Absence de régulation du marché, protection du foncier, demande de classement en zone tendue, taxation des résidences secondaires, les Bretons se mobilisent face à la crise du logement qu’ils subissent de plein fouet, ils « mettent un pied dans la porte ». Une douzaine de formations rassemblées au sein du collectif Un ti da bep hini – Un logement pour tou·t·es, ont manifesté le 10 septembre dans plusieurs villes du pays. Nil Caouissin, auteur d’un livre sur le statut de résident et conseiller régional UDB d’opposition, répond ici aux questions du journal Le Peuple breton, organe de L’union démocratique bretonne.
Le Peuple breton : Au Conseil régional, vous avez donc participé à la première réunion d’une commission spécialement dédiée au logement ?
Nil Caouissin : Oui, c’est un sujet brûlant auquel il est grand temps que la Région se confronte, même si ses moyens actuels sont limités. Deux autres réunions suivront en octobre et décembre. Et l’on débattra aussi du logement lors des sessions plénières, d’une manière ou d’une autre. Mon groupe d’élus (qui regroupe l’UDB et Ensemble sur nos territoires, NDLR) prépare une contribution fournie, avec de nombreuses propositions. On y travaille depuis plusieurs semaines et la sortie est prévue en amont de la commission d’octobre.
L’une des revendications porte sur le classement en « zone tendue », c’est-à-dire ?
Début juillet, nous avons voté pour l’extension de la régulation des meublés touristiques et pour l’extension de la surtaxe communale sur les résidences secondaires, deux mesures qui sont pour l’instant réservées aux « zones tendues », sauf dérogation spéciale. On peut y ajouter l’encadrement des loyers. Mais aucune commune de la Région Bretagne n’est classée zone tendue, malgré l’état désastreux du marché de l’immobilier ! Cette demande [de classement en zone tendue] était portée par l’UDB depuis un an et le président du Conseil régional de Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, s’était aussi exprimé sur le sujet. C’est finalement le groupe social-démocrate qui a proposé le vœu, par la voix de Fanny Chappé, maire de Paimpol, demandant l’extension de plusieurs outils de la zone tendue. L’État n’a pas encore bougé sur ce sujet malgré notre demande. L’amendement de Paul Molac à l’Assemblée nationale, qui proposait d’étendre les zones tendues, a de même été rejeté au début de l’été. On voit là toute l’importance de maintenir la pression populaire avec une mobilisation comme ce week-end.
Ce classement en zone tendue serait donc la clé du problème ?
Il ne réglerait pas tout, loin de là, mais il apporterait quelques outils. C’est mieux que rien, et c’est une victoire à portée de main : il ne s’agit que de modifier les conditions d’application d’une loi existante. C’est moins compliqué que d’en pondre une nouvelle, même si je pense que ce sera nécessaire à terme.
Les militants de l’UDB mais aussi des régionalistes ou la gauche indépendantiste font du logement une priorité. Pourquoi ?
On voit ici l’intérêt qu’aurait l’autonomie : si la Région avait une part de pouvoir législatif, elle aurait pu étendre les zones tendues, ou sortir les dispositifs les plus intéressants du dispositif pour les généraliser, depuis au moins un an. Un an de perdu dans la régulation de l’immobilier, c’est beaucoup pour celles et ceux qui galèrent à se loger. C’est beaucoup aussi pour nos terres agricoles qui diminuent comme peau de chagrin sous les coups de boutoir du bétonnage, et cela pose la question de notre sécurité alimentaire dans vingt ans ! (…) J’espère que les maires commenceront à monter au créneau. On en a besoin. J’appelle aussi les parlementaires de la majorité présidentielle à revoir leur position sur ce sujet. L’argument est simple : s’ils bloquent tout, ça va aller très, très mal. Pourquoi Paris a le droit de réguler quelque peu son immobilier et pas le Trégor ou Brest Métropole, par exemple ?
Nil Couissin, vous écrivez un nouvel ouvrage sur la taxation des résidences secondaires ?
Oui, je prépare une suite au Manifeste pour un statut de résident. Comment avoir une taxe qui soit socialement juste et adaptée aux territoires ? Devrait-on différencier la taxe selon le patrimoine et selon les endroits ? Pourquoi une taxe régionale plutôt que municipale ? Etc. Dans ce petit document, j’essaie de prendre au sérieux ceux qui préfèrent la taxation au statut de résident, en leur proposant des pistes sérieuses et ambitieuses, même si, comme je le dis dans le texte, les deux projets ne s’opposent pas et, au contraire, se renforceraient mutuellement.
À ce sujet, que pensez-vous du projet de loi du député Jean-Félix Acquaviva ?
Il propose d’expérimenter une taxe régionale sur les résidences secondaires en Corse. Son projet de loi a obtenu une première validation à l’Assemblée nationale ; reste le Sénat. Il faudra suivre cette loi de près et, si elle tient ses promesses, revendiquer son application en Bretagne, d’autant qu’au-delà de la taxation, elle offre d’autres possibilités d’intervention. On en a discuté avec Jean-Félix Acquaviva fin août, en Savoie, durant l’université d’été de Régions et peuples solidaires.
Comme on n’était pas loin de la Suisse, on en a profité pour se renseigner sur le système du plafond de résidences secondaires. Je continue à penser que c’est assez compliqué et pas aussi efficace que le statut de résident, mais cette expérience a l’immense mérite d’exister et les résultats ne sont pas nuls. Soyons pragmatiques : pourquoi ne pas expérimenter ces plafonds en France dans un territoire qui le réclame ? Je sais qu’il y a un intérêt pour cette démarche du côté de l’île d’Yeu, par exemple.
Statut de résident, zone tendue, taxation des résidences secondaires, nombre de résidences plafonné, vous avez aussi évoqué un office de foncier solidaire régional… Toutes ces pistes sont donc bloquées ?
Au Conseil régional, il faudra être ambitieux et créatif, jouer à plein la carte de l’expérimentation des dispositifs possibles, s’inspirer de ce qui se passe au-delà des frontières françaises. Là encore, faute d’autonomie, il faudra demander à l’État à chaque fois qu’on voudra innover, et ça promet d’être laborieux. On ne gagnera peut-être pas tout mais si on s’autocensure, la bataille est perdue d’avance ! Et on connaît déjà les conséquences d’une absence de régulation sérieuse du marché : face à des tensions sociales insupportables liées au logement, les règles de protection du foncier seront assouplies, on continuera à manger des terres agricoles et naturelles pour construire vite, et on deviendra de plus en plus dépendant des importations pour notre alimentation. Ça ressemble à une histoire qui finit mal, non ?