S’il est un concept que les jacobins de tout poil intègrent difficilement, c’est l’aspiration à maîtriser son propre devenir. Des poursuites judiciaires de la CGT à l’encontre de LAB au processus indépendantiste catalan, voici une analyse des tensions que cette incompréhension suscite.
Quand j’ai appris la nouvelle de la procédure engagée par la CGT pour empêcher LAB de participer aux prochaines élections professionnelles des très petites entreprises, je suis resté stupéfait. Parmi les arguments invoqués, la CGT dénonce le fait que LAB porte atteinte “au principe même d’égalité et de non discrimination” du fait du bilinguisme prôné dans ses statuts. Alors que le principe de l’utilisation de l’euskara est aujourd’hui soutenu par des couches ultra majoritaires de la population en Iparralde, l’argumentaire de la CGT est hallucinant!
Sur la forme, la procédure engagée contre LAB est similaire à celle engagée par la même CGT contre le STC en Corse. Si j’avais un conseil à donner à ces fondamentalistes du jacobinisme, ce serait d’ouvrir les yeux, et d’essayer d’appréhender l’essence même de l’abertzalisme et de l’indépendantisme.
Et oui, car pour combattre efficacement un adversaire encore faut-il le connaître et le comprendre.
L’indépendantisme catalan
Dans cette perspective, je les invite à suivre de très près un cas paradigmatique qui ne manquera pas de défrayer la chronique politique des mois à venir : celui de l’indépendantisme catalan.
Très vite, ils constateront combien ils sont à côté de la plaque dans leur compréhension de ce phénomène. Mais au préalable, il convient d’abord qu’ils mesurent l’ampleur de ce qui se joue en Catalogne.
Pour ce faire, je leur conseille la lecture de l’interview de Lluis Llach dans la Tribune du 8 septembre. Et je leur recommande aussi un contact : le député Ferran Civit i Martí de Junts pel Sí qui a été membre de la direction nationale de l’ANC (Asemblea Nacional Catalana) aux côtés de Carme Forcaldell (l’actuelle présidente du parlement catalan).
J’ai eu l’opportunité de le rencontrer aux journées de Corti cet été ; il est très pédagogique dans l’explication de la feuille de route indépendantiste qui a été adoptée par le Parlement catalan en juillet.
Ce dernier a mis à l’ordre du jour des prochains travaux parlementaires trois projets de lois.
Un premier ayant pour objet la mise en place d’une sécurité sociale catalane. Un second ayant pour ambition de substituer à l’administration fiscale de l’Etat espagnol une administration fiscale catalane. Et un troisième projet de loi de “transition juridique” qui viserait à remplacer la légalité espagnole par celle d’une Catalogne souveraine.
De plus, le président Puigdemont a annoncé à l’occasion de la Diada, qu’à défaut d’un accord avec Madrid sur un référendum d’autodétermination, des élections visant à élire une Assemblée constituante catalane seraient organisées avant la Diada de l’année prochaine.
Le blocage en 2010
de l’application d’un nouveau statut d’autonomie
par le tribunal constitutionnel espagnol
n’a laissé d’autre choix
à l’ensemble du camp nationaliste
que celui de la confrontation
autour de la revendication
de l’indépendance pour la Catalogne
Rupture unilatérale
Cela paraît incroyable, mais, les indépendantistes majoritaires au parlement sont bien déterminés à mettre en oeuvre une rupture unilatérale de la Catalogne avec l’Espagne.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Le député Ferran Civit i Martí évoque trois facteurs. Le premier, une capacité de mobilisation sans précédent de la société civile catalane, avec l’organisation par l’ANC des manifestations populaires les plus massives qu’ait connu l’Europe ces dernières décennies. Le second, une dynamique indépendantiste inclusive qui a eu pour préoccupation constante de chercher l’adhésion la plus large, et notamment celle des citoyenne- s issu-e-s de l’immigration. Au passage, il est intéressant de noter qu’on retrouve cette même caractéristique en Ecosse ; et pendant qu’en France, la polémique sur le Burkini faisait rage cet été, la police écossaise autorisait les femmes musulmanes intégrant ses rangs à porter le voile avec leur uniforme… Enfin, troisième facteur de renforcement de l’indépendantisme en Catalogne (et non des moindres) : la propre attitude des jacobins espagnols. Alors que les nationalistes catalans “modérés” (ceux de l’ex CiU, un peu l’équivalent du PNV) avaient toujours pratiqué la négociation avec Madrid, le blocage en 2010 de l’application d’un nouveau statut d’autonomie par le tribunal constitutionnel espagnol (dont la majorité des membres est proche du PP) n’a laissé d’autre choix à l’ensemble du camp nationaliste que celui de la confrontation autour de la revendication de l’indépendance pour la Catalogne.
Quelle est donc la morale de l’histoire de ces dernières années en Catalogne ? N’y a-t-il pas un enseignement à tirer pour les jacobins français?
Même s’ils considéreront que cela n’a rien à voir avec le cas catalan, revenons maintenant à nos moutons…, c’est-à-dire à l’attaque “bille en tête” (un peu dans le style d’un taureau qui charge contre un fichu rouge…) de la CGT contre LAB. L’issue juridique de la procédure est encore incertaine, mais le fait que le STC ait eu gain de cause en cassation n’est pas de bon augure pour la CGT. Ainsi, on ne sait pas encore si la CGT ressortira totalement ridiculisée de cette opération, mais par contre, on pourra constater que, quel que soit son dénouement juridique, elle aura contribué à renforcer LAB, en lui faisant une jolie pub, et en élargissant le soutien dont il bénéficie. Bravo aux jacobins de la CGT qui ont eu l’idée de cette brillante initiative, ils méritent tous nos encouragements !