La procédure de ratification de la Charte des langues régionales par la France semble enfin enclenchée. Jakes Bortayrou pointe les dispositions renforçant les prérogatives du Français dans le projet de loi. Et les met en parallèle avec la nouvelle croisade anti-basque menée par le pouvoir socialiste.
L’affaire de l’ikastola d’Hendaye (invalidation d’une délibération municipale au nom de la loi Falloux) avait pu paraître au début comme un accroc ponctuel au statu quo installé depuis deux décennies.
Force est de constater aujourd’hui que l’affaire est beaucoup plus sérieuse. Les déclarations du préfet avaient donné le ton : l’offre d’enseignement du basque étant aujourd’hui assurée par l’école publique, il n’est plus légitime d’aider des écoles privées comme par le passé.
Dans une interview à l’Express du 28 janvier, à la question : “Allez-vous faciliter le financement des écoles ‘en immersion’ par les collectivités locales?”, la ministre de la Culture Aurélie Filippetti répond : “Non. (…) Nous préférons renforcer l’enseignement des langues régionales dans l’enseignement public.”
Bonne vieille guerre
Les socialistes au pouvoir ont besoin de marqueurs, à défaut de projets. Quoi de mieux que la bonne vieille guerre école laïque/école privée. Voici donc la France lancée dans une nouvelle croisade au Pays Basque, comme celle menée il y a peu contre EHLG : couper toute aide publique aux ikastola.
Lamentables le soutien et la caution apportés à cette opération par Ikas Bi dont le président Thierry Delobel lors d’une rencontre de la FLAREP au ministère de l’éducation nationale le 12 février (*) : “met en avant le risque d’une politique trop régionaliste à travers l’exemple de l’OPLB, où l’on voit qu’un outil de la politique publique est détourné de ses objectifs et devient un outil de politique locale qui favorise clairement les écoles privées associatives mais dont les résultats en termes d’ouverture de cursus et de progression des effectifs ne sont pas à la hauteur des attentes.”
Désolantes les positions des partis “à gauche de la gauche” préférant leurs présupposés idéologiques à “l’analyse concrète d’une situation concrète”. Car tout le monde sait bien que ce clivage, dans le cas présent, est un faux débat (les ikastola sont des écoles laïques) qui ne fait qu’escamoter le vrai débat : quel est le système éducatif le plus à même de créer des locuteurs complets afin d’amorcer réellement la réappropriation linguistique ?Dans la situation actuelle de diglossie très défavorable à la langue basque, seul le système immersif pratiqué de la maternelle au lycée par les ikastola le permet.Tant que les écoles publiques ne feront pas de même, le débat ci-dessus est une supercherie.
Voici donc la France lancée
dans une nouvelle croisade au Pays Basque,
comme celle menée il y a peu contre EHLG :
couper toute aide publique aux ikastola.
Inconscient colonial
La Charte a par ailleurs fait la une en ce début d’année. Promesse de François Hollande quasiment abandonnée en juin, elle resurgit après l’épisode “Bonnets rouges” par une proposition de loi constitutionnelle votée à l’Assemblée le 28 janvier. Et depuis, à en croire une certaine députée du Pays Basque, la ratification c’est fait ! En réalité le vote au Sénat n’est pas encore programmé et la procédure n’ira pas plus loin car elle impliquerait un référendum. Le gouvernement devra tout reprendre avec un projet de loi, un vote de chaque assemblée et un vote du Congrès, seul à même de changer la Constitution. Alors seulement la Charte pourra être ratifiée.
Dans quelles conditions ? Après tant d’années de luttes, l’affaire tourne au tragique car il est prévu d’insérer dans la Constitution : “…l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public, ainsi qu’aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics.” Ratifier la Charte avec de telles restrictions revient à la vider de toute potentialité pratique, à en faire un objet décoratif. Le pire n’est jamais sûr nous dira-t-on mais l’utilisation de l’article 2 contre nos langues ayant été systématique, on imagine aisément les conséquences pratiques de la chose.
Impossible par exemple d’écrire une adresse en basque sur un courrier postal. Les déclarations faites par la ministre (interview citée) n’invitent pas non plus à l’optimisme. “En Bretagne, le recteur s’oppose à la traduction de la devise républicaine en breton sur le fronton des lycées. Cela va-t-il changer ?“. “Non. La devise restera intouchable. C’est une question de solennité républicaine.” “Sera-t-il possible de demander l’obtention d’un livret de famille bilingue français-basque ?” “Non. Il devra être rédigé exclusivement en français, car il fait foi. En revanche, rien n’empêchera un citoyen d’en demander un second, en alsacien ou en corse, mais il devra alors le faire à ses frais.” Belle conception de l’égalité républicaine liée au portefeuille !
Recul par rapport à la circulaire préfectorale de 2008 en vigueur au Pays Basque. Désormais la présence du basque “entacherait” la valeur juridique d’un document. Le pompon enfin : les valeurs universelles de liberté, égalité et fraternité ne peuvent être énoncées qu’en français !
L’inconscient colonial n’est pas loin. Tout ça dans la bouche d’une jeune ministre “sympathique et progressiste”. Vous imaginez la chose avec un retour au pouvoir de la bande à Guaino et Hortefeux ?
La riposte doit être forcément multiforme et de longue haleine : dans l’explication pédagogique des enjeux, par des mobilisations, dans les urnes aussi, autant que dans des objectifs linguistiques audacieux pour le prochain contrat territorial.
(*) CR de la réunion sur www.felco-creo.org/mdoc/detail_fr.php?categ=ministre&id=1498