A l’inverse de l’Allemagne qui a accueilli un million de réfugiés du Moyen-Orient, la France traîne des pieds pour en héberger le dixième. Certaines municipalités font tout pour s’exonérer de cet acte élémentaire de solidarité. Y aurait-il des bons migrants et des mauvais migrants ?
Les « bons migrants » bronzent sur la plage de Saint-Jean-de-Luz, tandis que les “mauvais” ne sont toujours pas à la veille d’être accueillis.
Ah, l’été au Pays Basque ! Le soleil chaud, le sable fin, les cornets de glace ou la petite bière fraîche (à prix prohibitif, bien sûr, mais une terrasse au pays des antiques Vascons ça se mérite)… Tout cela ne peut qu’attirer les touristes, ces migrants saisonniers dont la venue est presque plus attendue encore que celle du Messie. A ces migrants-là, on déroule volontiers le tapis rouge. A d’autres migrants, par contre, le tapis n’est pas de la même couleur, en tout cas pas à Saint-Jean-de-Luz. Mais dans ce tapis-là, le maire de la ville Peyuco Duhart s’est bel et bien pris les pieds.
“Pour convaincre les masses, il vaut mieux un gros mensonge qu’un petit”
Ce précepte très machiavélien, le maire de Saint-Jean-de-Luz avait pourtant décidé de le suivre lorsque s’était posée à lui la question des migrants du Proche-Orient, ne pensant pas qu’elle lui exploserait à la figure en juin dernier.
Retour en arrière.
Le 8 septembre 2015, alors que l’été précédent avait été marqué par la dramatique situation des camps de réfugiés de Calais et que se lançait un appel à la solidarité des communes, le groupe abertzale luzien Herri Berri avait adressé au maire une lettre ouverte demandant que la ville prenne sa part à l’accueil de ces populations. Lors du conseil municipal suivant, le 18 septembre, ce dernier avait officiellement fait connaître son accord pour l’accueil de deux familles, et annonçait avoir informé les services de la préfecture à cet effet. S’ouvrit alors une longue période durant laquelle les élus abertzale relancèrent le maire à plusieurs reprises, se voyant invariablement répondre qu’il n’avait aucune nouvelle de la préfecture. A la longue, quelque peu soupçonneux, ils décidèrent de contacter directement la Délégation départementale à la cohésion sociale (DPCS) et se virent confirmer leur crainte : une attestation écrite datée du 6 juin leur prouvait qu’aucune proposition n’avait à ce jour été déposée par la commune de Saint-Jean-de- Luz. Pire, une relance précisant les modalités de sollicitation avait été envoyée à tous les maires du département le 15 avril précédent, sans davantage d’effet. Lors du conseil municipal suivant, le 17 juin, les élus abertzale rappelèrent alors au maire son annonce et lui demandèrent des explications. Celui-ci, visiblement aussi ébranlé qu’un enfant pris en flagrant délit de bêtise, plaida néanmoins sa bonne foi et réclama la confiance, coupant court au débat en éteignant le micro de son élu d’opposition. La presse fut alors prise à témoin mais face à l’attestation écrite de la DPCS, Peyuco Duhart brandit “sa parole valant bien celle des élus abertzale” et bredouilla une démarche bel et bien effectuée en préfecture par d’autres canaux, mais qui se serait probablement perdue…
Mentir à son conseil
Depuis, les “bons migrants” bronzent sur la plage de Saint-Jean-de-Luz, tandis que les “mauvais” ne sont toujours pas à la veille d’être accueillis. Déjà scandalisé par le fait que le maire ait brutalement mis fin au débat en conseil —constituant un excès d’autorité caractérisé— le groupe abertzale déplore aujourd’hui le fait que Peyuco Duhart n’ait toujours pas répondu aux questions posées : une proposition a-t-elle effectivement été déposée en préfecture en septembre ? Si tant est que la preuve officielle en est apportée, comment expliquer l’absence de relance durant neuf longs mois, des démarches similaires se concrétisant par ailleurs dans des communes voisines ? Et si une relance a bien eu lieu après le nouveau courriel de la DPCS du 15 avril précisant pourtant les modalités à suivre, comment se fait-il que celle-ci ne l’ait toujours pas reçue à la date du 6 juin ? Pour les abertzale luziens, qui sont prêts à croire à la bonne foi de leur maire, si des éléments clairs viennent expliquer que tout cela est dû à une succession d’anomalies, il suffit que ce dernier les rende publics car chacun est capable de les comprendre. Mais sa réponse, par voie de presse, tient aujourd’hui dans le déni et sa seule parole, auxquels le groupe abertzale oppose un écrit officiel. En l’absence d’éléments plus probants de sa part, cela attesterait d’une absence de réelle volonté de concrétiser l’annonce officielle du mois de septembre, et donc du pur et simple mensonge d’un maire à son conseil municipal.
Basse politique
Mais cette malheureuse anecdote prend surtout sa dimension par le fait qu’elle concerne une question douloureuse pour des milliers de personnes. Comme l’avait dit le regretté Michel Rocard, il est impossible “d’accueillir toute la misère du monde” mais chacun doit “prendre sa part”. Avec ce vilain mensonge, Peyuco Duhart a cherché à ménager la chèvre et le chou : l’image valorisante d’un maire sensible à cette misère et à ses propres responsabilités, mais le pari que tout le monde oublierait cette promesse, lui permettant ainsi de rassurer une partie de sa population hostile à l’arrivée de réfugiés dans la ville. Pour les abertzale luziens, au-delà du mensonge et du précieux temps perdu, c’est bien la dramatique situation des réfugiés qui reste prioritaire. Ils n’oublieront pas le mensonge, mais ils veulent des réponses sur la volonté réelle de recevoir ces gens, dans quelles conditions et dans quels locaux, autant d’inconnues qui pourraient tout autant enterrer pour de bon la belle promesse. Qu’il en soit sûr, le gong de l’été et des vacances ne sauvera pas le maire sur cette question.