Le référendum du 1er octobre ne tombe pas du ciel. Il est le fruit d’une longue mutation politique qui affecte l’abertzalisme catalan tout entier.
Il y a quinze ans, les abertzale catalans étaient réputés pour leur sens du dialogue et leur modération. Eux au moins étaient fréquentables. A l’inverse des Basques, violents et jusqu’au boutistes. Jordi Pujol vice-roi d’Espagne contre Arzallus le cynique, de mèche avec ETA. Aujourd’hui, les rôles sont inversés. L’évolution catalane est le résultat d’une série d’expériences, de démarches et d’événements qui ont totalement changé les sensibilités et le panorama politique du pays comme celui de l’Espagne.
Tout a démarré en 2005. Dirigé par une coalition nouvelle —PSOE et indépendantistes d’ERC— qui a évincé l’inamovible CiU, le parlement adopte, par 120 voix sur 135, un nouveau statut d’autonomie aux compétences élargies (reconnaissance en tant que nation, pouvoir fiscal étendu). Ce texte est approuvé en 2006 par un référendum régional et légal (73,90% de oui). Les socialistes s’étaient engagés à le soutenir aux Cortés, mais cette assemblée l’a une première fois raboté avec la trahison de CiU désireux de régler ses comptes avec l’ERC. Quelque temps plus tard, le PP de retour aux affaires, fit vider le statut de son contenu par le Tribunal constitutionnel qui annula 14 articles essentiels.
Des magistrats nommés peuvent ignorer le vote d’assemblées ou du peuple appelé à se prononcer par voie référendaire, au nom de l’intangibilité d’un texte constitutionnel vieux de de quarante ans. C’est cela «la jeune démocratie espagnole»
Confiance en miettes
Au regard de ces échecs et de ces trahisons, la confiance des abertzale catalans dans les institutions espagnoles et leurs partis, s’est évaporé. Ils envisagent un autre scénario.
Ils ont tiré les leçons de l’échec du plan de souveraineté-association mis en œuvre en solitaire par Juan José Ibarretxe de 2003 à 2005. Dans un contexte difficile avec ETA toujours en activité, dépourvu du soutien véritable de sa propre formation politique et d’un mouvement social englobant les forces vives du pays, le projet du Lehendakari, dûment approuvé par le parlement de Gasteiz, se fracassa sur le mur des Cortes espagnoles.
Les abertzale catalans ont donc commencé par mobiliser leur société civile au travers de fédérations déjà anciennes, Òmnium cultural et ANC (Assemblée nationale de Catalogne), avec pour objectif de dépasser les clivages partisans au sein de leur camp. Parallèlement, ils lancent à partir de 2009 des référendums municipaux qui embrasent la Catalogne pendant près de trois ans et confortent le souverainisme. Cette période parfois confuse transforme au fil des scrutins la carte politique : l’ERC parvient à surmonter ses divisions, CiU fait le choix du souverainisme et écarte Unió, sa tendance autonomiste molle qui tombe aux oubliettes. CUP —nouvelle formation de gauche radicale et indépendantiste— sort de sa marginalité. Au total, les souverainistes passent de 14 députés indépendantistes en 2010, à 72 aujourd’hui, ils détiennent la majorité absolu au parlement. Mais encore faut-il s’entendre pour gouverner le pays, élire un président et organiser un référendum en bravant les foudres de Madrid. Les abertzale catalans y parviennent, non sans mal. Le pays est aujourd’hui dirigé par une coalition qui va de la droite abertzale à la gauche radicale, elle résiste aux tempêtes.
Bouleversement de la carte politique
Significative de cette mutation est la montée en puissance de la Diada de 2010 à 2014, L’aberri eguna catalan, fêté le 11 septembre, fait pour la première fois descendre dans la rue, un million et demi de personnes. En 2013, un an avant le 200ème anniversaire de la disparition de la souveraineté catalane tombée sous les coups des armées espagnoles, une chaîne humaine de 400 km de long à travers le pays, du nord au sud, de Perpignan à Alcanar, au-delà de l’embouchure de l’Ebre, tout au long de la via Augusta. C’est du jamais vu.
Artur Mas tente alors la médiation de la dernière chance : il propose à Mariano Rajoy de négocier une extension du pouvoir fiscal catalan qui se rapprocherait du système en vigueur en Hegoalde. Refus brutal du chef du gouvernement espagnol. Ne reste plus que la solution du référendum pour faire sauter le verrou.
Le 9 novembre 2014, une majorité CIU et ERC conduite par son président, organise donc un référendum d’autodétermination «non contraignant», en réalité une simple consultation que l’Espagne refuse de légitimer et interdit avec une mollesse relative, au regard de la suite. Ce référendum dépourvu d’effets politiques coûte cher aux abertzale catalans, plusieurs de leurs dirigeants sont lourdement condamnés et deviennent inéligibles. Par la suite, de nombreuses lois approuvées par le parlement catalan sont réduites à néant par le Tribunal constitutionnel espagnol. Mais tout cela sert de leçon et constitue autant de répétitions générales pour les combats à venir.
Entre temps, la droite espagnole minée par la corruption et le dossier catalan, s’est brisée en deux, avec la naissance en Catalogne de Ciudadanos, parti très anti-catalaniste et jacobin, qui s’est ensuite répandu en Espagne. Son irruption a considérablement affaibli le PP aujourd’hui minoritaire et dont le gouvernement dépend du bon vouloir de cinq députés PNV qui se font un plaisir de faire monter les enchères. En attendant que les tensions se calment en Catalogne, le parti basque retire aujourd’hui son soutien à Mariano Rajoy qui a été obligé de repousser l’adoption de son budget.
Tirer les leçons
La gauche espagnole traverse elle aussi une crise gravissime. Le PSOE catalan s’est morcelé sur la question nationale et n’est plus que l’ombre de lui-même. Hier encore, il gouvernait la Catalogne en alliance avec ERC. En Espagne comme à Barcelone, le PSOE est laminé par la montée en puissance de Podemos. Le succédané catalan de ce dernier soutient l’organisation d’un référendum d’autodétermination, ce qui en dit long sur l’évolution de la gauche classique. En Espagne, c’en est fini de la sempiternelle alternance droite-gauche se partageant à tour de rôle le pouvoir. Le pays devient ingouvernable.
C’est dans ce contexte totalement bouleversé et forts des expériences précédentes, que les souverainistes catalans lancent une opération à haut risque : le référendum d’autodétermination qui en cas de succès, entrainera une déclaration d’indépendance. L’épreuve sera rude, elle exigera une colossale organisation dans des délais très brefs. Nous allons comprendre pourquoi.
Résultats du scrutin
Selon le gouvernement catalan, 2.262.424 électeurs ont pu voter le 1er octobre sur 5.343.358 millions inscrits. Le taux de participation est de 42%, environ 670.000 personnes n’ont pu voter, selon le porte-parole du Govern.
Le oui a rassemblé 90,09% des suffrages (2.020.144 voix). Le non totalise 176.565 bulletins (7,87%). Le vote blanc obtient 45.586 voix (2,03%) et le vote nul 20.129 (0,89%).
Au regard des conditions d’organisation et du climat politique, il s’agit d’un véritable exploit. Lors du référendum d’autodétermination du 9 novembre 2014, 2.300.000 électeurs s’étaient exprimés dans des conditions très différentes.