Avec une majorité de députés abertzale (10 sur 18 élus), la Communauté autonome basque voit l’électorat de droite espagnoliste s’effacer de la carte. Seuls les socialistes résistent. En Catalogne, les républicains indépendantistes d’ERC arrivent en tête, ils sont deux fois plus nombreux que ceux de JxCAT (Puigdemont). Le PP subit une défaite historique en Espagne où le PSOE arrive largement en tête : il aura besoin de s’allier à d’autres formations pour obtenir une majorité absolue et pourra quasiment se passer du soutien des indépendantistes catalans.
La revendication catalane et l’émergence annoncée d’une extrême droite jusque là peu visible, ont fortement mobilisé l’électorat des élections législatives anticipées (députés et sénateur) du 28 avril : autour de 75 % de participation et même davantage encore en Catalogne, soit une dizaine de points de plus que pour le scrutin de 2016.
Dans la Communauté autonome basque (CAV), les deux partis abertzale progressent, en particulier EH Bildu qui voit sa représentation doubler : elle passe de 2 à 4 députés, plus un sénateur. Le PNV gagne un élu, il passe la barre des 30 % des voix et obtient 9 sénateurs. La politique des petits pas du Parti nationaliste basque reçoit une onction électorale, alors qu’il a obtenu la veille du scrutin le transfert par Madrid de la compétence sur l’autoroute AP68 (*).
EH Bildu poursuit son aggiornamiento politique. Il a compris, au regard de l’exemple d’ERC avec lequel il fait liste commune pour les Européennes, que sa présence aux Cortes devait sortir du symbolique ou du témoignage et contribuer à faire bouger les choses. L’augmentation de son poids et donc de sa capacité d’influence, arrive à point nommé.
EH Bildu a compris, au regard de l’exemple d’ERC,
que sa présence aux Cortes devait sortir du symbolique
ou du témoignage et contribuer à faire bouger les choses.
L’augmentation de son poids
et donc de sa capacité d’influence,
arrive à point nommé.
La progression d’EH Bildu et du PSOE se fait au détriment de Podemos dont la représentation diminue de moitié. Les socialistes gagnent des points, dans le droit fil de leur montée en puissance générale. La nouveauté de ce scrutin dans la Communauté autonome basque est qu’elle n’enverra aucun député de droite espagnoliste à Madrid, une première depuis 1989. L’effondrement du PP n’a pas été compensé par l’émergence de l’extrême droite de Vox ou celle des ultra-jacobins Ciudadanos qui restent marginaux. Tous ont fait campagne sur le thème d’une recentralisation de l’État espagnol, option qui ne fait pas recette dans notre pays et même suscite des démissions dans les rangs du PP local.
Nafarroan
En Navarre, les partis de droite espagnoliste —UPN, PP et Ciudadanos rassemblés sous l’étiquette NA+ — sauvent les meubles : ils arrivent en tête et maintiennent leur représentation, bien qu’ils perdent 20.000 par rapport à 2016. Les socialistes récupèrent un siège au détriment de Podemos. Les abertzale divisés entre Geroa bai et EH Bildu augmentent leurs scores mais mordent la poussière : ils n’obtiendront aucun député. N’étant pas parvenus à bâtir une unité d’action comme l’a fait la droite espagnoliste, les abertzale payent le prix de la division. Ce résultat laisse augurer de grandes difficultés pour conserver le pouvoir aux prochaines élections régionales. La coalition Geroa bai, Podemos, EH Bildu aura du mal à s’opposer à un accord entre socialistes et droite espagnolistes qui ont pour priorité d’écarter les abertzale du pouvoir.
En Catalogne, 5 preso élus députés et sénateur
Tous les yeux étaient rivés sur la Catalogne, tant elle est à l’origine de la crise majeure que traverse l’État espagnol. La mobilisation des électeurs a été très forte (77,58 %, soit 14 % de plus qu’en 2016). La surprise est venue d’ERC dont la tête de liste Oriol Junqueras est toujours en prison. Via des enregistrements audio et audio visuels ou la visio-conférence, la commission électorale espagnole, dans sa grande mansuétude, lui a permis dans une certaine mesure de faire campagne. Les indépendantistes républicains arrivent en tête au soir du 28 avril : ils totalisent 15 députés, soit un gain de 6 élus, et sont devant les socialistes qui eux aussi, augmentent leur poids électoral de façon significative. L’hémorragie du PSOE, le grand malade de la vie politique catalane, est stoppée au détriment de Podemos qui perd 5 députés qu’apparemment les socialistes récupèrent. Le parti de Carles Puigdemont JxCat ne perd qu’un seul élu, les sondages prédisaient pourtant son effondrement. Mais avec ses 7 députés, il se situe loin derrière ERC, alors que le parti autonomiste dont il est issu (CiU) domina longtemps la vie du pays. Les catalanistes ont préféré l’original à la photocopie.
Beau défi jeté à la face de la pseudo démocratie espagnole, les électeurs catalans ont élu cinq prisonniers politiques députés et sénateur, deux pour ERC et trois pour JxCat.
La carte politique catalane poursuit ainsi sa mutation. La tendance autonomiste Unió avec laquelle Artur Mas puis Carles Puigdemont ont rompu, n’apparaît toujours pas dans le panorama, mais grand est le risque qu’elle émerge à nouveau un jour. Comme dans la CAV, le PP s’effondre en Catalogne, sa représentation passe de 5 à un seul élu. Ciudadanos se maintient avec 5 députés sur les 47 que compte le pays.
Etat espagnol
En Espagne, le premier ministre socialiste Pedro Sanchez a en grande partie gagné son pari. Il arrive en tête et augmente son score par rapport à 2016 (28,68 %, 123 députés, soit un gain de 38 élus). Ses capacités de gestion et les mesures sociales mises en œuvre pendant ses dix mois au pouvoir, lui ont permis de gagner du terrain en remobilisant sa base électorale. Le refus de Podemos de signer une union de la gauche, ainsi que ses dissensions internes aboutissent à une érosion fatale de ce nouveau parti qui avait suscité tant d’espoirs. Le soufflé se dégonfle.
A droite, l’effondrement du PP est énorme. Déjà affaibli, il perd aujourd’hui plus de la moitié de son électorat, avec seulement 16,70 % des voix. Son virage à droite est un flop. Pour un parti qui détenait la majorité absolue il y a moins de 20 ans, la chute est colossale. Les deux bénéficiaires sont Ciudadanos et le parti d’extrême droite Vox. Mais le total des voix de droite se situe trop loin de la majorité absolue, même avec l’apport des petits partis «périphériques». La droite espagnole sort fracturée de ce scrutin. Vox joue le rôle de trublion voire de «machine infernale» comme le FN en France.
Pedro Sanchez s’apprête donc à tutoyer la majorité absolue. Il devra compter sur Podemos dont la chute calmera les prétentions et l’arrogance, comme ce fut le cas en 2018. L’appui du PNV est acquis aux socialistes, d’abord parce que le PNV a besoin du PSOE pour gouverner la Communauté autonome, ensuite parce que ce soutien se fait au prix de l’octroi de quelques compétences qui, sur le papier, attendent depuis 1979 d’arriver aux mains des Basques. A ce jeu de négociations qui concernent des sujets assez dérisoires et bien loin des pouvoirs régaliens, les deux partenaires sont rodés.
Conflit gelé
Enfin, Pedro Sanchez doit associer de petites formations locales, les Valenciens de Compromis (1 député), les Canariens (2), les régionalistes cantabres (1). La grande addition aboutit à 175 députés sur 350. Il suffit donc d’une abstention pour que le leader socialiste atteigne la majorité absolue. Gageons que rien ne sera simple et qu’il rencontrera des difficultés, voire subira «le supplice», comme hier José Luis Zapatero pour faire approuver la moindre loi.
Mais la grande victoire de Pedro Sanchez se situe ailleurs : il ne dépend quasiment plus des députés indépendantistes catalans, comme c’était le cas hier. Dès lors, la revendication indépendantiste, dans la mesure où elle est ainsi circonscrite sans mettre en péril la gouvernabilité de l’Espagne, va devenir un conflit gelé: maintien du statu quo et immobilisme. Pedro Sanchez ne pourra pas être accusé de traîtrise par une droite déchaînée, sous prétexte qu’il négocie avec les Catalans et brade l’unité sacrée de la patrie. Les Espagnols redoutaient que le catalanisme fasse tache d’huile au sud, en Pays Valencien qui parle une langue très proche, il n’en sera rien pour l’instant.
Rares sont les voix qui s’élèvent en Espagne pour rechercher et construire une solution à la question souverainiste catalane. Elles émanent en général de «has been», grands juristes constitutionalistes ou ex-chefs de gouvernement comme Felipe Gonzalez ou José Luis Zapatero. Ils prônent une solution de type Etat confédéral passant par une modification de la Constitution. Impossible pour un gouvernement à la majorité si fragile de mettre en œuvre un chantier de cette ampleur et à si haut risque. Le souci du maintien au pouvoir et la pression du court terme priment sur tout le reste.
(*) Ce transfert diminue de deux millions d’euros le montant du Cupo, la quote-part que la Communauté autonome verse à l’État central. L’autoroute dont la concession à la société Abertis s’achève en 206, était la seule voie qui ne relevait pas d’une compétence forale.
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