Ospitalea présente à Irissarry une exposition sur les dernières décennies du royaume basque qui s’efforce de demeurer souverain. Elle arrive à point nommée, 500 ans après la chute du château d’Amaiur, dernier bastion de la résistance.
La Navarre « telle un pou que se disputent deux singes » (1), a défendu jusqu’au bout les derniers pans de sa souveraineté que les monarques français et espagnols s’efforçaient de lui ravir. Cette histoire tumultueuse dans une époque complexe, se déroule sur fonds de luttes de pouvoirs mêlées aux guerres de religions et à l’émergence des idées nouvelles, celles de la Renaissance. C’est ce que nous présente avec clarté et pédagogie une exposition qui a lieu jusqu’au 25 juin au Centre d’éducation au patrimoine Ospitalea d’Irisarri. Elle met l’accent sur le rôle des reines navarraises, en particulier celui de Jeanne d’Albret dont les idées philosophiques et politiques sont étonnamment modernes. Elles en surprendront plus d’un. L’exposition est accompagné d’un film de Kanaldude : visite guidée de Saint Palais dont plusieurs édifices demeurent les témoins des derniers feux de notre royaume, avec la présence d’un intellectuel et écrivain aussi brillant qu’Arnaud d’Oihenart. Cette visite en euskara a pour guides des Bas-Navarrais d’aujourd’hui.
On sait combien dès le XVIe siècle, la disparition du royaume fit l’objet d’une guerre du récit, d’une instrumentalisation de l’histoire. Les grands desseins politiques exigent le contrôle du passé, Vladimir Poutine ne nous démentira pas. États centraux comme empires veulent à tout prix prouver la légitimité de leur appropriation de territoires. Mais face à ces rouleaux compresseurs, même une province aussi réduite que la Basse-Navarre refusa jusqu’à la Révolution de 1789 d’accepter son intégration à la France. Ses représentants le firent alors clairement savoir.
Au Nord comme au Sud, une nouvelle génération d’historiens rétablit la réalité des faits, les contextualise différemment, exhume des documents longtemps laissés de côté au profit du roman national franco-espagnol. Cette exposition est l’expression de ce regard porté sur notre passé que l’école de la république française occulte toujours largement dans son enseignement « public, gratuit, laïc et obligatoire ».
L’ensemble de l’exposition est trilingue, basque, gascon et français, ce qui est une nouveauté. Autour d’elle, une série de conférences et de spectacles sont organisés : le 25 mai à 19h, spectacle d’Asisko Urmeneta: L’argumentaire de M. Lostal, discours graphique et humoristique (euskaraz). Le 10 juin à 18h30, conférence de Philippe Chareyre, professeur d’histoire moderne, Université de Pau : Trois princesses au service de la Renaissance. Le 17 juin à 19h, conférence visuelle chantée par Jean-Yves Roques & Pantxix Bidart, Sous les pas de Roland, pour une histoire de l’art en Pays basque, réservation obligatoire.
(1) Expression de Henri II d’Albret, roi de Navarre (1503-1555).
1620 Loraldia, la renaissance navarraise, au CEP Ospitalea d’Irissarry, jusqu’au 25 juin, ouvert du lundi au samedi de 10h à 12h30 et 13h30 à 17h30. Un livre trilingue complète cette exposition, il en est l’émanation, ce sont les actes du colloque de 2020 à St-Palais : Nafarroako Loraldia, Zabalik eta Nabarralde, 2021, 204 p.
Nafarroako erresumaren sortze, loratze eta lausotzeaBeñi Agirrek eskaini du Nafarroako erresumaren sortze, loratze eta lausotzearen inguruko hitzaldia Irisarriko Ospitalean. Nabarralde, Hernani Errotzen, Zabalik eta Ospitalea zentroak antolatu dute solasaldia eta Kanaldudek bildu du bideoan.
Une autre exposition s’est achevée à Pau, fin février : L’Art de régner, les souverains de Navarre à la Renaissance. Elle détaille la façon dont ils gèrent leur royaume avant et après 1512, date de leur repli sur leurs possessions souveraines au nord des Pyrénées, l’actuelle Basse-Navarre et la vicomté de Béarn. Ces souverains mettent en défense leur territoire en faisant appel aux meilleurs stratèges de leur temps, ils reconstruisent les institutions, réorganisent l’exercice du pouvoir en matière de justice, de finances, de religion et d’éducation. Espérons vivement que cette exposition sera bientôt présentée en Pays Basque.
Ellande a raison : de Jean II d’Aragon à Poutine en passant pas Hitler, l’histoire se répète ad nauseam à travers les siècles. Les puissances prédatrices préparent l’appropriation des territoires voisins convoités en y fomentant troubles et agitations et en y encourageant sécession et guerre civile pour, ensuite, justifier l’annexion. C’est ce qu’a fait Poutine en Géorgie ou au Donbass, Hitler dans les Sudètes et en Autriche, et Jean II d’Aragon en Navarre, en spoliant son fils Charles, principe de Viana, héritier légitime du trône de Navarre, à la mort de sa femme Blanche reine de Navarre en 1441. La guerre civile qui s’en est suivie (1451-1461), opposant les plus grandes familles du royaume, notamment les Beaumont et Lukuze, légitimistes alliés de l’héritier en titre, et les Gramont, ralliés à l’usurpateur, a laissé la Navarre, déjà pauvre et arriérée, dans un état de déliquescence institutionnelle et économique mortifère. La reine Catherine Grailly et son mari Jean d’Albret tenteront bien de réformer et de mettre un peu d’ordre dans le bazar dont ils avaient hérité, pour raffermir la présence de la Navarre face aux deux puissances émergentes de part et d’autre des montagnes.
En vain. La Navarre tombera comme un fruit, non pas mûr mais gâté, dans les mains de l’Aragon et de la Castille naissante, en 1512.
C’est tout le mérite de l’exposition d’Ospitalia de mettre en perspective les raisons qui ont conduit à l’affaiblissement et à l’annexion de la Navarre, avant de se focaliser sur le devenir du reliquat bas-navarrais du royaume jusqu’à la révolution française qui scellera définitivement son sort. A voir absolument la video filmée par Kanaldude de la rue principale de Donapaleu, regroupant les lieux du pouvoir royal (palais, justice, monnaie …) quand la cité fut la capitale du royaume après l’annexion. Et milesker à Mattin Irigoien, initiateur du projet, et à ses comparses amikuztar, d’avoir si agréablement ressuscité ces lieux et ces temps lointains où Donapaleu, minuscule cité sortie de nulle part, a pu se rêver en capitale d’un monde renaissant.