Les revenants des camps de concentration ne reviennent pas.
Charlotte Delbo, dans Auschwitz et après[1], explique très bien que personne ne revient, même ceux qui ont survécu, en apparence.
Après Auschwitz, les mots ont changé de sens, neige ne veut pas dire neige, froid ne vous donnera aucune idée du froid et faim n’est pas votre faim. Quant à la mort, ce n’est pas la mort et ce n’est qu’au retour, retour apparent, qu’une telle saura que sa sœur, morte à Auschwitz, n’est plus. Là-bas la sœur morte était cou rompu, tête à l’envers, trou pour les yeux, corps sur brouette et jambes maigres bûchettes.
Ici, la sœur morte est l’absente, elle est l’absence, insupportable.
Les revenants ne reviennent pas ; ils ne peuvent pas expliquer ; ils ne peuvent pas montrer ces deux choses à la fois : qu’ils sont là et qu’ils ne sont plus.
C’est la phénoménale perversité d’Auschwitz : s’ils sont là, les rares survivants, c’est qu’on peut nier la mort par laquelle ils sont passés. Ils veulent être preuve de ce qui s’est passé, et ils s’horrifient de comprendre qu’ils sont preuve, pour qui ne veut pas voir, ne peut pas voir, du contraire.
Pervers, les énoncés paradoxaux.
Le revenant ne revient pas.
Le mort parle.
Ça, c’est Auschwitz.
Quand les alliés entrent à Neuengamme, un des plus grands camps de concentration situé à une vingtaine de kilomètres de Hambourg, il est vide. Douze mille prisonniers, sur cent mille qui passèrent à Neuengamme de 1939 à 1945, ont été conduits, par train et marche à pied, vers la baie de Lübeck. Les archives sont détruites. Les nazis responsables du camp entassent les déportés qui ont résisté au transport (environ 9000) dans des bateaux, dont le Cap-Arcona. Le drapeau nazi est hissé. Les alliés bombardent. Non seulement, les preuves en costume rayé s’embrasent et se noient mais encore ce sont les Anglais qui sont responsables, les sauveurs qui sont devenus bourreaux. C’est la phénoménale perversité du IIIème Reich, le monde et la langue à l’envers.
On voulait un monde plus beau, raconte Charlotte Delbo. On croyait à un monde plus beau, où les hommes et les femmes auraient souci de leur bien-être, auraient souci de petites choses, se concentreraient sur leurs enfants, leurs amours. Liraient des fictions pour agrandir la vie. Se cultiveraient. On est revenu et on ne peut plus ouvrir un livre. La connaissance de tout ce qui est écrit là, on l’a en vrai, en nous, sans vos mensonges, illusions et métaphores. Ceux qui regardent leur nombril et chipotent, on a du mal, même si on ne dit rien, à supporter. Pourtant, on se battait pour une vie plus belle pour tous.
Auschwitz a fait des croyants des incroyants.
Des historiens ont conduit des travaux remarquables[2], des survivants ont raconté remarquablement, Primo Levi, Charlotte Delbo, Robert Antelme, tant d’autres.
Des historiens[3] ont répondu point par point à ceux qui sont séduits par les rhétoriques perverses et les énoncés qui s’annulent, qui pensent qu’on peut tout dire et le contraire, tout penser et le contraire et qui, guidés, selon les cas, par la maladie psychique, l’opportunisme ou le cynisme, suggèrent que les chambres à gaz n’ont pas existé.
On n’y revient pas, on ne convainc jamais les pervers, ceux, du moins, qui usent de codes pervers. On en appelle à la loi. Et on censure.
Bien sûr il y a des pitres, qui n’amusent plus, qui se rient, nous dit-on, de la loi. Ce n’est pas vrai. Ils s’amusent et profitent de la publicité qu’on leur fait, du buzz, mais pas de la loi.
Un spectacle est une œuvre, le travail d’un homme de plus ou moins grand talent. Et l’œuvre d’un homme, si on croit un peu aux mots, œuvre. Elle agit. Puisqu’elle agit, elle n’est pas libre. On la prend au sérieux. Une œuvre qui appelle à la haine et au mensonge, dans une société qui fait du racisme un délit et se réclame d’un rapport de vérité à soi-même, à la langue et à l’Histoire, on l’interdit. Mais on le fait en silence. On n’en fait pas débat parce que ce n’est pas un débat : les systèmes pervers tuent, les idéologies perverses tuent. On le sait. Alors, on les empêche de prospérer. Et on relit Charlotte Delbo, et on l’offre à lire.
[1] Charlotte Delbo, Aucun de nous ne reviendra, I. Une connaissance inutile II. La mesure des choses, III. Les éditions de Minuit.
[2] Annette Wiewiorka, Raoul Hilberg, pour ne citer qu’eux.
[3] Paul Vidal Naquet, Les assassins de la mémoire.
Fabuleux….. tu dis :”on l’interdit. Mais on le fait en silence…”
qui est fasciste?
celui qui rit et provoque avec l’insupportable ?
celui qui s’érige en bon penseur, et qui conseil la censure pour celui qui franchit la ligne rouge ?
celui qui consomme TV ,Closer, et démocratie en silence, pendant que son président pille Rwanda, Mali ou Centre Afrique, en attendant les prochaines élections et pour que tout recommence encore et encore ?
Où sont la haine et le mensonge?
Plein le cul de l’hyprocrise ambiante….les victimes de la Shoa (pas celui d’espelette…ttak!! quenelle !) sont les grand parents/parents des bourreaux de Gaza… Personne n’a le monopole de la douleur….et le bouclier de “victime” est bien ébréché pour qui regarde l’histoire ( avec ou sans grand h)…. alors oui parlons, débattons, dérapons !!! M’bala Mbala presidente !
Les victimes de la Shoa, dans la plus grande partie, n’ont pas pu avoir des fils, des filles ni des petits-fils ou petite-filles, car ils ont été assassinés. Ceux qui habitent Israel, tant juifs que palestiniens, sont confrontés à une violence exécrable, un cercle vicieuse qui ne fait que rendre de plus en plus difficile -et de plus en plus nécessaire- un accord qui leur permette de vivre ensemble, mais sans comparaison avec la Shoa.
Je ne crois pas que personne veuille avoir le monopole de la douleur; cela serait un triste monopole, et je trouve tout à fait misérable et humainement abominable de nier la douleur, la plus que douleur, l’immensité de douleur qu’on a infligé aux juifs, de ne pas trouver insupportable l’idée même de cette épreuve insurmontable pour n’importe quel être humain.
Bakartxo
j’aime ta voix Marie, faudrait qu’on t’écoute plus !
Merci Marie pour ce très bel article.
je partage entièrement ce que vous dites de très belle manière qui plus est…
milesker beraz berriz ere
Xan