon. Un basque — traduisons un abertzale— est non seulement incapable de parler politique mais par extension ne peut le faire qu’en déployant des idées de droite. Je ne sais si l’extrapolation me gagne, agrémentée d’une once de paranoïa, mais ce discours de gens de gauche qui n’ont pas ce sentiment d’appartenance au Pays Basque enraciné en eux, rejoint une assertion communément ressassée : les “Basques” sont majoritairement et fondamentalement de droite.
Marx attaque !
Objectivement, cela est de moins en moins vrai. Pour la première fois de son histoire électorale, le Pays Basque Nord a voté à 51 % à gauche (toutes candidatures confondues, incluant EH Bai) aux législatives de 2012. Et ici, c’est un sacré événement passé presque inaperçu. La progression vient en bonne partie de l’intérieur qui, évolution des mentalités oblige, ne vote plus à 80 % pour un cacique comme au bon vieux temps des Dubosq et autre Inchauspé. Des vraies assistantes sociales se sont substituées à eux et l’oeuvre des abertzale en général et celui des militants paysans en particulier ont fait le reste. Néanmoins, la “réaction” est toujours tenace en terres rurales comme sur la côte même si les Grenet et autre Alliot Marie ont, pour leur plus grand bien, connu les affres de la défaite lors des dernières législatives. Alors pourquoi donc encore tant de ressentiments de la part de femmes et d’hommes sincères et véritablement de gauche pour qui toute expression politique “baskoï” fleure bon la suspicion de vouloir frayer avec des forces réactionnaires ? Sont-ce, dans un registre historique, les alliances objectives de quelques bretons durant le 2ème conflit mondial avec le régime nazi croyant que l’heure de l’autonomie celte avait sonné ? Est ce l’impossibilité pour ces progressistes de réfuter l’idée, à l’instar de notre cher Karl, que “les nations divisent la classe ouvrière” (1) et que seul le combat de l’émancipation sociale mérite d’être mené, confortant pleinement le concept de lutte des classes ?
Au banc des accusés
Qu’est ce qui fait qu’au PS, l’aile gauche est la plus jacobine rejoignant en cela les camarades souverainistes communistes, sans besoin de rajouter l’adjectif français par trop pléonastique? C’est à croire qu’ici, toutes ces forces vives de gauche ont éclipsé de leur mémoire militante tous les combats sociaux dans lesquels les abertzale ont pris part depuis plus de 50 ans ! Nos pamphlets des années fin 70/début 80 n’auraient donc eu aucune incidence dans leur appréciation de notre combat sociétal ? Et notre “Libération nationale et sociale du peuple travailleur basque” portée comme un étendard au sein des Herri talde (2) et presque comme un programme politique à part entière, elle ne vaut pas un fifrelin ? Il faut dire que les alliances municipales avec le centre droit à Anglet et Biarritz depuis les années 90 sont venues apporter de l’eau au moulin à ces réfractaires à l’idée que la majorité des abertzale est de gauche. Si l’on rajoute à cela l’incompréhension du maintien d’une liste abertzale bayonnaise au second tour des dernières municipales faisant penser aux progressistes locaux que “les basques” ont favorisé le succès de l’UMP/UDI, il y a matière à une introspection collective chez les abertzale. L’enfer, ce n’est pas toujours les autres.
Banco ?
D’autant que pour la première fois de son existence, le PS présentera pour les élections régionales de décembre, une liste, départementale qui plus est, qui défendra une EPCI unique pour Iparralde. De même, elle inclue en son sein deux militants, en position éligible, non membres du PS et qui n’ont pas de mandat électif : un militant syndicaliste CGT du Béarn et un abertzale de gauche ici. Les instances locales du PS seraient-elles sur une voie sincère de rencontre avec d’autres forces de gauche —notamment abertzale— délaissant une stratégie hégémonique ? Où l’état de délabrement du PS hexagonal et de sa gestion du pouvoir depuis 2012 pousse-t-il les socialistes basques et béarnais à entamer un semblant de rapprochement tactique éphémère à des seules fins électoralistes ? Si l’avenir corrobore cette dernière hypothèse, il faudra vraiment “se lever du banc et se casser”. Si, par contre, une façon nouvelle de concevoir une stratégie électorale se dessine, s’il existe une réelle volonté d’envisager un possible pour une démarche alternative et plurielle à gauche, alors la question du banc d’essai mérite d’être posée ici en Pays Basque Nord.
(1) Propos de Marc Ferro sur France info du 23/09/2015 au sujet de la sortie de son dernier essai L’aveuglement. Une autre histoire de notre monde aux éditions Tallandier.
(2) Mouvement de la gauche abertzale en Pays Basque Nord de la fin des années 70 à 1985, porté par une partie de la génération du baby boom. Même Wikipédia a du mal à en écrire plus de trois lignes !
Je ne chercherais pas à analyser le pourquoi de ce rejet. Je donnerais juste des témoignages.
Un collègue, à qui je disais que mes enfants allaient en Ikastola, me répondait:
Je ne suis pas contre, mais ne vaudrait-il pas mieux attendre qu’ils aient un certain age? .
Un peu comme jadis on disait que l’on ne devrait pas choisir une religion avant d’être adultes.
Il y a vingt ans, un élu socialiste avouait:
Nous gascons avons abandonné notre langue afin d’être mieux intégrés dans la société française. Ce n’est pas le cas des basques.
Il y a comme une culpabilité mêlée de jalousie.
Dans les 2 cas il y a une incompréhension du fait basque. Et je pense que même si on s’appelle Etxe-xxx, on partage ce point de vue sur l’anomalie basque.
Ça explique beaucoup.