
Faut-il limiter l’affichage militant dans l’enceinte d’un événement pour éviter l’éparpillement et maîtriser la communication, ou au contraire laisser la possibilité, plus ou moins libre, aux autres organisations militantes d’afficher leurs messages ? Un dilemme organisationnel pas si anodin.
Dans plusieurs événements militants d’ampleur (Lurrama, EHZ,…), il n’est plus possible d’afficher au sein des espaces principaux des banderoles ou affiches militantes autres que celles des organisateurs. Pourtant, la culture de l’affichage de masse et la politisation des espaces festifs font partie des outils ayant permis la contre-hégémonie culturelle de la gauche abertzale.
Politique partout
À Altsasu (Nafarroa), 7 000 habitants, les murs parlent. Sur un pont, peints à la main, les territoires palestiniens occupés au cours du temps. Sur une façade, l’appel au retour des prisonniers. Pour l’oeil habitué, c’est peutêtre devenu un paysage de routine, au même titre que les vallons nuageux et les tâches blanches des moutons. On a vite fait d’oublier que dans beaucoup de villes de 7 000 habitants, le paysage du quotidien c’est plutôt panneaux Mac- Do et affiches électorales délavées. De l’extérieur, il y a justement quelque chose de singulier en Euskal Herri, et qui annonce la couleur : des grandes villes aux petits villages, on retrouve un peu partout des messages revendicatifs, internationalistes, progressistes, révolutionnaires, de la libération de la Palestine au féminisme en passant par le soutien aux Kurdes. La politisation de l’espace public n’est évidemment pas l’apanage du Pays Basque, mais ici plus qu’ailleurs, elle est particulièrement développée. Et n’est pas sans lien avec le niveau global de mobilisation.
“La culture de l’affichage de masse et la politisation des espaces festifs font partie des outils ayant permis la contre-hégémonie culturelle de la gauche abertzale.”
Bon exemple de ce contraste : le Forum social mondial (FSM) de mars 2013 à Tunis. Une bonne partie des Défense d’afficher Faut-il limiter l’affichage militant dans l’enceinte d’un événement pour éviter l’éparpillement et maîtriser la communication, ou au contraire laisser la possibilité, plus ou moins libre, aux autres organisations militantes d’afficher leurs messages ? Un dilemme organisationnel pas si anodin. militants venus du monde entier aurait été peut-être bien en peine de situer le Pays Basque sur une carte mais pourtant, ils savaient tous une chose : le premier village des alternatives Alternatiba s’y tiendrait les 5 et 6 octobre. Parce que chaque jour, consciencieusement, des portes des toilettes aux salles de conférences, les militants de Bizi! s’appliquaient à recouvrir intégralement le FSM de leurs affiches vertes ultra-visibles, permettant à la petite association locale de réussir le tour de force de s’affirmer dans l’agenda international de mobilisation en vue de la COP21. Pour les quelques affiches par-ci parlà, impossible de concurrencer avec une telle démonstration d’affichage de masse.
Indifférence nulle part
Dans son essai “La izquierda abertzale acertó“, l’allemand Raul Zelik observe avec fascination comment les fêtes de village, les repas populaires, les traditions culturelles ont été réappropriées pour en faire des outils quotidiens d’une “contre-hégémonie culturelle“.
“Où peut-on observer comment se développe une contre-hégémonie progressiste ? Selon moi, en Euskal Herri. […] Le fait que la vie quotidienne basque continue d’avoir autant d’aspects anti-mercantiles et revendicatifs est l’expression et le fruit d’innombrables luttes sociales. […] À la place des brasseries multinationales, des entreprises de spectacles ou des mairies, ce sont les associations de voisines et de voisins, les collectifs féministes, les organisations révolutionnaires et syndicales qui […] dominent l’ambiance festive.”
Et cette politisation passe notamment par le fait que, dans chaque événement, de la fête du quartier au concert de punk, on trouve des affiches militantes, revendiquant ici tel droit ou appelant à telle manifestation. Cette culture de la communication de masse est un acquis à défendre, et il vaut probablement mieux se retrouver avec trop de messages que pas de messages du tout. Il est d’ailleurs assez probable que dans le monde qui s’annonce, où les réseaux sociaux permettent aux idées les plus réactionnaires de s’immiscer dans les cerveaux à la vitesse de l’éclair et sans avoir besoin de colle et de pinceaux, ce sera une nouvelle fois salvateur que les fêtes de village, les événements culturels, les festivals de musique soient l’occasion pour toutes les forces progressistes de continuer d’en faire des espaces de politisation, de résistance et de contre-culture.