Lors de sa structuration, EH Bai doit en tant que mouvement approfondir des questions telles que celle de son espace politique et de ses fonctions. Il est urgent d’associer organisations politiques et mouvements sociaux pour penser une construction sociétale intégratrice.
EH Bai a franchi une étape en consacrant un regroupement des forces militantes abertzale de gauche. C’est une force qui pèse aujourd’hui dans le panorama politique du Pays Basque Nord. Le mouvement a de grandes ambitions liées à son projet politique: construction d’un pays et conquête de sa souveraineté, changement socio-économique en profondeur à visée émancipatrice pour tous les individus et préservation des conditions de vie sur terre pour les générations futures. Une page est tournée, mais au delà des débats sur le nouveau fonctionnement ou des batailles électorales immédiates, la nouvelle entité devra approfondir certaines questions comme celle de son espace et de ses fonctions. La réponse classique est connue : une organisation politique sert à prendre le pouvoir. Réponse peu satisfaisante car la version dominante de l’organisation politique dans nos systèmes “démocratiques” est celle d’une machine électorale au service de professionnels de la politique cumulant mandats et fonctions. Dirigeants politiques souvent discrédités pour leurs renoncements, leur pusillanimité et compromissions vis-à-vis des puissances financières. La crédibilité même de la politique comme levier pour améliorer le sort du plus grand nombre est mise en doute face aux multinationales et à leur lobby qui tentent sans relâche de réduire à la portion congrue la souveraineté populaire et la capacité des sociétés à décider de leur organisation, de leur avenir. Les grands médias, parfois imités localement, contribuent trop souvent à tirer la politique vers le bas en s’attachant à l’écume des choses, à la guerre des egos, à la peoplelisation au détriment des débats de fonds, des projets et des idées. Des échecs patents comme celui du NPA ou les difficultés du Front de Gauche en France à dépasser ses vieux schémas interpellent et confirment que l’action politique est en crise permanente.
Besoin de renouveau politique
Alors, comment agir et à quel niveau ? La question est compliquée et toujours sur le métier. Elle traverse aujourd’hui tous les mouvements qui, de par le monde, n’ont pas renoncé à une vision au-delà du capitalisme et des limites de la démocratie représentative. L’organisation politique est d’abord un intellectuel collectif qui en accumulant l’expérience et les réflexions permet de penser une situation, de définir des objectifs et des stratégies pour y parvenir. Mais l’erreur serait de croire que c’est seulement au sein de l’organisation politique que se décide et doit se décider la stratégie politique globale à laquelle tout le monde devra se plier. Ce schéma bien connu ne marche plus car il suscite la méfiance de beaucoup. Il ne marche plus car les gens qui s’engagent pour changer la vie veulent aussi être maîtres de leurs actes, être autonomes dans leurs réflexions et leurs combats, ce qui est une bonne nouvelle pour une perspective émancipatrice. La réflexion stratégique se mène aujourd’hui dans de multiples lieux autres que l’organisation politique (think tanks, syndicats, mouvement sociaux, associations…) et y est souvent plus novatrice. L’émergence de la mouvance alter, des forums sociaux, le mouvement des Indignés ou d’Occupy expriment ce besoin de renouveau de la politique.
L’organisation politique est d’abord un intellectuel collectif
qui en accumulant l’expérience et les réflexions
permet de penser une situation, de définir des objectifs
et des stratégies pour y parvenir.
Mais l’erreur serait de croire
que c’est seulement au sein de l’organisation politique
que se décide et doit se décider
la stratégie politique globale
à laquelle tout le monde devra se plier.
A l’écoute du peuple
L’organisation politique joue aussi le rôle d’incubateur de nouveau terrains de luttes ou d’alternatives concrètes. Mais souvent des luttes nées au sein ou à l’initiative d’organisations politiques se sont poursuivies par des structures dédiées, plus larges et concentrées sur un objectif. Au Pays Basque c’est un schéma connu dans lequel chaque terrain de lutte a sa structure spécifique: anti-répression, euskara, environnement, défense de la terre, soutien à l’agriculture paysanne, revendication institutionnelle, collectifs divers, sans oublier les organisations syndicales… Évolutions souvent positives pour les combats en question mais porteuses de contradictions: dispersion des forces militantes pour animer les multiples structures, restriction des fonctions de l’organisation politique soupçonnée de tentatives de récupération ou de téléguidage si elle intervient sur ces sujets. Même le terrain électoral, pourtant l’apanage des organisations politiques ne leur est pas acquis totalement puisque les élections municipales voient se constituer, la plupart du temps pour le meilleur, des regroupements locaux ad hoc. Alors que faire ? La question n’est pas nouvelle et la réponse reste à inventer en ce début du XXIe siècle au regard des riches expériences du passé. Pour cela être exigeants, autocritiques, attentifs à d’autres expériences, à l’écoute des classes et du peuple pour lequel on veut se battre. Chemin semé d’embûches mais perspective passionnante. Bon vent à EH Bai !