Ouah ! Ces américains, toujours aussi forts ! On croyait qu’ils avaient atteint le summum en élisant en 1981 —et à deux reprises !— un acteur de seconde zone, le très droitier Ronald Reagan. Hé bé, ils ont trouvé mieux en changeant la première lettre du prénom et en catapultant un canard très laqué à la Maison blanche, la bien nommée !
Il faut dire qu’on a parfois du mal à les suivre, nos “doubles libérateurs du XXe siècle”.
Les sondages se sont trumpés !
Leur système électoral à la course à la présidentielle est aussi limpide que la partie nord de la plage Uhabia à Bidart : il y a des grands électeurs pour qui la population vote (à 50 % en moyenne !) et les Etats qu’il faut gagner.
Déjà en 2000, Al Gore le candidat démocrate, bien que majoritaire (près de 544 000 voix), avait été battu par son opposant George W. Bush, majoritaire en nombre de grands électeurs, malgré les recours, devant la Cour suprême, consécutifs au comptage parfois folklorique des voix en Floride.
Cette fois-ci, aussi, l’électorat américain a majoritairement voté pour Clinton. Si ce n’est que les résultats officiels et définitifs ne seront pas connus avant le printemps prochain, si l’on en croit le journal Libération. En cette fin novembre, le nombre de voix supplémentaires favorables à Clinton oscille entre 776.854 voix d’avance, soit 0,6 % des suffrages exprimés (source Le Canard enchaîné) et un peu plus de 2 millions de voix soit 1,5 point de pourcentage selon Le Monde ou Le Figaro. On se croirait dans une république, bananière !
Et comme le dit à juste titre le Canard enchaîné du 16 novembre, “… toutes les voix ne sont pas égales : certaines le sont plus que d’autres, en particulier celles d’une demi-douzaine d’États clés. Et c’est ainsi que les suffrages des électeurs blancs, masculins, âgés, ruraux ou peu diplômés ont pesé davantage que ceux des électeurs urbains, jeunes, diplômés, femmes, noirs ou hispaniques”.
Donald est Dingo !
Vu d’ici, les choses peuvent paraître simples. Le monde entier (hors droite extrême et extrême droite) s’interroge sur les conséquences, pour la planète entière, de l’arrivée fracassante “d’un président milliardaire, beauf assumé, raciste, sexiste, réac, inculte, grossier et inexpérimenté à la tête de la première puissance du globe” comme aime à gloser le célèbre volatile. Il n’est que de voir toutes ses incartades, son ego et ses vomissements verbaux (1).
Oui, on peut légitiment s’inquiéter de ce vote populiste, à la droite de la droite, vers ce libéralisme économique effréné et son pendant, le détricotage social et sociétal qui se répand des deux côtés de l’atlantique.
Oui, on peut craindre que Trump n’attise, encore plus qu’Obama, les conflits dans le monde, qu’il remette en cause l’accord de Paris avec sa conséquence première : avec un gouvernement américain idéologiquement hostile à la science, les émissions mondiales de gaz à effet de serre continueront d’aller crescendo.
Certes. Mais on a sûrement aussi à s’interroger sur ce qui l’a amené à la plus haute marche. Comment plus de 60 millions d’électeurs ont-ils pu donner leur suffrage à Donald Trump dont 48% de femmes ?
Hillary, elle a pleuré !
Pour avoir quelques éléments de réponse, il faut lire l’essayiste Chris Hedges (2). Dans une interview récente, il s’exprime sur le lent délabrement des Etats-Unis d’Amérique, l’oubli du peuple, la casse du système social, la politique sécuritaire. Le journaliste et militant explique comment les mandats de Bill Clinton et Barack Obama ont largement favorisé l’élection de Trump (3).
Ainsi, il explique que Barack Obama n’a pas tenu sa promesse de campagne de 2008, après le crash financier de renégocier ou en tout cas atténuer le accords commerciaux de libre-échange signés par les États-Unis en 2004. Il a plutôt défendu les intérêts des pouvoirs financiers qui ont brutalisé la société américaine depuis Bill Clinton. Huit années dilapidées par les élites démocrates! Les victimes du système ne leur ont pas pardonné la malhonnêteté d’un parti qui courtisait les classes populaires. Elles ont rejoint Trump par colère et frustration. Car le constat est implacable : les villes des anciens bassins industriels sont en ruine, 50 millions d’américains vivent sous le seuil de pauvreté, les salaires stagnent ou déclinent, les services sociaux sont de moins en moins nombreux, l’Obamacare (la réforme de l’assurance santé) a surtout profité à l’industrie pharmaceutique…
(Les) Boules et Bill !
Et Bill Clinton a rendu la vie plus dure à la classe ouvrière avec la signature du traité Aléna en 1994 (accord de libre échange avec le Canada et le Mexique), ou avec la destruction du système de sécurité sociale, alors que 70% de ses bénéficiaires étaient des enfants. On comprend mieux ce relatif rejet de la dynastie Clinton. Au rayon du vivre ensemble, trois afro-américains sont tués chaque jour par la police. “Dans les villes désindustrialisées où se produisent ces drames, les jobs et les aides sociales ont été remplacés par un usage massif de la répression : 25 % des prisonniers dans le monde sont détenus aux États-Unis, alors que le pays ne représente que 4 % de la population mondiale”. s’insurge Chris Hedges. De même, en refusant de s’attaquer aux pratiques dénoncées par les lanceurs d’alerte Snowden, Assange ou Manning, Obama a terriblement fragilisé les droits fondamentaux car le jour où la population ignorera tout des actions de son gouvernement (parce que diffuser ces informations est devenu un crime), l’État aura carte blanche pour agir à sa guise. Et l’essayiste de conclure fataliste : “Les idées populistes vont continuer à progresser. Il ne peut en être autrement tant que dominera cette idéologie néolibérale insensée, qui considèrent que les diktats du marché doivent déterminer comment on gouverne un pays”.
Ce n’est pas en France que tout cela arriverait !
(1) Florilège : Les mexicains ? “Ils apportent la drogue. Ils apportent la criminalité. Ce sont des violeurs. Certains d’entre eux, je suppose, sont d’honnêtes gens” (16/06/15). Les femmes ? “Quand on est une star, elles nous laissent faire. On peut faire tout ce qu’on veut. Les attraper par la chatte” (Video 2005). L’argent ? “Ça n’a pas été facile pour moi. Vous savez, j’ai démarré à Brooklyn, mon père m’a accordé un petit prêt de 1 million de dollars” (NBC, 26/10/15).
(2) Américain et reporter de guerre dès les années 80/90 (Salvador, Bosnie puis le Kosovo), il obtient en 2002 le prix Pulitzer avec d’autres journalistes du New York Times. Après La mort de l’élite progressiste (éditions Lux, 20€), en 2012, il publie aujourd’hui La guerre est une force qui nous octroie du sens (éditions Actes Sud, 21,80€) ainsi que L’âge des démagogues (éditions Lux, 12€).
(3) Télérama (N°3488/du 19 au 25 novembre 2016)