Nombreux sont les abertzale qui appellent de leur voeu l’organisation d’EH Bai en véritable parti unique de la gauche abertzale d’Iparralde en lieu et place des trois organisations constitutives de la coalition actuelle. Mais comment faire vivre un mouvement unitaire alors que les adhérents dont les cotisations sont la seule source de financement se font si rares?
Lors de la dernière assemblée générale d’Euskal Herria Bai, un propos entendu dans la salle m’a interpellé, assez pour qu’il me semble utile d’y revenir ici.
Ce n’est pas trahir un secret que de dire qu’Euskal Herria Bai, actuellement encore dans sa phase de structuration, a besoin de cotisations afin de pouvoir fonctionner convenablement.
Je le rappelais lors d’une précédente chronique, nous sommes loin des confortables conditions de vie des grands partis hexagonaux.
La part du colibri
Il est de mode de citer Pierre Rabhi et sa fameuse “part du colibri” pour inviter les gens de bonne volonté à consentir à un effort même minime pour —tous ces petits efforts mis bout à bout— alimenter la grande dynamique collective.
Ce précepte est évidemment valable pour faire vivre un mouvement politique tel qu’EH Bai, mouvement unitaire appelé à vivre des seules cotisations de ses membres.
Est-il utile de rappeler – je pense que oui –, que la raison d’être de ce mouvement était de suppléer les trois partis politiques qui le constituaient sous la forme d’une coalition encore récemment ?
A terme, c’est-à-dire une fois le mouvement politiquement mature et économiquement viable, toute représentation formelle des trois partis au sein de l’exécutif d’EH Bai est appelée à disparaître.
En ce qui me concerne, il me tarde ce jour où, avec les autres membres d’AB, nous pourrons joyeusement saborder notre parti qui aura alors cessé de remplir sa fonction politique, dont on aura l’immodestie de considérer qu’elle aura été importante.
Pourtant, alors que nous devrions en être à nous demander si le moment est enfin venu ou au moins s’il est proche, le constat est là: EH Bai fonctionne encore largement grâce aux moyens financiers, matériels et humains de ces partis qui l’ont enfanté.
Quelles que soient les raisons qui expliquent cette situation, le fait est que le nombre d’adhérent-es est insuffisant, le volume des cotisations trop faible, la fréquentation des groupes locaux misérable.
Je me souviens pourtant de cette grande enquête, réalisée il y a trois ans à peine, dans laquelle 3.500 abertzale appelaient de leurs voeux la pérennisation de ce mouvement unitaire, dans lequel les partis seraient inutiles.
Un bel élan, en vérité ; mais où sont ces 3.500 abertzale aujourd’hui, dont tant s’affirmaient “indépendants des partis” ? Personne n’en doute, ils sont là, prêts à donner un coup de main quand on les sollicite, à marcher dans une manif ou à participer ponctuellement à une campagne. Mais le fonctionnement d’un mouvement réclame tellement plus que cela… “Pas le temps”, “déjà investi ailleurs”, “en charge de famille”, “pas les moyens de payer une grosse cotisation”, toutes les raisons peuvent se comprendre.
Mais un abertzale manquant de temps est-il incapable de compenser par un virement automatique ? Inversement, un abertzale ne pouvant verser davantage qu’une obole symbolique manque-t-il aussi d’un peu de temps à consacrer à son groupe local? Faut-il vraiment qu’EH Bai perde le peu de moyens qu’il a à aller chercher un par un par la main tous ces gens qui avaient si spontanément appelé à sa création ?
Vouloir un mouvement “au-dessus des partis” réclame un peu plus de volontarisme…
Faire vivre AB pour faire vivre EH Bai
Le paradoxe est donc là : lors de cette dernière assemblée générale d’EH Bai, durant un échange au sujet des cotisations, un militant prit le micro pour se dire prêt à augmenter sa cotisation, mais soulignant qu’il en avait déjà une à AB et hésitait à “déshabiller Pierre pour habiller Paul”.
Intéressante réflexion, vu les circonstances, car en théorie continuer à adhérer à AB devrait effectivement passer comme autant de moyens en moins pour EH Bai.
Mais c’est oublier qu’EH Bai, qui peine déjà à payer son unique permanent, fonctionne de facto grâce à l’apport quotidien de deux autres permanentes, l’une de Sortu et l’autre d’AB.
Cette dernière, qui représente 100% de la masse salariale de son petit parti, n’est payée que grâce aux seules cotisations de ses membres.
Qu’AB cesse de pouvoir financer son poste et c’est en réalité EH Bai (mais aussi accessoirement Batera…) qui perdraient une permanente et non des moindres !
Quelles que soient les raisons
qui expliquent cette situation,
le nombre d’adhérent-es
est insuffisant,
le volume des cotisations
trop faible,
la fréquentation des groupes locaux
misérable.
Se donner les moyens de ses ambitions
A cette heure, je continue à penser qu’AB devrait disparaître pour se fondre dans EH Bai. Mais il est clair que matériellement comme humainement, si franchir ce pas ne changerait rien pour AB qui n’a quasiment plus de fonction publique propre et consacre 99% de ses moyens à des dynamiques collectives, ce serait par contre dramatique pour EH Bai. En continuant à cotiser pour AB, le militant de l’AG d’EH Bai ne déshabille pas EH Bai ; bien au contraire, il lui assure de passer l’hiver au chaud ! En disant cela, et compte tenu de la situation financière plus que précaire d’AB, j’appelle ses adhérent-es à augmenter leur soutien car aider AB, c’est en fait aider EH Bai.
Mais surtout, j’insiste auprès de tous ces “abertzale indépendants” qui affirment vouloir un mouvement unitaire fort, surtout ceux qui souhaitent légitimement qu’il puisse fonctionner sans les partis, à élever leur participation à EH Bai au niveau de leur ambition et à montrer ce volontarisme soit par leur investissement militant, soit par leur investissement financier, ou mieux par les deux.
Car EH Bai ne pourra fonctionner seulement par une sympathie de principe.