“C’est la pratique qui créée le syndicalisme décolonial et féministe”

34 jours de grève des travailleurs immigrés de Ferrovial.
34 jours de grève des travailleurs immigrés de Ferrovial.

A l’occasion du 1er mai, les pages Gogoeta d’Enbata mettent le projecteur sur les évolutions intéressantes du syndicalisme basque, l’un des plus dynamiques, rénovateurs et combatifs de l’Union Européenne. Unai Oñederra, directeur de la Fondation Manu Robles- Arangiz, revient sur un des nombreux combats remportés par le syndicat ELA, après 37 jours de grève des travailleurs immigrés de Ferrovial, un sous-traitant de la multinationale Michelin dans la plaine d’Alava. Il en tire une première conclusion sur le syndicalisme décolonial: il se construit de la même manière que le syndicalisme féministe, à partir de la pratique du terrain, et non pas sur de grands débats théoriques. Les bonnes pratiques et bons résultats étant contagieux, il juge important de communiquer sur chaque combat, sur chaque victoire.

Un total de 37 jours de grève. Un soustraitant de la multinationale Michelin, qui est lui-même une autre multinationale, Ferrovial. Des travailleurs immigrés (du Maroc, de Mauritanie, du Ghana, du Bénin, du Nigéria, du Mali, du Sénégal, du Togo). Une précarité absolue. David contre Goliath, dans la plaine d’Alava, plus précisément à Araia. Un syndicat : ELA. 37 jours de grève, et la victoire au bout (conversion de tous les contrats à temps partiel en temps plein, augmentations de salaire de plus de 3600 euros en cinq ans, 14 heures libres par an rémunérées, améliorations au niveau des primes, indemnité congés maladie permettant de maintenir 100% du salaire de référence des congés maladie, etc.).

Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, ça me paraît incroyable. La victoire dans un conflit comme celui-ci, avec ces protagonistes- là et les conditions dans lesquelles ils se trouvaient, est un exemple, qui à l’époque du “c’est ça ou rien”, de la peur et des contrats de quelques heures pour un salaire de misère, devrait se répandre comme une traînée de poudre au Pays Basque, à travers l’État et dans le monde. Mais personne ne s’en est rendu compte.

Sûrement qu’une fois cette bataille gagnée, le cadre ou l’équipe syndicale qui ont aidé à mener ce combat ont dû aussitôt être absorbés par une autre bataille, gérant les urgences quotidiennes se multipliant sur le terrain. Et la communication sur cette victoire ? Il n’y en n’a pas eu, ça n’a pas dû leur paraître le plus important, le plus urgent…

Une erreur, oui. Mais je préfère ce genre d’erreur que le contraire. J’aime mieux ceux qui font sans le dire que ceux qui disent sans faire. Cela ne retire rien au fait qu’il est essentiel de communiquer sur les luttes et les victoires. Car ce qui a été réalisé à Araia pourrait, devrait être reproduit dans tous les autre lieux de travail infectés par la précarité.

David contre Goliath, la grève victorieuse menée contre une multinationale par des travailleurs immigrés membres du syndicat basque ELA.
David contre Goliath, la grève victorieuse menée contre une multinationale par des travailleurs immigrés membres du syndicat basque ELA.

Cette lutte remportée par les travailleurs de Ferrovial, comptant un grand nombre de personnes “racialisées”, m’a rappelé celle des femmes de chambre des hôtels NH et Barceló- Nervión à Bilbao (47 jours de grève, et la victoire au bout), la lutte de Navarpluma à Iruñea (41 jours de grève, et la victoire au bout), celle des travailleurs des chantiers du port de Bilbao et celle des travaux de rénovation du stade Anoeta de Donostia (victoires sans grève mais après un gros travail d’organisation et de syndicalisation des salariés), toutes dirigées par des travailleuses et travailleurs immigré·es. Et je me suis posé la question : comment construit-on un syndicalisme décolonial ? Avec de la théorie et des débats, oui. Avec une idéologie et de la formation, oui. Avec des discours et des alliances aussi. Mais ça ne suffit pas.

La chose la plus importante pour construire un syndicalisme décolonial c’est la praxis. Le syndicalisme décolonial se construit en faisant du syndicalisme décolonial : en syndiquant, en construisant du collectif, en organisant, en luttant, en soutenant des grèves dans les lieux de travail les plus précaires et les plus racialisés. Le syndicalisme décolonial se construit de la même manière que le syndicalisme féministe : à partir de la pratique.

Le syndicalisme décolonial
se construit de la même manière
que le syndicalisme féministe :
à partir de la pratique.

Le chemin se fait en marchant. Même si on n’atteint jamais vraiment la ligne d’arrivée, l’important, c’est le processus. Le cas de la syndicalisation des secteurs majoritairement féminins est connu notamment grâce à la fameuse grève des EHPAD de Biscaye (378 jours de grève et la victoire au bout). Mais également grâce aux victoires syndicales contre les écarts de salaire dans le secteur du nettoyage des commissariats et des tribunaux du Gipuzkoa (9 mois de grève, et la victoire au bout), de la mairie d’Elorrio (5 mois de grève, et la victoire au bout), de la mairie de Zarautz (cette fois une victoire sans passer à nouveau par la grève, grâce à une précédente grève qui avait connu un gros succès), et la victoire en pleine pandémie des travailleuses de Lidl. Il ne faut pas non plus oublier les trois grèves dans le secteur des soins menées depuis l’automne au Pays Basque Sud, les grèves actuelles des travailleuses des EHPAD de Gipuzkoa (déjà 247 jours), Araba et Nafarroa, et les grèves des employées des services d’aide à domicile…

Le chemin se fait en marchant.
Même si on n’atteint jamais vraiment
la ligne d’arrivée,
l’important, c’est le processus.

Le capitalisme, le patriarcat et le racisme nous imprègnent si profondément que nous les porterons toujours un peu en nous; notre syndicalisme sera toujours en deça de ce qu’il doit être, il ne sera jamais parfait, il restera un moment encore majoritairement blanc et masculin. Il va nous en coûter beaucoup pour pouvoir dire un jour : “ça y est, nous avons enfin un syndicalisme féministe décolonial”. Comme le disait Galeano, “quand nous croyons atteindre l’horizon il nous échappe”. L’utopie sert à avancer, pas à pas, par la pratique, bataille après bataille, victoire après victoire, aussi petite soit-elle. C’est ainsi qu’on avance, en mettant un visage de femme ou de personne racialisée à la lutte des classes. La bonne nouvelle, c’est que les bonnes pratiques et les bons résultats sont contagieux.

C’est compliqué, je le sais. La situation est difficile, tant sont grands les problèmes et les besoins des travailleuses et travailleurs qui viennent des pays pauvres en quête d’une vie meilleure ; tant est important le nombre de patrons avides voulant tirer profit de leur situation ! C’est pour ça qu’il est si important de communiquer sur chaque lutte, sur chaque victoire. En toute humilité, conscients de la modestie de ce qui a été obtenu, mais il faut que cela se sache, que cela se voit ! Que cela brille ! Que cela se démultiplie.

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