
Peut-on continuer à changer le monde quand on se met à changer les couches ? Concilier parentalité et militantisme est un défi non pas individuel mais collectif, qui renvoie à la place faite aux femmes et à des choix organisationnels.
Il semble que la parentalité ait rattrapé d’un coup une partie de nos espaces militants. Plusieurs cadres et militant·es de première ligne deviennent parents en même temps, jonglant à distance entre fatigue, responsabilités et solutions de garde. Cela force le respect et pose une question profondément politique.
Car si tous les parents sont concernés, ce sont surtout les femmes qui en paient le prix fort. L’absence de politiques adaptées renforce cette inégalité et transforme la parentalité en source de renoncements, de solitude ou de fatigue silencieuse. Pourtant, cette réalité pourrait être tout autre : loin d’être un frein à l’engagement, elle peut devenir une opportunité de transformation concrète pour nos mouvements.
Le mandat de mère
La grossesse, l’accouchement, l’allaitement : c’est le corps des femmes qui porte et qui s’adapte. À cette réalité biologique s’ajoute une norme sociale tenace, qui continue d’attendre d’elles qu’elles assument l’essentiel du « travail reproductif », au prix d’une charge mentale accrue, d’un travail domestique invisibilisé et de parcours professionnels souvent freinés. Le parcours d’une mère n’est pas celui d’un père.
En prendre acte, c’est repenser les liens entre parentalité, travail et égalité réelle. Ce qui suppose entre autres :
● Des parcours professionnels plus fluides : malgré des progrès, les femmes accèdent encore difficilement aux postes à responsabilité. Il faut leur ouvrir plus tôt les espaces de décision, avant que les contraintes familiales ne pèsent, pour leur permettre un véritable choix et faciliter leur retour.
Quand une femme en responsabilité prend un congé maternité, la question devient concrète et oblige le collectif à s’adapter. Ce qui était vécu seule peut alors devenir un enjeu partagé, et un levier de transformation.
● Agir contre la pénalité maternelle : cinq ans après une naissance, les femmes ont en moyenne perdu 20% de leur revenu, quand les hommes en ont gagné 5% de plus. Le temps partiel touche 31% des mères contre 3% des pères. La maternité creuse les inégalités, comme l’a montré Claudia Goldin, prix Nobel d’économie. L’arrivée d’un enfant est un catalyseur d’inégalités si l’on ne s’en empare pas politiquement.
● Promouvoir de nouvelles représentations : Il existe d’autres modèles que celui, encore dominant, où les hommes poursuivent leur engagement pendant que les femmes se mettent en retrait. Jacinda Ardern a appris sa grossesse le jour de son élection comme Première ministre. Tout au long de son mandat, elle a assumé une maternité visible au plus haut niveau, jusqu’à siéger à l’ONU avec son nourrisson dans les bras.
À Poitiers, Léonore Moncond’huy a cumulé, le temps d’un mandat, les fonctions de maire et de mère, révélant au passage le vide juridique entourant le congé maternité des élues. Ces figures contribuent à normaliser l’idée qu’on peut être mère d’enfant en bas âge et exercer des fonctions de haute responsabilité.
● Valoriser l’expérience de la parentalité : se consacrer à la maternité, c’est forger dans le soin quotidien des compétences précieuses : écoute, gestion du stress, sens des priorités. Ainsi, permettre aux parents de s’absenter sans culpabilité, c’est leur garantir un retour légitime et renforcer l’intelligence collective du mouvement.
« Tout un village pour élever un enfant »
Travailler ou militer en portant la culpabilité de ne jamais en faire assez, ni au travail, ni auprès des enfants, est un poison silencieux. Cette charge mentale épuise autant que la fatigue physique. Le véritable enjeu, c’est de libérer les parents de cette culpabilité en y répondant par des politiques internes de parentalité :
– Des jours de congé supplémentaires pour les parents, faciliter les retours progressifs, des entretiens de suivi au retour ;
– Des rythmes de travail adaptés, avec, c’est bien connu, des réunions évitant les heures critiques. Des emplois du temps pensés pour mieux répartir la charge et le volume horaire, notamment une semaine sur deux pour les parents en garde partagée ;
– Et une acceptation collective de la présence d’enfants dans les bureaux, comme une réalité normale de la vie militante.
Et pourquoi ne pas aller plus loin, en organisant collectivement des solutions de garde ? Typiquement, des solutions ponctuelles lors d’AG stratégiques, organiser un roulement de congés parentaux pour garder les enfants à tour de rôle, voire même une micro crèche inter-organisations au cœur du Petit Bayonne, ouverte aussi aux enfants du quartier.
Un mouvement capable de s’adapter à la parentalité de ses membres sera aussi mieux préparé à accompagner d’autres choix de vie essentiels : prendre soin d’un proche dépendant, accompagner des parents vieillissants… Prendre soin est un acte politique. Nos espaces d’engagement doivent en tenir compte, en offrant du temps, de la souplesse, et en valorisant ces responsabilités. C’est ainsi que nos valeurs de solidarité prennent sens, en commençant par celles et ceux qui nous entourent.