Panpi-Sainte Marie, secrétaire général d’ELB et Jean-Paul Duhalde, porte-parole d’ELB
ELB et la Confédération paysanne alertaient sur les risques de contamination dus aux transports des canards, principale cause de la dissémination du virus. Cela, la FNSEA le sait mais n’en parle pas pour ne pas remettre en cause les intérêts de l’agro-industrie, privée ou coopérative.
Rarement une bataille aura été aussi âpre. Mais sa légitimité a finalement eu gain de cause et les trois fermes menacées d’abattage préventif dans le cadre des mesures de lutte contre la grippe aviaire ont été placées sous surveillance sanitaire, en, gardant leurs cheptels vivants.
L’année dernière, nous avions déjà averti l’administration. Nous n’étions pas d’accord avec la stratégie d’éradication de la grippe aviaire adoptée par les services sanitaires et le Cifog, “la profession”, “les professionnels”. Les causes de la grippe aviaire, les facteurs qui la favorisent, celles qui la propagent, ne sont pas les mêmes pour eux et pour nous. Et puis d’ailleurs, et là est l’essentiel, peut-on éradiquer la grippe ?
Une simple lecture, de bon sens, de l’Histoire nous donne raison. La grippe a toujours existé. Il est illusoire de penser la faire disparaître. Il est plus juste de vouloir prendre des précautions pour l’éviter. Là où les industriels et les professionnels, comme ils aiment s’appeler, pensent qu’ils peuvent gagner cette guerre contre la grippe aviaire, nous, nous pensons modestement qu’on doit vivre avec. Cette année, la grippe aviaire est réapparue et rebelote, nouveau plan d’éradication.
Les généraux du Cifog et ceux de l’administration sanitaire ont repris la même méthode que l’année d’avant, pourtant inefficace, et ont, encore une fois, vidé en presque totalité le grand sud-ouest de la présence de canards. Deux millions de canards tués l’année dernière, plus de quatre millions cette année. Alors cette année, nous nous étions dit à ELB : l’an dernier, on avait juste averti, cette année, on dit non. Nous ne comptions pas être complices de ce massacre inutile. Nous ne comptions pas être complices non plus de la dilapidation d’argent public contrairement aux généraux du Cifog pour qui il est normal de privatiser les bénéfices en années fastes, mais d’appeler au secours les pouvoirs publics dès qu’une crise est là, pour que les pertes soient mutualisées.
Début 2017, nous avions réuni les éleveurs de canards, de poulets et de poules pondeuses pour faire le point, évoquer les mesures de biosécurité disproportionnées. Il y avait du monde, on sentait l’inquiétude. Depuis lors, les membres de ce groupe n’ont pas arrêté de communiquer entre eux, par mail, réunions téléphoniques ou physiques. Et ce que nous craignions est arrivé : la grippe aviaire malgré tous les abattages préventifs a atteint un élevage de Gabat, à côté de chez Bernadette Prébendé.
Mais nous étions prêts. Notre stratégie était claire : nous opposer à l’abattage préventif de nos animaux sains et dénoncer l’industrialisation de l’agriculture. “Le microbe n’est rien, le milieu est tout”, disait Pasteur. C’est ce à quoi sont confrontés chaque jour les paysans éleveurs, ce qu’ils doivent gérer.
Cette réalité est de plus en plus omise ou oubliée avec nos techniques d’élevage moderne. La concentration et les performances de nos animaux ne font qu’affaiblir nos élevages et renforcer les virus et autres maladies. Tous les scientifiques le savent. Il y a un an, lors du précédent épisode de grippe aviaire, ELB et la Confédération paysanne alertaient déjà sur les risques de contamination dus aux transports des canards. C’est la principale cause de la dissémination du virus. Cela, la FNSEA le sait mais n’en parle pas car cela veut dire remettre en cause tout un système d’élevage quand son objectif est uniquement de défendre les intérêts de l’agro-industrie, privée ou coopérative. Et elle les défend bien puisque les bénéfices de cette dernière n’ont jamais été aussi élevés malgré les différentes crises que traversent les paysans (lait de vache, viande bovine, palmipèdes…).
La grande différence entre la FNSEA et la Confédération paysanne (ELB) tient surtout à ce que, quand les premiers se réunissent, avec des “scientifiques” dans des bureaux parisiens loin des réalités paysannes, pour prendre des mesures inadmissibles d’abattage de plusieurs millions de canards (plus de 4,5 millions d’animaux abattus cette année, près de la moitié en 2016), ELB fait des réunions publiques entre producteurs, entre paysans.
Ce que Bernard Layre, président de la FDSEA, appelle le “clientélisme”, c’est écouter le bon sens, la réalité, certaines pratiques, qui justifient ou non l’abattage.
Soulignons que c’est lors de ces réunions que plusieurs éleveurs ont dit qu’il refuseraient l’abattage chez eux s’il venait à leur être imposé. La conférence de presse organisée à Gabat, en présence de militants de notre syndicat, ainsi que celle de consommateurs a donné le ton. Nous devions mener cette lutte face au diktat de l’administration et du Cifog. Depuis lors, combien de coups de téléphone avec la DDPP, la DGAL, le préfet… Nous voyons bien que nous avions à faire à un monstre froid, drapé dans ses certitudes scientifiques (sic), sourd à nos arguments de bon sens, d’éleveurs-ses. A Gabadi, Domintxine et Barkoxe, la machine militante s’est mise en marche.
Bernadette, Jean- Michel, Julen, Sabrina, Patricia, Cathy et Patrick se sont soutenus, motivés, quand la pression de la DDPP était très forte. Et nous étions là nous aussi paysans et responsables d’ELB lors des réunions, des mobilisations, pour les accompagner.
Ces sept paysans-nes nous ont donné vraiment envie de nous battre avec eux car ils ne nous ont pas délégués pour nous battre à leur place, vraiment ils ont été devant à tout moment, avec détermination, lucidité, courage. Cela a été une sacrée expérience au niveau humain et syndical.
J’ai beaucoup appris grâce à vous sept, et cela nous a confortés encore plus dans l’idée que nous nous faisons du rôle d’ELB dans la vie du Pays Basque. Nous espérons aussi que les divers représentants de l’Etat retiendront quelque chose eux aussi de cette expérience et qu’ils seront plus à l’écoute. Il n’y a de luttes perdues que celles qu’on ne mène pas.