De l’Algérie à l’Euskadi

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Décembre 1960 : je reviens d’Algérie après 27 mois de service militaire dans ce pays déchiré par une guerre de guérilla, avec des deux côtés une barbarie et une cruauté sans limites ; une guerre on ne peut plus sale ! Jeunes appelés, nous étions sensés maintenir l’ordre contre des bandits de grands chemins, les “fellagha”, en arabe “coupeurs de routes”. La réalité se chargea vite de nous instruire : ce pays n’était pas le nôtre, ses habitants indigènes n’étaient pas Français.

Un véritable conflit politique opposait les patriotes algériens à la domination coloniale de l’Etat français et des dirigeants européens d’Algérie : sous les soi-disant “événements” mis en exergue par la propagande gouvernementale, les maquisards algériens menaient une guerre de libération nationale et sociale qui là-bas gardera le nom de “Révolution”. Ils étaient chez eux, et pas nous.

Ayant fait mes classes près d’Alger, je fus expédié vers la fin de décembre 1958 au Sahara oriental, pas très loin du gisement pétrolier de Hassi Messaoud et de la frontière tunisienne. Dans l’ensemble saharien, après une tentative d’installation liquidée prestement en 1957 par les paras de Bigeard, l’ALN s’était résignée à ne pas insister.

D’abord le Sahara, c’est spécial, c’est un autre monde, comme on le voit aujourd’hui au Mali, avec des ethnies particulières telles que les Touaregs : à peine l’Algérie, et encore celle-ci le devait-elle à la colonisation française qui l’avait servie largement dans ce domaine à priori neutre, qui échappait jusque-là à tout pouvoir étatique.

Ensuite l’armée française tenait solidement les oasis, les puits, les rares axes de communication, et l’aviation contrôlait à vue l’espace désertique, lisant sur le sable comme sur de la neige.

Enfin ce désert est un enfer de mai à octobre avec des 55° à l’ombre, sauf que celle-ci est rare et occupée par les Français. Il reste très peu vivable à la bonne saison, par manque d’eau, de végétation et de routes. Avec la chaleur et les tempêtes de sable, l’ennemi principal était l’ennui, une sorte de claustrophobie, une étrange sensation de confinement, d’enfermement dans ce “Désert des Tartares” infini, pour un séjour à durée indéterminée, et toujours le risque d’un mauvais coup isolé sur une piste ou dans un coin de casbah.

Mais j’aurais tort de me plaindre et je n’en parle jamais : c’était quand même moins pire que la riflette dans la montagne kabyle où j’avais fait un passage d’une semaine pendant mes classes, juste le temps de goûter à l’ambiance dramatique de cette région, la plus ardente de l’Algérie intérieure : les coups de feu claquaient souvent de divers côtés. Soldats des traditionnelles troupes sahariennes, nous avions apparemment de bonnes relations avec les habitants des oasis, mais leurs sentiments patriotiques perlaient comme la transpiration, surtout chez les jeunes. : la soif indépendantiste de ces derniers se devinait facilement sous des précautions de langage. Par contre il n’y avait pas de fanatisme religieux : l’islam algérien marqué par le soufisme de l’émir Abdelkader, avec ses confréries ou “zaouia”, ses saints et ses marabouts, sortes de chapelles parfois tenues par des ermites du même nom, me rappelait assez notre catholicisme paisible du Pays Basque Nord. Le djihadisme viendra plus tard de l’est.

depositphotos_149920164-stock-illustration-beta-testing-blue-round-grungeMalgré tout j’étais à mes propres yeux un occupant, comme les soldats allemands honnis que j’avais vus en Soule dans mon enfance : sentiment difficile à supporter quand on est là sous l’uniforme contre ses idées ! Dans les montagnes du nord, les maquis laminés par le rouleau compresseur du plan Challe renaissaient sans cesse de leurs cendres. Réticent au début de la guerre, le peuple algérien adhérait de plus en plus à la revendication de l’indépendance et il le montrait par des manifestations massives, notamment en décembre 1960 lors d’une tournée du Président de Gaulle en Algérie. Celui-ci avait déjà pris acte de l’inanité des victoires militaires face à la détermination populaire. De plus il était talonné par une opinion publique française enfin lasse de ce conflit coûteux et sans issue…

En septembre 1959 il avait entamé publiquement une marche vers l’autodétermination de l’Algérie, mais il devait avancer prudemment pour ne pas braquer l’armée. Et voici enfin que le 8 janvier 1961, il organise un référendum sur ce thème dans toute l’étendue de la République Française, “de Dunkerque à Tamanrasset”.

J’en parle avec un ami de longue date, Michel Eppherre : il fait partie du groupe du mensuel Enbata dont je viens de trouver les premiers numéros dans ma famille d’Arrast-Larrebieu / Ürrüstoi-Larrabile : spontanément nous sommes d’accord pour voter OUI au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et nous considérons que ce principe universel vaut aussi pour nous autres, Basques.

Un peu plus tard, encouragé par Michel, puis par Txillardegi, enfin par Jakes Abéberry, j’adhérerai au groupe du journal Enbata en avril 1961, et je m’y consacrerai d’abord aux questions agricoles en vertu de mon origine paysanne et de ma formation d’ingénieur en la matière.

Ce séjour forcé en Algérie n’a pas fait naître mon patriotisme basque, mais il l’a durci. Le cancer de la torture notamment brisa le reste de confiance en l’Etat que me laissait un atavisme paysan très réservé envers ce pouvoir urbain coercitif, “frantzimant” et gabelou venu du bas pays, “Pe hortarik”, “Frantzia behere hortarik”, comme le vent du nord. Adepte du “Zazpiak-bat” grâce à un vieil abertzale de Mauléon-Licharre, Jean-Baptiste Ichouréguy, admirateur du Lehendakari Aguirre et de son critique Marc Légasse, je me bornais cependant au champ économique, linguistique et socio-culturel, car je ne voyais pas à l’époque ce que l’on pouvait faire de plus en Pays Basque “continental” face à un Etat tout-puissant, avec une opinion publique jacobinisée.

Mon expérience algérienne et l’irruption d’Enbata me firent franchir le pas politique, mais avec une grande méfiance envers la lutte armée et ses inévitables excès qui m’avaient marqué comme beaucoup de garçons de ma génération.

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