Double opération de communication, la semaine dernière, sur le devenir du grand projet ferroviaire à grande vitesse du Sud-Ouest de la part d’Alain Rousset, président du Conseil régional d’Aquitaine, promoteur acharné de la LGV, et du ministre du transport, Frédéric Cuvillier, bien moins enthousiaste sur la nécessité véritable de ce gouffre à milliards. Décryptage.
Son entêtement restera vraisemblablement dans les annales. “Pour moi, le dossier de la LGV est sauvé”, a proclamé Alain Rousset lundi 21 octobre à la tribune du Conseil régional d’Aquitaine : “J’ai des assurances du gouvernement selon lesquelles, concomitamment à Bordeaux-Toulouse, la ligne ira aussi jusqu’à Dax et les études jusqu’à Hendaye seront poursuivies. J’en suis heureux et fier”. Il a également affirmé que “l’engagement d’aller jusqu’à la frontière” sera pris lors du prochain sommet franco-espagnol de novembre.
En se félicitant du vote par le Conseil de 31,1 millions d’euros (part 2014) en faveur de Réseau ferré de France (RFF) pour le financement de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux, le président du Conseil régional a aussi insisté pour que les autres collectivités, notamment le département des Pyrénées-Atlantiques, concernées par le dossier en fasse de même, avec ce commentaire : “Dax c’est Pau, Dax c’est Bayonne!“.
Bis repetita
Rousset ne désarme pas. Non content de verser plus de 300 millions d’euros pour la construction du tronçon Tours-Bordeaux aux frais du contribuable aquitain, il envisage d’en consacrer encore davantage à la réalisation de Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Hendaye. Et insiste pour que les collectivités locales d’Aquitaine en fassent autant.
Le Cade vient rafraîchir la mémoire des tenants inconditionnels des infrastructures inutiles et ruineuses, en publiant la lettre adressée par Rousset à François Fillon, premier ministre de l’époque, pour le conjurer de ne pas retarder la mise en service de l’autoroute A65 reliant Langon à Pau. Dans cette bafouille cosignée par l’essentiel des grands élus des départements concernés par l’autoroute, qu’Enbata reproduit ci-dessous, Rousset développe les mêmes arguments qu’il reprend à présent en défense et illustration de la LGV.
Seul problème, mais de taille, l’autoroute A65 après avoir englouti des dizaines de millions d’argent public pour le plus grand profit du concessionnaire privé, a affiché 35 millions d’euros de déficit d’exploitation l’année dernière. Et la perte sera du même ordre en 2013. Au vu de la crise économique et des changements de comportement dans le transport qu’elle induit, le déficit ne peut que se creuser dans les années à venir. Et ce sera rebelote avec la LGV.
Rousset n’avait pas, il n’y a pas si longtemps, assez de mots pour vilipender le partenariat public/privé. Il ne lui trouve à présent que des avantages. Et passe sous silence les clauses des contrats de concession, aussi juteuses pour le concessionnaire qu’assassines pour le contribuable, qui garantissent à l’exploitant privé la prise en charge, par les collectivités territoriales concernées, des pertes d’exploitation subies.
Trafic en baisse, dette en hausse
Quels que soient les mensonges de Rousset et de ses relais locaux pour promouvoir la LGV, la réalité de la situation du transport ferroviaire est difficile à masquer. Déficit et non-rentabilité, voilà exactement quel serait le lot des LGV du grand projet sud-ouest si, d’aventure, elles étaient construites. Pour la troisième année consécutive, la SNCF connaît une année 2013 difficile, en raison d’une chute du trafic. Le trafic TER, qui avait augmenté de 5,7% l’an dernier, est resté stable en 2013, mais sur les lignes TGV, le trafic est en net recul. Telles sont les données communiquées par la direction de la SNCF lors d’un récent séminaire de presse. Et ce ne sont pas les chiffres calamiteux du fret qui sauveront le bilan.
La construction des LGV a plombé les comptes de RFF pour des décennies. Elle a mobilisé la totalité des capacités de financement de la régie, au détriment de la modernisation des lignes utilisées par les usagers pour leurs déplacements quotidiens et laissées à l’abandon. De plus, en raison de la cherté des billets TGV, la clientèle “affaires” (dont les voyages sont payés par les entreprises) délaissent la première classe (50% du résultat de la branche) pour la seconde. La clientèle loisir baisse en dépit des promotions en tout genre. L’augmentation de la TVA sur les transports collectifs de 7 à 10% au 1er janvier 2014 n’arrangera pas les choses. De ce fait, la marge opérationnelle des TGV s’érode d’année en année.
Ainsi, la SNCF devrait, selon des sources internes, déprécier de nouveau son parc TGV dans ses comptes, à hauteur de 700 millions d’euros. Voilà qui ne favorisera pas l’allègement de sa dette de 6,8 milliards d’euros. Ni ne soulagera celle, astronomique, de RFF qui dépasse les 30 milliards.
“Le ferroviaire est une industrie à coûts fixes extrêmement élevés” souligne Sophie Boissard, directrice générale déléguée stratégie et développement SNCF. On ne la contredira pas. On rappellera simplement que sur les 20,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires 2012 de la compagnie (hors filiales), la moitié seulement provient de la vente des prestations, l’autre moitié est assurée par les dotations de l’Etat et les collectivités territoriales sous diverses formes.
Certes le ministre des transports s’est employé à confirmer les dires de Rousset sur la réalisation du grand projet ferroviaire du Sud-Ouest. Mais la tonalité de l’intervention ne laisse guère de doute sur les objectifs de cette opération de communication. Il s’agissait avant tout de mettre du baume au cœur des féodalités socialistes d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées très remontées contre le retard apporté à leur projet chéri. Dans le même temps, la promesse du prolongement de la LGV vers le sud visait à calmer la grogne des élus favorables à la LGV qui craignaient le renvoi du projet aux calendes grecques. Il fallait amadouer les collectivités territoriales récalcitrantes pour qu’elles honorent leur engagement à financer le tronçon Tours-Bordeaux.
Mais là encore, le calendrier arrêté par le gouvernement en dit long: 2024 pour Bordeaux-Toulouse et 2027 pour Langon-Dax, avec enquête d’utilité publique en 2015. Pour le tronçon Dax-Hendaye l’enquête est ajournée. Au regard de la visibilité économique actuelle brouillée par une crise durable du productivisme et de l’incapacité financière à long terme d’un Etat surendetté, ces délais ressemblent à ce qu’ils sont: une éternité. Et, comme disait l’humoriste, l’éternité c’est long, surtout vers la fin.
Lettre rédigée à l’initiative d’Alain Rousset et adressée le 5 avril 2008 au premier ministre François Fillon et au ministre de l’Ecologie Jean-Louis Borloo.
Cette lettre a été signée notamment par Henri Emmanuelli, Jean Castaings, Alain Juppé, Martine Lignières-Cassou, Michèle Delaunay, Jean-Louis Carrère, François Bayrou, David Habib,
Jean Lassalle, Jean Grenet, Daniel Poulou, Didier Borotra…“Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Ministre,
Le projet d’autoroute A65 entre Langon et Pau suscite, depuis quelques jours, une importante campagne médiatique puisque, dans un récent avis, le Conseil National de Protection de la Nature a jugé insuffisantes les mesures compensatoires proposées par le concessionnaire. Si nous entendons cet appel à la vigilance, nous tenons à réaffirmer l’urgence de la réalisation de l’A65 entre Langon et Pau. Il y va de la sécurité et de l’unité de l’Aquitaine qui reste aujourd’hui la seule région française dépourvue de liaison autoroutière entre sa capitale régionale, Bordeaux, et sa deuxième ville, Pau.
L’ensemble des itinéraires reliant actuellement Bordeaux à Pau posent de redoutables problèmes de sécurité qui se traduisent par d’inacceptables pertes humaines. C’est précisément pour réduire au maximum le nombre d’accidents et sécuriser les déplacements de nos concitoyens que nous avons opté pour le projet de 2×2 voies dénivelées. Il convient par ailleurs de reconnaître que la réduction des temps de parcours sur tout cet axe Nord-Sud Bordeaux / Mont-de-Marsan / Pau est un véritable enjeu d’aménagement du territoire. Cette infrastructure conditionne ainsi le développement économique des différents territoires régionaux et constitue un facteur de cohésion territoriale essentiel pour l’avenir de l’Aquitaine. Notons qui plus est que la suspension de cette initiative obligerait l’Etat à verser des indemnités très conséquentes au titulaire du contrat de concession.
L’opportunité du projet n’est d’ailleurs pas en cause puisqu’elle a été reconnue par la Déclaration d’Utilité Publique, pas plus que la décision, prise en concertation avec les riverains et les acteurs locaux, de préférer un aménagement autoroutier à la mise en 2×2 voies simple. Cette dernière option, compte tenu des coûts et des financements mobilisables, n’aurait pas pu être réalisée avant quarante années au moins. La concession autoroutière représente en revanche la solution la plus rapide et la plus fiable pour atteindre nos objectifs communs de sécurité et d’unité territoriale. Elle permet enfin de ne pas transformer l’axe A65/RN134 en corridor international de fret routier. Alors que l’aménagement sur place d’une 2×2 voies gratuite aurait créé un formidable aspirateur à camions – dont l’Aquitaine subit déjà les nuisances tout au long de la nationale 10, l’instauration d’un péage sur la future A65 s’inscrit dans nos objectifs de développement durable.
Ces exigences guident notre démarche depuis le début de ce projet et nous sommes très sensibles aux impacts du projet sur l’équilibre de la faune et de la flore. Nous serons donc tout particulièrement vigilants à ce que les mesures compensatoires proposées par le concessionnaire soient non seulement améliorées, mais apportent des réponses exemplaires aux enjeux environnementaux.
Nous vous demandons solennellement, en conséquence, de mettre tout en œuvre pour que l’A65 soit réalisée conformément au calendrier prévu, tout en imposant au concessionnaire les compensations naturelles qui s’imposent.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de nos salutations distinguées.”