Le spectacle qu’offre la situation catalane a déjà suscité d’innombrables commentaires, tantôt hispanophiles tantôt catalanophiles, et c’est souvent avec quelque difficulté qu’une chatte y retrouverait ses petits. La situation est désolante pour des raisons qui dépassent la seule question catalane.
Dans le débat qui voit s’affronter sécessionnistes catalans et unionistes espagnols, on a l’opposition entre deux nations – personnellement je ne vois aucune raison de nier l’existence avérée de l’une ou de l’autre, quelle que soit la sympathie ou la répulsion qu’elles suscitent – et entre deux nationalismes – c’est-à-dire deux “exaltations” de ces nations.
Les catalanistes aspirent à devenir un État et les espagnolistes à conserver le leur dans son intégrité.
Fondamentalement, il n’y a rien d’anormal à tout cela, l’État-nation étant le seul modèle auquel tout le monde se réfère depuis près de deux siècles en Europe.
Partant de cette constatation, et s’il était avéré que les populations concernées y fussent majoritairement favorables (ce qui suppose qu’on leur pose la question), pourquoi donc les Espagnols auraient droit à leur État et pas les Catalans ?
Parce que la constitution espagnole de 1978 s’impose à tous ? Une loi, même suprême, ne reste qu’une convention collectivement adoptée à un moment donné, un “contrat social”, mais qui ne saurait légitimement priver une partie de ses partenaires du droit de choisir de s’en extraire ; en tout cas pas dans un régime où le peuple est censé être souverain.
Mais alors, qui donc est le “peuple souverain”?
Les Catalans ne sont-ils donc pas un peuple, et ne peuvent- ils donc prétendre à cette souveraineté? Non seulement la constitution espagnole reconnaît les “nationalités” du royaume donc des “infracommunautés”, mais surtout, par quel principe supérieur un groupe humain ne pourrait-il pas décider, même du jour au lendemain, de se définir comme un peuple voire une nation ?
Pour ma part, il est clair que si la population de la Catalogne veut se doter d’un État et si cette volonté est majoritairement exprimée, on pourra peut-être trouver ça débile mais ça restera un droit légitime, aussi légitime que celui des Français ou des Espagnols à conserver le leur.
La faillite de l’État-nation
Autre chose est de se demander si ce n’est pas le modèle de l’État-nation lui-même qui n’est pas devenu obsolète. Fruit des logiques nationalistes du XIXe siècle, ce modèle a parcouru le siècle suivant en le ponctuant certes de rencontres sportives passionnées et de jolis hymnes nationaux, mais aussi de quelques belles tensions géopolitiques.
Si l’on peut espérer que les plus sanglantes – opposant les États-nations entre eux – soient désormais derrière nous, il en reste d’autres pudiquement baptisées “de basse intensité” qui restent irrésolues à l’intérieur même de ces États-nations.
Qu’elles aient été plutôt pacifiques comme en Écosse ou même en Catalogne, ou carrément violentes comme en Irlande ou au Pays Basque, elles montrent que les processus de construction des États-nations ont inégalement abouti, voire même ont pu échouer comme dans l’Espagne des périphéries catalane et basque.
Est-il donc sage de se braquer aujourd’hui sur un modèle qui a montré ses propres limites ?
Est-ce sage surtout à l’heure où les populations vivent à l’âge des mobilités et des communications, s’entremêlant physiquement comme virtuellement en un kaléidoscope d’identités sur lequel il est bien vain de chercher à calquer des cartes ou des territoires ?
A mon avis, l’État-nation, c’est ringard ! Et c’est bien à défaut que je soutiens – mais de manière parfaitement assumée – l’indépendance de la Catalogne et celle du Pays Basque.
Il revient au citoyen
de pouvoir se déclarer insatisfait
d’un modèle qu’on lui a abusivement servi
comme le paradigme ultime,
le cadre incontournable,
et de rêver à autre chose.
La faillite de l’Europe
Mais alors, quel modèle alternatif, me direz-vous ? Je n’en sais rien, vous répondrai-je.
D’abord, un citoyen lambda n’est pas forcément constitutionnaliste et ce n’est pas à lui qu’incombe la tâche de faire le droit.
Il lui revient par contre de pouvoir se déclarer insatisfait d’un modèle qu’on lui a abusivement servi comme le paradigme ultime, le cadre incontournable, et de rêver à autre chose.
Il lui revient aussi d’avoir l’intuition que cette autre chose est à creuser à l’échelle européenne, tout en se désolant de constater avec la question catalane que cette Europe aussi se révèle défaillante.
Défaillante d’abord car, alors même qu’elle était censée créer une maison commune favorisant la concorde entre peuples européens, elle s’est en réalité construite sur le fondement des États-nations plutôt qu’en remettant ces derniers en question.
Défaillante ensuite, quand la seule chose qu’elle trouve à répondre à la demande de médiation que lui lance un gouvernement régional autonome, dont on vient en outre d’incarcérer des élus, c’est un très ponce-pilatien blanc-seing offert au pouvoir central madrilène.
Défaillante enfin quand elle signifie à ce mêmes Catalans, qui pourtant affirment souhaiter rester dans la communauté européenne, qu’ils n’y seraient pas reconnus de toute manière, assurant d’emblée une exclusive légitimité à l’Espagne.
L’histoire de la République d’Irlande, dont la séparation de l’Angleterre n’est même pas centenaire et qui est pourtant membre de l’Europe, est-elle à ce point différente de la situation catalane pour qu’on jette ainsi d’emblée des anathèmes, de surcroît insultant potentiellement l’avenir ?
Désolant, je vous dis…
Iepa Peio,
Ouf ! Cela fait du bien de lire ce type d’analyse… pour tout dire, il en était temps ! De la nuance et (soyons flatteur) de l’intelligence dans un dilemme trop souvent caricaturé avec excès… de part et d’autre.