Et la joie dans tout ça ?

Keith Haring
Keith Haring

L’annulation de la plupart des fêtes populaires et rassemblements conviviaux n’est pas sans conséquence sur le climat ambiant, voire la santé mentale de nos sociétés. Il est nécessaire de doter nos engagements et rassemblements militants d’une dimension festive et joyeuse.

Le mois dernier, en pleine saison des Libertimendua, des jeunes du monde de la musique techno et du mouvement free party ont rassemblé plus de 600 personnes à Bayonne. Alors que les événements culturels ne sont pas autorisés, comment la jeunesse peut-elle manifester son désir profond de “vivre” ? Il se pourrait bien que cette soif de fête engendre un véritable phénomène culturel et social.

Le 6 Mars dernier, les rues de Bayonne ont vibré (littéralement) au rythme de la musique techno que diffusaient les sonos installées sur des camions. Décorés de banderoles, ces camions-sonos suivaient le parcours validé par la préfecture et des groupes de teufeurs-manifestants aux allures de zirtzil leur emboîtaient le pas. A l’origine de cette parade festive, différents Sound Systems, ces collectifs de bénévoles et amis qui organisent des raves parties. Et l’usage veut que dans ce genre de fêtes la musique s’écoute bien (bien) fort, faisant exploser le seuil du niveau sonore maximum autorisé. D’habitude, cela ne dérange pas grand monde, car ces soirées se déroulent dans la nature ou dans un lieu isolé. Mais cette fois, c’était différent, le but était d’être vus et surtout entendus.

“Moins de lois – Plus de joie !”

Évidemment, pas en scandant des slogans. Par contre, pancartes et banderoles étaient omniprésentes, avec messages drôles et percutants, usant des références, jeux de mots ou rimes pour dénoncer la loi sécurité globale, les mesures liberticides et la vie culturelle à l’arrêt. “La groupie s’ennuie de son pianiste“, “Si le gouvernement est sourd, la jeunesse sera bruyante”, “Nos caissons contre la répression” pouvait-on lire. Trouver La phrase qui fait sourire ou qui sonne bien pour en faire une pancarte, et ensuite la faire circuler sur les réseaux sociaux est la marque des jeunes militants d’aujourd’hui. D’ailleurs, le nombre de ces pancartes dans une manifestation peut être un bon indicateur de la prise d’une dynamique chez les jeunes.

Mais si ce 6 mars, les teufeurs étaient dans la rue, c’était avant tout pour montrer leur soutien aux organisateurs de la rave-party du 31 décembre dernier, à Lieuron, en Bretagne. Le collectif Maskarade avait organisé une soirée pour fêter le nouvel an et avait rassemblé plus de 2.500 personnes. Même si, selon l’Agence régionale de santé de Bretagne, aucun cluster n’a été signalé dans les jours qui ont suivi, quatre des organisateurs de cette soirée encourent jusqu’à dix ans de prison. Ces fêtes en temps de Covid peuvent sembler inconscientes voire criminelles pour certains. N’est-ce pas un manque de respect pour le travail du personnel soignant ? Mais on connaît maintenant aussi les effets des mesures sanitaires strictes sur la santé mentale pouvant aller jusqu’au suicide.

Au lieu de stigmatiser les jeunes qui organisent des fêtes et de les condamner, on pourrait davantage étudier la réelle incidence de ces événements sur le plan sanitaire et tout miser sur la prévention en leur fournissant des masques, du gel hydroalcoolique, comme a pu le faire l’association Techno+. De vraies propositions pourraient être étudiées pour qu’ils puissent faire la fête sans prendre trop de risques pour le reste de la population. Tous les teufeurs ne sont pas venus pour manifester, porter un message, et n’y prêtent pas une dimension politique. Beaucoup se sont joints au défilé car ils y ont vu une occasion pour danser, faire la fête et sortir de la morosité quotidienne. Avec l’annulation des fêtes de villages et des moments festifs comme Nafarroaren Eguna, Herri Urrats, EHZ, Lurrama… et faute de réouverture des boîtes de nuit, les soirées clandestines se multiplient comme à Ozaze, ou Senpere dont les récits déjà mythiques traversent Iparralde. D’autres découvrent les free parties qui depuis le premier déconfinement connaissent un succès grandissant avec un modèle de fête plus inclusif, respectueux et libertaire.

Ode à la joie

On a besoin de rire, d’amitié, d’accolades, d’amour, de musique, et de fêtes. Non seulement à titre personnel mais aussi collectivement. La joie est un élan très propice à la construction d’alternatives. Nos engagements associatifs seront difficiles à tenir individuellement et auront tendance à s’assécher s’ils restent complètement dénués de moments conviviaux. Plus qu’un palliatif, la fête devient une façon de cultiver la résilience et presque un acte de résistance.

Nos engagements associatifs
auront tendance à s’assécher
s’ils restent complètement dénués
de moments conviviaux.
Plus qu’un palliatif,
la fête devient une façon de cultiver la résilience
et presque un acte de résistance.

D’autant plus que ce contexte de restrictions a tendance à brouiller les frontières entre fête et revendication. Aujourd’hui les seuls rassemblements autorisés et sans limitation en nombre sont ceux des “manifestations revendicatives”. Voilà un interstice juridique qui permet à la fois d’oxygéner notre vie quotidienne mais aussi de repenser nos méthodes de militantisme pour les rendre plus vibrantes.

C’est ce que défend le livre Joie militante de Carla Bergman et Nick Montgomery. Véritable ode à la joie dans le militantisme, cet ouvrage tente d’ouvrir de nouveaux terrains de luttes par l’enthousiasme, le fun et le soin. Déjà à l’époque, Patxa l’avait compris en associant la fête et la lutte. On pourrait aujourd’hui au vu du contexte actuel, recycler son slogan en mettant l’accent cette fois, sur la joie comme un enjeu de première nécessité dans nos combats abertzale, de gauche, écologistes et féministes. Borroka bai, besta ere bai!

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2 thoughts on “Et la joie dans tout ça ?

  1. “Ces fêtes en temps de Covid peuvent sembler inconscientes voire criminelles pour certains. N’est-ce pas un manque de respect pour le travail du personnel soignant ?” Et non, ou s’il y a eu contaminations à l’occasion de cet événement elle ne sont pas liées à son caractère de fête techno. De même que les autres fêtes techno ou les multiples manifestations Black Lives Matter ayant eu lieu en 2020, certaines à plusieurs dizaines de milliers de personnes, n’ont pas non plus occasionné de cluster, pour une raison simple: elles ont lieu en extérieur, donc dans de l’air naturellement ventilé, où le virus ne s’accumule pas.
    À comparer avec les centaines de milliers de travailleurs et d’élèves qui tous les jours prennent les transports en commun bondés, pour aller passer 8h dans des lieux souvent surpeuplés et mal ventilés, et qui mangent (donc sans masques) dans des cantines souvent aussi bondées et mal ventilées. Ce sont eux le moteur de l’épidémie, à leur corps défendant. Mais sur eux les médias ne disent rien, car on les envoie travailler pour le bien de notre chère croissance, et comme ça se passe tout le temps 5 jours par semaine, pas de quoi faire du buzz.
    À l’opposé des jeunes qui font une fête techno se verront affublés de tous les clichés (pour faire court: des punks à chien qui se dorent la pilule avec des aides publiques) et leur comportement sera jugé suspect par défaut. Pourtant, les peines de prison encourues par ces teufeurs seraient amplement plus justifiés pour les responsables de l’incurie sanitaire générale où nous traînons depuis un an, au nom du saint pognon.
    Tout ça dit bien le triste théâtre dans lequel nous sommes: au lieu de s’attaquer réellement à l’épidémie, on nous envoie turbiner dans des conditions sanitaires déplorables, tout en nous imposant tous les efforts dans la vie privée et la vie sociale, car celles-ci n’ont que peu de valeur ajoutée dans le système néolibéral.
    Comme ça n’a pas l’air près de se terminer, il va falloir comme tu le dis s’emparer de ces questions, sans attendre que d’autres le fassent au nom d’idéologies bien peu émancipatrices.

  2. Tout à fait d’accord ! Manifestation joyeuse à St jean de luz et Ciboure le 2 mai pour que RE-VIVE la Culture !

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