Démocratie directe, participative, voilà une aspiration fondatrice de la société désirée par les abertzale. Dans nos pays développés la Suisse est presque un modèle. Le 9 février dernier les citoyens helvètes se rendaient aux urnes pour des référendums convoqués, non par le gouvernement fédéral ou une quelconque autorité locale, mais par un parti populiste de centre-droit, l’UDC, membre du gouvernement, qui avait récolté plus de 100.000 signatures dans la majorité des cantons autonomes.
L’une de ces “votations” portant sur le maintien du remboursement de l’IVG a été très largement approuvée. La seconde votation d’initiative populaire a provoqué un choc politique international, car, à une courte majorité de 20.000 voix, les Suisses ont décidé de stopper l’immigration de masse en favorisant la préférence nationale. Marine Le Pen, présidente du Front National, a salué la lucidité du peuple suisse souhaitant que ce vote fasse école.
Au-delà des réactions politiciennes, c’est plus sérieusement l’une des valeurs constitutives de la construction européenne qui est ainsi contestée: la libre circulation des biens et des personnes. Et ce, dans un pays en pleine prospérité, qui échappe à la crise, dont le taux de chômage est de 3,5% et le salaire mensuel médian de 3.500€ contre 1.700€ en France.
La crispation identitaire est provoquée non par la venue de maghrébins ou de noirs, mais par des Français, des Allemands, des Portugais ou des Italiens. Certes ce petit pays de 8 millions d’habitants compte 1,7 million de résidents étrangers et plus de 500.000 travailleurs traversant chaque jour ses frontières, dont 140.000 Français. C’est cette immigration, résultant d’accords avec l’Union européenne mis en application en 2002, qui a dopé la croissance industrielle de la Suisse.
Dans cette démocratie parfaitement huilée, gouvernement et parlement confédéraux ont trois ans pour traduire en lois constitutionnelles les résultats de ces votations et donc renégocier avec l’UE l’ensemble des traités puisque la libre circulation fait partie d’un tout indissociable. Pas d’accès au marché intérieur de l’Union sans libre circulation. Mais l’enjeu géo-politique est bien plus grave encore. Il dépasse le simple rapport de force entre un petit pays de 8 millions d’habitants, non membre de l’Union, et un bloc de 28 pays de 500 millions de consommateurs-producteurs avec qui la Suisse est simplement associée depuis des décennies dans le cadre de l’AELE et de Schengen.
Plus profondément, c’est un accroc au modèle que nous voulons construire sur les décombres des guerres mondiales. La Suisse n’est-elle pas une Europe en miniature où cohabitent démocratiquement et en paix, à l’intérieur et à l’extérieur, depuis cinq siècles, des Italiens, Allemands, Romanches et Français qui, ailleurs, dans leurs Etats-nations, s’entretuent depuis mille ans? Un pays sans richesse naturelle, sans ouverture sur la mer, sans langue singulière et commune, où le ciment identitaire est d’abord le vouloir-vivre ensemble dans les différences ethniques selon des règles auto-définies et librement mises en œuvre, n’est-il pas un exemple?
A l’autre bout du continent, un grand pays de 46 millions d’habitants, ayant recouvré l’indépendance il y a vingt ans au sortir de l’implosion de l’empire soviétique, l’Ukraine entend se rapprocher de l’UE. En refusant de parapher le partenariat qu’il a sollicité de l’UE, le gouvernement ukrainien a déclenché une véritable révolte populaire durement réprimée avec près de cent morts. Il semblerait que ces journées de violence aient emporté le président Ianoukovich et son gouvernement. Le parlement de Kiev et une partie de la police ont rejoint la vague pro-européenne. Des élections générales proches devraient modifier le cours d’une nation linguistiquement divisée entre ukrainophones et russophones qui, avec le poids de l’histoire tsariste et soviétique, a longtemps été considérée comme le glacis de l’empire russe.
Mais la démocratie est passée par là et les peuples entendent écrire eux-mêmes leur destin. L’UE est donc interpellée de l’extérieur, elle qui arrive à grand peine à se construire dans le compromis permanent. Ses élargissements successifs à des pays aux développements contrastés l’ont rendue encore plus fragile et ces nouvelles solidarités ravivent les repliements nationaux. Et pourtant, malgré la crise, l’UE reste pour le monde entier un havre de prospérité et de paix. Première puissance économique, son système de valeurs garantit, depuis sa fondation il y a soixante ans, fait unique dans son histoire, la paix entre ses Etats membres. Elle nous protège, sur le même continent, des scènes bouleversantes d’affrontements, d’incendies, de morts de la place Maïdan de Kiev, où, il y a peu, de la guerre civile en Yougoslavie.
Les conflits armés irlandais ou basque, résidus de conquête impériale ou de dictature, sont aujourd’hui en voie de résolution. La partition de l’Ecosse est démocratiquement programmée et, s’accomplira, espérons-le, pacifiquement comme en Tchécoslovaquie. Ce n’est pas seulement une alternative financière entre Russie et UE qui fait basculer l’Ukraine mais bien un partenariat permettant de faire société par un Etat de droit. On le voit, notre vote de citoyen européen en mai est chargé de toutes ces valeurs.