Plus qu’une première, c’est un séisme. Son élection met fin à un siècle de suprématie unioniste anglaise en Irlande du Nord. Par les urnes et non par les armes. Les pourparlers pour la réunification de l’île sont à l’ordre du jour.
Celle qui dirige depuis le 3 février le gouvernement nord-irlandais est née il y a 47 ans dans un village du comté de Cork (1), au sud-ouest de l’île. Peu après, sa famille s’installe au centre de l’Ulster, à Dungannon. Nous sommes en 1982, la région est alors l’épicentre de la rébellion nord-irlandaise qui a démarré dix ans plus tôt. La ville est le théâtre de nombreuses embuscades mortelles entre l’IRA et l’armée britannique. Son père Brendan Doris, ouvrier, est incarcéré en tant que membre de l’Armée républicaine ir landaise. Un de ses cousins, soldat de l’IRA, tombe sous les balles des forces spéciales anglaises. Son oncle prend la tête d’un comité chargé de collecter des fonds pour l’IRA aux États-Unis. Celle qui dirige aujourd’hui un gouvernement partagé entre catholiques et protestants a déclaré : « La guerre survint en Irlande et à cette époque, il n’y avait pas d’alternative». Grandir dans ce climat de violences brutales, de répression, de souffrances et de blocage politique a pesé lourd dans ses engagements politiques ultérieurs.
Après une formation de conseillère en droits sociaux, la carrière politique de Michelle O’Neill démarre avec un mandat municipal et comme assistante parlementaire d’un député régional du Sinn Féin. Son père fut déjà conseiller municipal de la ville de Dungannon, cité de 50.000 habitants à majorité républicaine. Elle en devient maire, puis son parti lui propose un siège au parlement de Belfast où elle obtient le poste de conseillère (ministre) du gouvernement autonome, en charge de l’agriculture et du développement rural, puis de la santé. Elle y procède alors à la fin de l’interdiction pour les homosexuels et bisexuels de donner leur sang et soutient la légalisation de l’avortement et du mariage homosexuel. Des positions qui détonnent dans le paysage politique irlandais très conservateur sur le plan sociétal.
La promotion de Michelle O’Neill dans le groupe parlementaire du Sinn Féin se situe dans le sillage de Martin McGuinness, leader connu de l’IRA, qui incarna l’esprit de l’Accord du Vendredi saint en 1998 : il organisa alors l’arrêt du conflit et la mise en œuvre d’une gouvernance partagée entre les deux adversaires historiques, dont Ian Paisley, leader du parti unioniste DUP. Quelques années plus tard, McGuinness osa briser un tabou en saluant la reine d’Angleterre lors d’une visite officielle en Irlande.
Deux femmes à la tête du Sinn Féin
En tant que vice-première ministre de l’Ulster, Michelle O’Neill prit la suite de McGuiness après son décès – elle aide à porter son cercueil lors de ses funérailles. Ce jour-là, elle accomplit un geste symbolique et politique fort en franchissant les bancs de l’église pour aller remercier de sa présence l’Unioniste Arlene Foster, plusieurs fois première ministre d’Irlande du Nord, fille d’un combattant qui subit un grave attentat de l’IRA.
Le nouveau Sinn Féin est aujourd’hui incarné par deux femmes, Michelle O’Neill au nord et Mary Lou McDonald à Dublin, cette dernière ayant obtenu des succès électoraux inédits. La première représente la nouvelle génération, celle qui a grandi après les cessez-le-feu des années 1990, note le leader Gerry Adams.
Être enceinte de sa fille Saiorse, alors qu’elle était adolescente, fut une épreuve qui endurcit durablement Michelle O’Neill. Elle en témoigne dans une interview accordée au Belfast Telegraph : « Je connais les situations difficiles. Je sais ce que veut dire lutter, aller à l’école et avoir un enfant à la maison, pendant que tu bûches pour tes examens». Dans une autre déclaration, elle décrit la cruauté de la vie dans le lycée catholique qu’elle fréquentait, une mère de 16 ans y était mal vue, hormis auprès d’une enseignante. Aujourd’hui grand-mère, Michelle O’Neill a eu deux enfants. Le vétéran du Sinn Féin Francis Molloy évoque son indomptable énergie forgée dans les épreuves de la vie et ajoute : « Elle nous fit grande impression en arrivant au conseil municipal de Dungannon. C’est quelqu’un qui n’improvise pas, elle écoute et observe ».
Pour la première fois dans l’histoire de l’Ulster, un dirigeant du Sinn Féin aura comme chauffeur et garde du corps un membre de la police locale. Pour occuper ces fonctions, le parti républicain utilisait toujours ses propres militants, tant il se méfiait de la police officielle. Ce changement est un nouveau signe de l’évolution actuelle de l’Irlande du Nord. Tout juste élue, la nouvelle présidente de l’Ulster a déclaré vouloir « offrir un leadership inclusif, qui célèbre la diversité, qui garantit les droits et l’égalité pour ceux qui ont été exclus, discriminés ou ignorés dans le passé». L’Accord du Vendredi saint signé il y a 26 ans donne au ministre britannique en charge de l’Ulster le pouvoir d’organiser une consultation « si à moment donné, il estime probable qu’une majorité de votants est disposée à se prononcer pour que l’Irlande du Nord cesse de faire partie du Royaume-uni et rejoigne l’Irlande». Avec la courtoisie et la fermeté qui lui siéent, Michelle O’Neill vient de demander aux gouvernements de Londres et de Dublin de commencer à préparer la nécessaire « conversation constitutionnelle » débouchant sur une consultation pour réunifier l’île. « La question n’est plus de savoir si, mais quand se tiendra le référendum sur la réunification », affirme la nouvelle présidente d’Irlande du Nord.
(1) Le lord-maire de Cork, Terence MacSwiney, mourut en 1920 après 74 jours de grève de la faim, en héros de la cause républicaine irlandaise. https://www.persee.fr/doc/ irlan_0183-973x_1979_num_4_1_2599