De Bayonne à Iruña, une programmation culturelle et des discussions on fait de ces derniers mois une réflexion sur les conflits armés et les traces qu’ils laissent chez les vivant, entre mémoire et nécessité de dialogue.
Belfast. Le Belfast(1) des années 70 nous est revenu en mémoire à la sortie du film évoquant le conflit nord irlandais, signé par le fameux producteur-réalisateur acteur Kenneth Branagh. L’Irlandais devenu star internationale est parvenu à redonner vie à l’enfant débordant de vie qu’il était, alors que sa ville, et pire que tout sa propre rue, allaient s’embraser. Impossible pour lui, de comprendre les raisons d’un brasier qui, s’emparant des catholiques et des protestants, les plongea dans une lutte fratricide. Elle ne prit fin que le 10 avril 1998 sur les bases de l’accord politique dit du Vendredi Saint (Good Friday Agreement). Le petit irlandais, n’assimilait pas tous les tenants et aboutissants qui allaient déchirer le monde de son enfance. Mais il en pressentait la cruauté et l’hystérie à venir, en cette année 1969, source de nouveaux affrontements attisés par un conflit séculaire. 1969, disons-le en passant, était aussi l’année des premiers pas de l’homme sur la Lune lesquels nous promettaient un nouveau monde…
Objectif l’Angleterre
A même pas 10 ans donc, Kenneth vivait dans la communauté catholique dont il était issu. Il lui fallut vite comprendre que le monde n’était pas ce qu’il croyait. L’enfant joyeux, espiègle et joueur, en fut réduit par un jour funeste, à faire ses valises avec ses parents. Et à s’extraire de l’univers (essentiellement filmé en noir et blanc), qu’il avait espéré inaltérable. Objectif l’Angleterre. La guerre civile (dont les prémices remontaient en fait à la fin du XIXe siècle), l’amena ainsi à quitter l’Irlande du nord à ce jour encore rattachée à la Couronne britannique. Son Irlande aura mis plusieurs décennies à se remettre de violences dont tous les stigmates n’ont pas disparu. Quelque 3500 morts en une trentaine d’années !
Il aura fallu un demi-siècle à Kenneth Bragnah pour se résoudre à tisser sa propre mémoire, à faire revivre son propre personnage, sous les traits de Buddy, gamin blondinet plus vrai que nature, dont le périlleux chemin fut semé de frasques enfantines, de pavés, de barricades, de bruits assourdissants d’explosions et de peurs.
Un chemin dangereux
C’est aussi à la guerre civile d’Irlande que le Comité de défense des droits de l’homme du Pays Basque (CDHPB), a consacré un débat accompagné de la projection du court métrage intitulé When the war ends(2), signé par l’acteur-réalisateur néerlandais Römer Thijs. Lui aussi, a mis en scène l’Irlande du nord. Mais dans ce cas, sous les traits d’un ancien prisonnier de l’IRA ayant purgé une trentaine d’années de prison. Certes, sorti de sa cellule au bout de ce “chemin dangereux”, mais pas pour autant plongé dans un rêve éveillé explique-t-il. L’homme bénit le ciel de lui avoir permis de retrouver sa liberté et de vivre au moins une fois de plus, un repas de Noël en famille. “Ce conflit est peut-être terminé laisse-t-il tomber, mais il y a des gens chez qui il continue de vivre dans la tête...” Il est de ceux-là.
“Notre mémoire, vos histoires”
Programmé du 30 juin au 2 juillet, le festival Notre mémoire, votre histoire présenté par l’Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie Louis Joinet (IFJD) était programmé à Bayonne, Ustaritz et Saint-Etienne de Baigorri(3). Ceci, à l’initiative de son président, l’universitaire Jean- Pierre Massias. A l’affiche, une série de films évoquant les femmes et la justice transitionnelle, la guerre d’Algérie, les relations russo-ukrainiennes (Holomodor, le génocide oublié), le conflit colombien entre les FARC et l’Etat, la guerre civile d’Espagne…
Notre mémoire, vos histoires s’est voulu l’illustration vivante de la phrase célèbre de Paul Valéry selon qui “La mémoire est l’avenir du passé”. Ce qui oblige toutes les générations à se plonger dans la quête de leur passé, non pas pour les morts laissées derrière elles, mais pour les vivants.
Le forum Social permanent (Foro Sozial Iraunkorra) quant à lui, ne disait rien d’autre, lors de la rencontre-débat tenue le 21 juin dernier à Pampelune, consacrée au conflit basque et au processus de paix en cours. Ceci au fil d’une initiative baptisée Dialogos improbables. Ustegabian topo (Dialogues improbables). Quatre personnalités d’horizons politiques les plus divers, ayant exercé des mandats au sein de partis aussi divergents que Herri Batasuna, le Parti Socialiste Navarrais, la droite navarraise (PP et UPN) et le parti nationaliste de gauche Aralar… La rencontre suivante devait avoir lieu le 29 juin à Vitoria Gasteiz. Autour d’un ex-député général d’Alava membre du PNV, d’une représentante de la Fondation Buesa(4) et d’une ex-militante du mouvement anti-répression. La mémoire historique qui reste à construire ne saurait en effet, unique mais nourrie par des récits différents et complémentaires. Tel est l’enjeu ultime de l’actuel processus de paix basque (ouvert en 2011) et toute sa difficulté encore plus de 10 ans après.
(1) Belfast, Oscar du meilleur scénario original 2022.
(2) Traduction : “Quand la guerre s’achève”.
(3) IFJD, basé à Bayonne. [email protected]
(4) Cette fondation porte le nom de l’ex-député général socialiste d’Alava, Fernando Buesa, assassiné par ETA en 2000.