Berrogoi ta hamar urthez Enbata etxean astero

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André Lévêque,  Docteur en géographie, Ancien enseignant à l’université du Hainaut-Cambrésis
Après quelques années de sasihizkuntzalaritza européenne, l’auteur, franco-belge de culture, a enseigné à l’Université du Hainaut-Cambrésis, qu’il a quittée pour créer son activité. Son intérêt se porte sur le lien entre langues, géographie et systèmes politiques. Il a une énorme dette vis-à-vis de nombreux basques entre Mendionde (les GOYENETCHE) et Usurbil (les REKONDO) que lui avait présenté Xavier DIHARCE et leur dit un mileskeŕ et eskeŕik asko ému.

Les lignes qui suivent sont dictées par l’affection que je porte à ce vieil hebdomadaire lu pas à pas depuis quarante-huit ans.

Pendant longtemps, j’ai pensé qu’Enbata constituait une bonne image de la question basque au nord. Mais revenant de nombreuses années plus tard, venant vous saluer, j’ai pu constater qu’il y avait une autre vie qu’Enbata. J’avoue en avoir ressenti un certain dépit. C’est que j’avais compris le sous-titre “Hebdomadaire politique basque” au sens de “toute la vie politique basque”.

Mais, la réalité basque du nord est traversée de multiples courants de pensée, de publications, et d’alliances, d’affinités qui n’ont jamais atteint les pages d’Enbata.

L’arrivée d’internet et la possibilité de consulter diverses sources ont confirmé ce point de vue.

• C’est, à mon sens, du jacobinisme, et je m’explique: dans les pays d’Europe du Nord où j’ai vécu, l’idée qu’un hebdomadaire politique de diffusion évite certains aspects de la vie politique, n’est pas concevable. Un modèle dans ce domaine est Der Spiegel. Son succès tient à un sens critique qui ne tait aucun aspect de la vie allemande et internationale.

Les Belges francophones, par contre, pâtissent de l’exemple français et passent sous silence de nombreux secteurs du monde politique (même si la Belgique est une démocratie, ce qui n’est pas le cas de la France)(1). Le résultat est, qu’un jour, cette même presse se réveille douloureusement pour ne pas avoir voulu voir les mouvements d’opinions en Flandre.

En France, chacun admet ne pas s’attendre à un article sérieux sur la question basque ou sur les opinions des ”régions” dans L’Express ou Le Nouvel Observateur. On est là en plein jacobinisme, dont l’une des caractéristiques est de taire ce qui met en cause la vulgate centraliste.

L’emprise du jacobinisme se fait sentir lorsqu’Enbata n’évoque que les domaines d’affinités. En voici quelques exemples parmi d’autres:

• Les idées et les faits du Front National ne sont pas analysés. Cela existe pourtant bien, il suffit de lire les résultats des élections du côté de chez vous Ce parti est fermé à la personnalité basque ? Motif de plus pour en parler et décortiquer.

• L’immigration interne est bien un sujet qui gêne. Pourtant, pour un Français de base, venir habiter “dans les Pyrénées-Atlantiques” est un acte banal, qui ne l’oblige nullement à se poser la question de la personnalité de la terre où il s’installe. Ah! Les images obligées, d’accord, le verdoyant, le bâti traditionnel. Mais la langue basque est comme “hors sujet” au point que cet immigré se demande sincèrement “c’est quoi cette revendication basque, qu’est-ce qu’ils veulent?”. Mais la question de l’immigration est un tabou du jacobinisme qui, là, où nous voyons un homme dans un tissu de relations sociales, géographiques et linguistiques, ne voit qu’un lego composant son jouet.

A ne pas écrire une ligne là-dessus, on est bien dans la pensée jacobine.

• La question de la langue basque : votre effort est patent mais maigre. Et vos analyses sont en décalage avec les problématiques similaires en Europe.Vous avez soutenu le batua et c’est une bonne chose par certains aspects. Mais, vu de loin, le batua n’est que l’autre nom de la domination guizpocoane. C’était le fond de la pensée de Txillardegi lorsqu’il prônait le dialecte le plus répandu. Que le verbe soit stabilisé autour d’un modèle moyen, c’est assurément le type d’option choisie par de nombreuses autres langues en phase d’institutionnalisation. Mais la méconnaissance des autres facettes de la langue basque est un appauvrissement pour l’enseignement et le développement futur (2). Si les formes de l’est et de l’ouest sont de plus en plus intégrées au batua, par contre, le choix de la prononciation guipuzcoane, à vrai dire lourdement hispanisée, est dommageable en ce sens qu’elle se traduit dans l’orthographe. En bonne gestion linguistique, la graphie reprenant la prononciation la plus ancienne encore en usage, donc celle du nord, aurait dû être reprise afin de pas appauvrir les nouvelles générations du nord qui ne sauront bientôt plus que ele se dit elhe (3). Mais Enbata a produit relativement peu d’articles à propos de la langue.

Je dis ici une opinion, l’important n’est pas de prendre position, mais d’alimenter un débat linguistique jamais clos, ce que justement les jacobins sont bien incapables de faire (sur ce plan, le contraste du français avec les langues officielles voisines est saisissant) (4)

• Le PNV est apparemment votre statue du commandeur. Il faut faire passer la police scientifique pour deviner que ce parti existe, du moins, selon ce qu’Enbata en laisse filtrer. De facto, ne pas en parler, je veux dire, en débattre, en informer, c’est substituer à l’information, du silence bavard puisqu’il laisse supposer d’obscurs ressentiments. Il est pour tant question d’Euskadi, sar balakio !

• Ce qui me gêne dans cette histoire droite / gauche, c’est qu’on importe du prêt-à-penser jacobin.

Vous pensez peut-être qu’en Europe, il en est partout de même. Mais non. En France, ces mots gauche / droite sont magiques puisqu’ils sont invoqués. Mais ils ne sont pas définitoires de programmes et constituent un véritable piège au service du maintien de l’oligarchie centraliste.

• Il en est de même pour le fameux “ la République” sans cesse brandi comme une croix d’ails tressés. Outre que ce mot ne définit aucun système précis, il fait franchement sourire les Picards de mon coin, qui peuvent constater que la “royauté” belge n’est pas appelée à la rescousse à tout bout de champ, chacun sachant qu’elle est seulement comme de la république … mais démocratique cette fois, et sans les invectives électorales. Il y a de belles logomachies à démonter.

• Le fédéralisme, auquel à juste raison, vous vous référez, ce n’est pas seulement rechercher une autonomie, mais bien remettre en cause les systèmes de gestion publique existants. Les Basques seraient indépendants mais sans mettre en application les préceptes du fédéralisme, qu’il y aurait encore du Grenet partout, mais en basque. Bai zera!

Il est donc essentiel de débattre et d’analyser les choix financiers, les provenances financières des communes et des regroupements de communes : c’est la critique financière qui est la base de la démocratie. Les choix financiers ouvrent les journaux télévisés des pays démocratiques. En France, cela reste dans le vague sauf scandale innoccultable. Chaque décision budgétaire en Belgique est débattue dans les médias. De même dans la confédération suisse, trois ans qu’on discute en famille du prix du chasseur Gripen et s’il faut l’acheter. Mais c’est en Suisse ! (5)

Je m’arrête. Mais vous savez que, qui aime bien, châtie bien (châtier signifiant enseigner dans la langue ancienne).

J’entends vos objections : mes critiques ne s’appliquent pas seulement à Enbata, et nous manquons de financement pour entretenir une équipe de presse digne de ce nom (6). Mes arguments vont trop loin ou pas assez. Tout à fait vrai.

C’est que je crois qu’il y a un but plus haut pour Enbata. C’est d’être un réel organe d’information, c’est-à-dire un organe d’information du réel.

Ça peut se faire en orientant les choix rédactionnels. Charge à quelques rédacteurs de s’accrocher au réel, de délaisser l’analyse théorique, mais d’analyser les finances, les choix, de la commune x, des systèmes d’enseignement y ou z, etc. C’est-à-dire aussi en les comparant avec l’environnement européen. La prise en compte des schémas d’aménagement, que vous analysez, est de bon augure.

• Je note d’ailleurs que, dans Enbata, la revendication linguistique est faible, peu structurée et je crains que l’on glisse vers une acceptation non dite du recul du basque, faute de revendications carrées. Pour tout dire, je ne crois nullement à une avancée sans intervention physique pour faire respecter le droit européen. Trop de commissions, de tables rondes m’ont au moins enseigné cela (pourquoi ne pas organiser par exemple, de manifestations régulières communes avec les autres langues européennes interdites à Strassburg ?). La condition d’efficacité me paraissant être de se limiter aux droits linguistiques. Roparz HÉMON disait en substance qu’avec la langue, tout viendra. Message parfaitement assimilé qui explique le blocus des Jacobins dans l’introduction sociale du basque et autres langues. (6)

Les Allemands de la fédération disaient à propos des Allemands de la Volga qui voulaient “revenir”, quoique très russifiés : Was ist das für ein Deutscher, der Deutsch nicht spricht ? Qu’est-ce que peut être un Allemand qui ne parle pas allemand ? C’est à méditer.

• Pour bien conclure, le choix d’un mensuel attelé à un journal en ligne est un excellent choix qui allie l’information à picorer et les pages pour réfléchir (7). Enbata avait, voici longtemps, adopté une présentation audacieuse qui est sa marque de fabrique. Le r.p. Jakes Abeberry y est sûrement pour quelque chose ! Et il faut le féliciter car il est très rare qu’un hebdomadaire militant atteigne ce type d’efficacité et de classicisme.

Il faut juste se méfier des articles épais et ne pas hésiter à recourir aux infographies (une invention allemande des années cinquante) car la capacité de lecture des nouvelles générations est en nette régression. Le défi était hier de faire parvenir un message. Aujourd’hui, le défi est de …communiquer. Communiquer dans le fouillis mondialisé d’approximations et de manipulations. Ce fouillis croît dans les rares espaces laissés libres par l’industrie du spectacle (qui comprend aussi le spectacle politique, voir Guy DEBORD), c’est la cohue pour se faire comprendre. Il faut donc réfléchir à chaque instant sur la réception par le lecteur. N’oublions pas : Enbata conduit une lutte à mort contre un ethnocide.

A la mémoire du regretté Mixel Burukoa.

Michel Burucoa
Mixel Burukoa

(1) “La France est tout ce qu’on veut, sauf une démocratie” (Pr Michel MAFFESOLI)

(2) La Finlande, par exemple, a opté pour le dialecte du sud-ouest. Un des contrecoups de ce choix est le désintérêt envers le finnois parlé en Carélie russe. On lui donne maintenant, dans les textes officiels, la dénomination de carélien alors même qu’il ne s’agit que du finnois de l’est lequel commence au centre de la Finlande.

(3) J’ai bien assimilé les leçons du père LHANDE-BASAGAITZ -consulté sans cesse, d’où mon clin d’oeil avec ipaŕalde – et de F. KRUTWIG dont je n’ai su que bien plus tard que nous avions une position semblable sur le navarro-labourdin. Dans les langues minorisées, le dialecte central le plus répandu est aussi le plus dégradé. J’ai adopté la position krutwiguienne pour le dictionnaire normatif du picard sur lequel je travaille. Me sont connus au moins cinq des participants d’Arantzazu, où, plus tard le père VILLASANTE m’avait accueilli dans la bonne humeur (“l’ordre de Saint-François est le plus grand des ordres” était sa plaisanterie favorite).

(4) L’allemand vient de faire une réforme orthographique à foudroyer sur place les académiciens français, qui sont d’une inculture massive sur ce plan. Normal: le jacobinisme fétichise sa langue, la voit comme un objet, tout comme il voit le citoyen.

(5) Toujours relire et commenter les penseurs fédéralistes soigneusement occultés en France, tel Alexandre MARC, si pas victime d’a priori ironiques comme PROUDHON, ou Guy HÉRAUD , juriste tenace dans la défense des peuples, avec qui j’ai suivi le parcours politique au sein du P.F.E.

(6) La Finlande finance écoles, presse, radio et journal télévisé pour les 20000 Samiens. La Norvège laisse pour l’instant mourir. Voilà un exemple à analyser.

(7) Le journal en ligne doit toutefois être diffusé sous forme feuilletable (type Issuu® ou Calaméo®). Le mode de consultation en escalier actuel est déjà dépassé et exige trop de temps. Et ceci : aucune confiance à avoir envers les serveurs en communauté européenne. pqr.se en Suède, par exemple, ne plie devant aucune injonction (mais c’est en Suède!). Et toujours disposer d’un serveur-miroir dans un autre pays, vers qui basculer en cas de besoin (je suggère la Russie).

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