De l’antisémitisme

StopDiscriminationDans un contexte social déjà délétère depuis de longues semaines, la fin du mois de février dernier a malheureusement été marquée par la très médiatique agression verbale subie par le philosophe Alain Finkielkraut en marge d’une manifestation de gilets jaunes, du fait d’une poignée d’excités voyant en lui le “sioniste”, le “Juif”, voire même apparemment les deux en même temps.

Crise et exclusion : deux compères

Si l’événement avait été isolé, il n’aurait peut être donné lieu qu’à une malheureuse chronique de plus dans les colonnes de faits divers ; mais isolé, précisément il ne l’est pas.

Et je ne parle pas seulement des slogans antisémites qui avaient déjà pu être entendus dans d’autres manifestations précédentes, ni même de la profanation d’un cimetière juif en Alsace qui suivit de près l’épisode.

Je veux dire que l’une des limites du traitement de ces événements me paraît être la tendance à circonscrire les faits d’antisémitisme à leur seule cible – les Juifs – alors qu’ils sont également liés à un phénomène plus large de réaction sociale à un contexte de crise.

Je précise d’emblée qu’introduire cette mise en perspective n’atténue ni ne relativise en rien la gravité de ces faits d’antisémitisme ; ils doivent être punis à la hauteur de l’abjection qu’ils inspirent, cela ne souffre dans mon esprit d’absolument aucune réserve. Mais comme tout fait social, politique ou économique, il gagne à être perçu dans toute l’étendue de sa complexité au risque d’être imparfaitement compris et partant, imparfaitement combattu.

En disant que les faits d’antisémitisme doivent être mis en perspective, je cherche à faire entendre qu’ils relèvent évidemment d’une haine vis-à-vis d’un peuple bien précis, qui puise sa source dans une histoire très ancienne et constitue malheureusement une trame de fond relativement constante durant les siècles ; mais ils relèvent tout à la fois d’une logique de cycles se calquant souvent sur ceux de l’économie, parfois aussi de la politique, leurs résurgences étant souvent plus puissantes dans les contextes de crise et y étant associées à d’autres sources de rejet qui s’apparentent à “l’étranger” ou aux autres “marges” de la société.

Il s’agit là d’une logique fort classique de réaction aux malheurs du temps par la recherche de boucs émissaires, parfois jugés responsables de la situation mais parfois simplement sujets de défouloir ou catharsis.

Il en fut ainsi des marginaux de tout type durant les multiples crises du moyen-âge, des sorcières ou considérées comme telles durant celles de l’époque moderne, invariablement des étrangers ou migrants à chaque échelle des communautés humaines (du village au pays entier).

Alors que nous ne parvenons toujours pas à sortir d’un contexte de morosité économique et sociale depuis le milieu des années 1970, il est désolant mais néanmoins logique de voir ressurgir ces mêmes tendances, surtout à l’heure où le monde politique censé y répondre paraît aussi démonétisé.

Des “Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop” des années 1980 à la question actuelle des migrants, de Malik Oussekine à Ilan Halimi en passant par l’affaire de la jeune rom Léonarda, sans parler des intemporelles théories du complot mondial sioniste et autres profanations de cimetières, la sinistrose a toujours fait le lit de la haine et de l’exclusion, quelles qu’en soient les formes ou les degrés de violence, et les combattre commencera forcément par combattre d’abord la crise elle-même.

Ne pas se tromper de combat, un apprentissage

Garder cela en tête peut être utile à l’heure où l’on observe les réponses apportées aux faits d’antisémitisme du mois de février : les classiques manifestations de dénonciation, les déclaration présidentielles, les tweets en boucle, toutes sortes de réactions nécessaires mais loin d’être suffisantes à partir du moment où elles sont —à l’instar d’à peu près tout phénomène collectif aujourd’hui— prises dans le maelstrom quotidien et aussitôt oubliées derrière l’événement ou le fait divers suivant.

Et bien sûr, le grand classique de la loi de circonstance, celle qui fait office d’acte fort alors même que les dispositifs législatifs existants suffisaient en théorie mais pêchaient en pratique dans le suivi de leur application.

Mais quid de mesures nouvelles en matière d’enseignement, de sensibilisation au public ? Pas grand-chose.

Un drapeau dans chaque classe et la marseillaise au mur… De quoi permettre de comprendre efficacement d’où vient le réflexe naturel de rejet, d’apprendre à déconstruire les mécanismes psychologiques qui font qu’on ne déteste personne quand tout va bien, mais que quand cela va mal l’être humain a tendance à chercher quelqu’un à qui le reprocher ?

Dire à un antisémite que c’est un con donne bonne conscience mais ne sert à rien ; lui faire comprendre pourquoi il est antisémite, d’où vient sa haine et pourquoi il se trompe de combat, me paraît plus utile.

Prévenir la fièvre

Au Pays Basque, nous ne sommes pas mieux lotis qu’ailleurs. Les Basques ont généré autant d’exclus que les autres, sur des fondements sociaux, ethniques, religieux, politiques. Leur position géographique les a particulièrement exposés à ces enjeux d’accueil ou d’exclusion, et ce n’est pas près de s’arrêter avec l’accélération prévisible des phénomènes de migrations climatiques.

Au Pays Basque, nous ne sommes pas mieux lotis qu’ailleurs.
Les Basques ont généré autant d’exclus que les autres,
sur des fondements sociaux, ethniques, religieux, politiques.
Leur position géographique les a particulièrement exposés
à ces enjeux d’accueil ou d’exclusion,
et ce n’est pas près de s’arrêter.

Le développement des déséquilibres sociaux en ces tristes temps fait qu’on n’a de toute façon pas besoin “d’étrangers” pour générer “nos” propres exclus.

La crise n’est pas à la veille d’être résolue, ne serait-ce que parce qu’elle est multiforme mais aussi parce que l’élément climatique a introduit une dimension nouvelle. Cela signifie donc malheureusement que l’on peut s’attendre à voir aussi se multiplier les manifestations d’exclusion de tout type, et qu’il faut agir de façon plus volontaire.

En matière sanitaire, cela fait longtemps que l’on a appris que l’approche de l’hiver signifiait une baisse des températures et la prolifération de microbes propices à la résurgence de maladies, et on a appris à s’en préserver quasi instinctivement.

De la même manière, se préserver des fièvres psychologiques réclame de la prévention au quotidien, qui aujourd’hui semble de toute évidence encore défaillante.

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