Avec un million et demi de participants à une chaîne humaine de 400 km, l’Aberri eguna catalan a revêtu cette année une dimension particulière et ouvert la perspective d’un référendum d’autodétermination pour l’an prochain.
Voici trois siècles, en 1714, les Catalans perdirent leur souveraineté face à une coalition franco-espagnole. “Ils luttèrent avec des couteaux, des fusils et des baïonnettes. Aujourd’hui, nous avons d’autres armes : la démocratie, le civisme, l’esprit pacifique et la mobilisation. Des centaines de milliers de Catalans vont unir leurs mains pour la défense de la liberté de notre pays“. C’est ainsi qu’Artur Mas, président du gouvernement autonome catalan a présenté la Diada, Aberri eguna catalane qui a lieu tous les 11 septembre (1). Elle a pris cette année la forme d’une chaîne humaine de 400 km de long, “La voie catalane vers l’indépendance“, qui a traversé la Catalogne du nord au sud. Plus de 400.000 personnes se sont donné la main le 11 septembre à 17h14 mn, en référence à l’année 1714, au milieu de plus d’un million et demi de manifestants —sur 7 millions et demi d’habitants— rassemblés derrière la banderole : “Catalunya, nou Estat d’Europa“.
En Catalogne Nord, séparée du Sud depuis le traité des Pyrénées de 1659, deux mille manifestants prolongeaient cette chaîne humaine sur deux kilomètres. Au sud, peu après le village d’Alcanar, à la limite de la Communauté autonome valencienne, la Guardia civil s’est opposée pour des raisons de “sécurité routière” au prolongement de cette chaîne, dans une province qui parle catalan avec un accent différent. Tous les partis abertzale appelaient, bien entendu, à manifester, avec quelques tiraillements du côté de Unió (une des composantes de CiU). Mais de nombreux membres et élus du parti socialiste catalan, succursale du PSOE, sont aussi descendus dans la rue. Leur parti leur avait laissé libre choix.
Négociations en coulisse
Ce type de manifestation a été en quelque sorte “inventé” le 23 août 1989, lorsqu’un million et demi de Baltes, unirent sur 600 km les capitales des trois républiques : Estonie, Lettonie et Lituanie. En Catalogne, la chaîne du 11 septembre a été organisée par l’Assemblée nationale catalane (ANC, issue de l’association des 550 municipalités indépendantistes), avec plus de 5.000 volontaires le jour même et 30.000 durant toute la préparation. Plusieurs hélicoptères et 800 photographes ont été mobilisés pour immortaliser l’événement sur les 788 tronçons de la “Via catalana”.
Au-delà de la force symbolique de l’événement, le contexte politique a donné à cette Diada un écho tout particulier. Les autonomistes de CiU dirigent la pays avec le soutien des indépendantistes d’ERC. Ils se sont engagés à organiser un référendum d’autodétermination en 2014. Le président de la Generalitat, Artur Mas, tente de négocier en secret avec le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy l’autorisation d’organiser légalement une telle consultation. Le premier aimerait bien que le second s’inspire de l’exemple anglais : Londres a accepté de prêter temporairement à l’Ecosse la compétence sur les référendums. Mais le gouvernement espagnol ne veut pas entendre parler de ce genre “d’ingénierie juridique“. Le président catalan essaie de trouver une ouverture avec une simple consultation autour d’une question plus ou moins claire et à réponses multiples, portant sur la langue, le pacte fiscal, la nature des relations à établir entre la Catalogne et l’Espagne. L’hypothèse d’un report de ce référendum en 2016 est également envisagée, si l’Espagne refuse la possibilité de l’organiser.
Question claire ou pas
Tout cela n’est évidemment pas du goût de l’ERC qui, fort du succès de cette Diada, exige le maintien de la date et une question simple sur la création d’un Etat indépendant, à laquelle l’électeur devra répondre par oui ou par non.
Les sondages se multiplient. L’un d’entre eux indique que 74,1 % des Catalans réclament un référendum, 54% sont favorables à l’indépendance. Pour l’instant l’Espagne, par la voix de son gouvernement, fait la sourde oreille, elle limite la portée de la Diada et appelle la “majorité silencieuse” à manifester sa réprobation. En Espagne, “tous les Espagnols décident, tous sont détenteurs de la souveraineté nationale et pas seulement une partie d’entre eux“. Artur Mas divise les Catalans entre les bons et les mauvais qui restent chez eux le 11 septembre. Le droit à la sécession n’est pas constitutionnel et tous doivent respecter la Constitution… Xavier Vinals, consul de Lettonie à Barcelone, qui participa à la chaîne humaine des Pays Baltes il y a 24 ans rappelle que ces arguments ressemblent comme deux gouttes d’eau aux arguments avancés hier par les Russes : “C’est illégal, vous cherchez la confrontation, vous divisez le pays“. Quelles que soient les latitudes comme un air de déjà vu.
(1) Il s’agit de la date anniversaire de la reddition de Barcelone, après 14 mois d’un siège qui fit 17.000 victimes et la destruction d’un tiers de la ville.
Depuis trois ans
27 juin 2010 : le PP présente un recours contre le nouveau statut d’autonomie catalan devant le Tribunal constitutionnel. Après quatre ans de tergiversation, la haute cour déclare inconstitutionnels 14 articles et donne un interprétation restrictive de 27 autres articles. Il rabote un texte déjà vidé de son contenu par les Cortés, alors qu’il a été approuvé à une très large majorité par le parlement catalan et par référendum (74% en 2006).
Le 10 juillet 2010 : à Barcelone, une gigantesque manifestation “Som una nació, nosaltres decidim“, vient protester contre la décision du Tribunal constitutionnel.
28 novembre 2010 : CiU gagne largement les élections autonomiques (62 députés, 38,4% des voix), alors qu’il n’avait que 48 sièges en 2006. Le parti socialiste s’effondre, il passe de 37 à 28 députés. Artur Mas, leader de CiU, revient au pouvoir après en avoir été écarté par les socialistes pendant deux législatures.
25 juillet 2012 : le parlement autonome réclame à Madrid un pacte fiscal où la Generalitat collectera la totalité des impôts et disposera d’une agence fiscale propre.
11 septembre 2012 : la Diada (Aberri eguna catalan) est convoquée par l’Assemblée nationale de Catalogne (ANC). Placée sous le thème de la création d’un nouvel Etat européen, elle rassemble dans les rues de Barcelone encore plus de monde que lors de la manifestation historique du 10 juillet.
20 septembre 2012 : Madrid rejette la demande catalane de pacte fiscal. Artur Mas, président de la Generalitat, quitte le bureau de Mariano Rajoy et annonce qu’il va prendre les décisions qui s’imposent.
25 septembre 2012 : après deux ans d’exercice du pouvoir, Artur Mas dissout le Parlament et annonce des élections pour le 25 novembre. Il désire capitaliser le mécontentement issu de l’attitude très négative de l’Espagne.
25 novembre : Artur Mas n’obtient pas la majorité absolue qu’il escomptait. Il perd 12 sièges avec seulement 50 députés. Les indépendantistes républicains d’ERC deviennent la deuxième force politique du pays avec 21 députés. Le Parti socialiste chute encore : 20 élus.
19 décembre 2012 : Artur Mas et Oriol Junqueras (ERC) signent un pacte de législature qui prévoit une consultation référendaire pour 2014. CiU gouverne seul avec le soutient d’ERC dont aucun membre de figure dans le gouvernement.
23 janvier 2013 : comme convenu, le parlement catalan approuve une déclaration souverainiste qui présente la Catalogne en tant que “sujet politique et juridique souverain”. Le gouvernement espagnol présente un recours et le Tribunal constitutionnel qui annule la délibération.
12 février 2013 : la Generalitat crée un Conseil pour la transition nationale chargé d’explorer les voies légales permettant d’accéder à l’indépendance.
26 juin 2013 : Artur Mas lance un “Pacte national pour le droit de décider” qui propose aux entreprises, aux syndicats et à l’ensemble de la société civile de s’impliquer dans la démarche souverainiste.
27 juillet 2013 : le président catalan écrit au premier ministre espagnol Mariano Rajoy une lettre lui proposant de négocier l’organisation d’une consultation populaire.