Catalogne, négociations, remous et premiers résultats

En signe de protestation, les députés de Vox quittent l’hémicycle avant le débat sur l’usage des langues co-officielles et déposent leurs oreillettes sur le pupitre du premier ministre.

Incertitudes, avancées, bras de fer et tensions agitent les partenaires politiques en cet entre-deux qui risque de durer encore deux mois.

Le « fuyard » qui tient désormais le futur gouvernement espagnol entre ses mains a fait son entrée en scène le 5 septembre par une déclaration solennelle à Bruxelles en faveur de l’amnistie et du droit à l’autodétermination. Il assortit sa demande de préalables méthodologiques à l’ouverture de toute négociation. Enbata.info en publiera l’essentiel. A ceux qui lui reprochent son intransigeance, il réplique : « Celui qui appelle à l’aide [le PSOE] n’a pas à imposer ses conditions ».

Le leader exilé a facilement obtenu un hors d’oeuvre : le 19 septembre pour la première fois, les députés ont pu s’exprimer dans l’hémicycle en catalan, galicien et euskara. Une simple modification du règlement a suffi. A l’initiative du PNV, il sera assorti d’une obligation : publier les lois en quatre langues, toutes les versions auront la même valeur juridique, le changement va bien au-delà du symbolique. L’interdiction, l’impossibilité absolue qui avaient suscité tant de conflits, de menaces et de sanctions – quatre présidents du parlement sont allés jusqu’à expulser des députés catalans désireux de s’exprimer dans leur langue –, tout s’est évaporé, avec les soubresauts d’usage. Les députés PP et Vox ont, en signe de protestation, refusé d’accrocher leurs oreillettes pour suivre les déclarations de leurs collègues et ils ont juré de ne s’exprimer qu’en espagnol. « Nous n’allons pas faire les corniauds », ont-ils déclaré pour se justifier.

Le coup du mépris, la droite nationaliste reste fidèle à elle-même. La surprise est venue du député PP de Gipuzkoa Borja Sémper. Il est intervenu en euskara à la tribune pour « tenter de montrer que les langues officielles sont le patrimoine de tous et non pas seulement des nationalistes ». Remous au sein du groupe des députés de droite. Quant aux 33 députés de Vox, pendant le débat, ils ont tous quitté l’hémicycle en déposant leurs oreillettes sur le pupitre du Premier ministre socialiste. Ils ne sont revenus que pour voter non à la réforme linguistique. On lira dans Enbata.info des extraits de l’intervention à l’assemblée du porte-parole dERC Gabriel Rufián. Morceaux de bravoure garantis.

Chantage de minorités en voie d’extinction

L’équivalent au Parlement européen, alors que Pedro Sanchez préside pour six mois les destinées de l’Union, est plus complexe. Des États craignent que plusieurs minorités linguistiques demandent la même reconnaissance officielle par l’Europe et appellent au report de la mesure. Pedro Sanchez annonce que l’Espagne est prête à prendre en charge le surcoût de l’usage de trois langues supplémentaires. Face aux résistances, il propose de ne reconnaître que l’officialité du catalan, car cela ouvrirait le chemin aux deux autres langues. Basques et Galiciens font grise mine. Les négociations concernant l’amnistie de tous les Catalans condamnés ou poursuivis semblent en bonne voie. La décision de principe est acquise, bien qu’aucun dirigeant socialiste ne prononce le mot d’amnistie. On en serait aujourd’hui aux discussions techniques. Le 26 septembre, le Centre de renseignement contre le terrorisme et le crime organisé, dépendant du ministère de l’Intérieur espagnol, demande officiellement à Europol de modifier le texte de son rapport annuel : les mouvements indépendantistes catalans et basques ne seront plus qualifiés « d’organisations terroristes ». Tout cela suscite des levées de boucliers à droite et des crises d’urticaire à de vieux caciques du PSOE, le biscayen Nicolas Redondo (1), l’ancien ministre Alfonso Guerra, et Felipe Gonzalez en personne. Evoquant Puigdemont sans le nommer, l’ancien chef du gouvernement espagnol déclare le 21 septembre : « Nous ne pouvons pas céder au chantage, encore moins de la part de minorités en voie d’extinction ». Depuis Bruxelles, Carles Puigdemont lui a adressé un tweet à l’allure de Scud : « Lorsque parlent certains hommes politiques, ils font monter le prix du pain. D’autres font monter le prix de la chaux vive ». Allusion à l’usage de la chaux vive par des policiers pour faire disparaître les corps de Lasa et Zabala, victimes du GAL en 1983, à l’époque où Felipe Gonzalez dirigeait le pays.

Le PNV rencontre Puigdemont

Yolanda Diaz, actuelle vice-présidente du gouvernement et leader de Sumar (issu de Podemos), a officiellement rencontré le 4 septembre Carles Puigdemont à Bruxelles pour « explorer toutes les solutions démocratiques et débloquer ainsi le conflit politique ». Gros émoi à Madrid.

Le député européen Carles Puigdemont reçoit à Bruxelles Yolanda Diaz, vice-présidente du gouvernement espagnol (Sumar).

Le droit à organiser un référendum d’autodétermination est l’objet de négociations exploratoires en coulisses, mais peu de choses filtrent et il est difficile dans ces situations de faire la part de l’info et de l’intox. Mais apparemment, ça coince. On entrera bientôt dans le dur, le moment de vérité. Pedro Sanchez se contente d’afficher une confiance absolue en l’avenir, la majorité progressiste est sur les rails. Le PNV avance ses pions. Il tente de se rabibocher avec Carles Puigdemont. Par le passé, le parti avait des liens privilégiés avec CiU, en particulier dans les instances européennes. Mais Convergencia i Unió a viré sa tendance autonomiste molle et s’est converti en Junts per Cat qui s’est radicalisé dans le sens de l’indépendantisme. Le patron du PNV Andoni Ortuzar a rencontré Carles Puigdemont le 15 septembre à Bruxelles. Son but : reconstruire une alliance PNV-Junts gelée depuis six ans et contrebalancer ainsi le tandem EH Bildu-ERC.

Le 31 août, le lehendakari Iñigo Urkullu fait une proposition à l’Espagne via une tribune parue  dans la grand quotidien El País. Il propose un nouveau pacte territorial en réinterprétant la Constitution de 1978. Sans changer la loi fondamentale, le président basque plaide en faveur d’une reconnaissance effective de la pluri-nationalité de l’État, de la bilatéralité des rapports et d’un large auto-gouvernement, avec une capacité de décider convenue entre les parties, assortie d’un système de garanties. Le tribunal constitutionnel dans son rôle d’arbitre n’est pas oublié : il demande que dans sa composition des magistrats soient désignés par les communautés autonomes et non plus seulement par l’État central. Les réactions sont très mitigées.

Le leader du PNV Andoni Ortuzar rencontre Carles Puigdemont à Bruxelles.

450 milliards d’euros réclamés à l’État

Le gouvernement catalan dirigé par Pere Aragonès (ERC) évalue le déficit fiscal au détriment de la Catalogne : en 2021, celle-ci devait bénéficier de 22 milliards d’euros supplémentaires, du fait que le modèle de financement de l’autonomie est organisé à son détriment par l’État central. La ministre catalane Natàlia Mas qualifie cela de « punition injuste et délibérée ». De son côté, Junts a présenté le 20 septembre au parlement catalan un rapport qui réclame les pleins pouvoirs fiscaux. Il y révèle le montant de la dette historique de l’État central à l’égard de la Catalogne : 450 milliards d’euros, soit l’équivalent du budget annuel 2022 de l’État.

La « justice » espagnole fait semblant d’ignorer la vie politique du pays. Le 14 septembre, elle condamne l’ex-ministre de l’Intérieur catalan Miquel Buch à quatre ans et demi de prison et 20 ans de privation de ses droits civiques. Son crime : il a chargé un Mosso d’Esquadra (policier catalan) d’être le garde du corps de Carles Puigdemont exilé à Bruxelles. Un aveuglement qui apporte de l’eau au moulin du leader indépendantiste. Faute de majorité suffisante au parlement, le 28 septembre a vu l’échec du candidat PP Alberto Nunez Feijóo qui n’a pu être élu premier ministre. Trois jours plus tôt, la droite et l’extrême droite rassemblent 40.000 personnes à Madrid pour rejeter le projet d’amnistie et réaffirmer l’intégrité du territoire royal. C’est la grand-messe de la droite, avec à la tribune deux ex-premiers ministres, Aznar et Rajoy, plus le prétendant actuel. Après le vote du 28, Pedro Sanchez disposera de deux mois pour présenter sa candidature. Sauf coup de théâtre, la négociation avec Puigdemont va durer. Ce n’est que mieux, tant le premier ministre a fort à faire pour convaincre son propre camp et l’Espagne profonde de la nécessité de tourner la page de la judiciarisation du conflit catalan et d’engager les réformes de fond. Le sondage mensuel du CIS (Centre de recherches sociologiques), paru fin septembre, donne Pedro Sanchez gagnant avec deux points de plus que son rival du PP. Beaucoup de choses se jouent en ces moments d’incertitude où le pouvoir central est fragilisé. Même si l’on sait que Madrid n’aura ensuite de cesse que de freiner des quatre fers ou de retirer de la main gauche ce qu’elle a promis de la main droite.

(1) L’ex-dirigeant Nicolas Redondo a finalement été expulsé du PSOE le 14 septembre en raison de ses déclarations récentes et de son soutien réitéré au PP.

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