Qui croît encore à la réalité des accords d’Oslo de 1993 scellant la reconnaissance de l’existence de l’Etat d’Israël de la part des Palestiniens et, en contrepartie, l’auto-gouvernement des deux régions de la bande de Gaza et de la Cisjordanie par ces derniers? Plus grand monde en vérité. Surtout pas Donald Trump qui reconnaît Jérusalem comme capitale de l’Etat juif. Voici une analyse de cette préoccupante situation.
En reconnaissant “officiellement Jérusalem comme capitale d’Israël”, le 6 décembre dernier, Donald Trump a provoqué de nombreuses réactions scandalisées. Il avait pourtant déjà donné le ton à plusieurs reprises en choisissant par exemple son gendre Jared Kushner, très pro-israélien, comme conseiller spécial sur le conflit israélo-palestinien, ou en nommant David Friedman, fervent défenseur des colonies, au poste d’ambassadeur en Israël. Ce dernier avait déjà déclaré en septembre que “les colonies font partie d’Israël”.
Aux Nations-Unies, le Conseil de Sécurité (à l’exception bien sûr des Etats-Unis) et l’Assemblée Générale ont condamné la décision américaine malgré de très fortes pressions de Washington. “C’est une insulte et un camouflet que nous n’oublierons pas” s’est indignée Nikki Haley, l’ambassadrice américaine à l’ONU. Le lendemain, Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité Palestinienne déclarait: “les Etats-Unis ont montré qu’ils n’étaient pas un honnête médiateur, et nous n’accepterons plus aucun plan de leur part”.
Sidérant retournement
Opérant un sidérant retournement de perspective, Trump a perçu ces protestations comme une agression à son encontre qui méritait des mesures de rétorsion. Washington donne aux Palestiniens, s’est-il indigné dans un tweet, “des centaines de millions de dollars par an et n’en retire aucune gratitude ou respect. Ils ne veulent même pas négocier un traité de paix […], pourquoi continuerions-nous ces paiements massifs ?”. Concrètement, Trump menace de couper les fonds à l’Autorité Palestinienne et à l’agence de l’ONU pour l’aide aux réfugiés palestiniens (UNRWA). Une menace déjà partiellement mise à exécution puisque les USA viennent d’amputer leur soutien à l’UNRWA de 65 millions de dollars. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s’est réjoui de cette mesure (“l’UNRWA doit devenir une chose du passé”), mais à part la droite israélienne, tout le monde se montre très inquiet. L’UNRWA est en effet un facteur de stabilité important dans la région puisqu’elle s’occupe de 5 millions de réfugiés palestiniens, fournit 9 millions de consultations médicales par an, scolarise 500.000 enfants, etc. Certains pays, comme la Jordanie qui accueille 2 millions de réfugiés, seraient complètement déstabilisés par sa disparition.
Face à cette offensive, les formations palestiniennes sont encore trop désunies pour apporter une réponse commune. En vertu de l’accord de réconciliation signé en octobre sous l’égide de l’Egypte, le Hamas a bien cédé le contrôle administratif de Gaza à l’Autorité Palestinienne, dominée par le Fatah, mais les tensions entre les deux formations sont encore très fortes. C’est donc sans le Hamas (ni non plus le Djihad Islamique) que le conseil central de l’OLP s’est réuni le 15 janvier pour évaluer la situation.
Open bar
En apparence, la position adoptée est assez radicale: suspension des accords d’Oslo, révocation de la reconnaissance d’Israël tant que cette dernière ne reconnaîtra pas la Palestine dans ses frontières de 1967, fin de la coopération sécuritaire avec l’Etat hébreu, etc. En pratique, on peut se montrer sceptique: de telles résolutions avaient déjà été prises en 2015 et sont restées lettre morte… La dernière suspension effective de la coopération sécuritaire remonte en fait à la deuxième intifada (2000-2005) et s’était terminée avec la mort d’Arafat. Visiblement, Abbas — qui n’avait pas soutenu la deuxième intifada— ne souhaite pas suivre les pas de son prédécesseur et s’il s’est permis de qualifier l’offre de paix de Trump de “claque du siècle”, il privilégie la voie diplomatique: obtenir le statut d’Etat de plein droit pour la Palestine, dénoncer des crimes de guerre israéliens à la CPI, mobiliser les pays arabes… Sur ce dernier point en particulier, ce n’est pas gagné.
Obsédées par leur haine de l’Iran, les monarchies du Golfe se sont en effet considérablement rapprochées d’Israël. L’Arabie Saoudite s’est même associée à Trump pour tâcher de convaincre les Palestiniens de ne plus projeter leur future capitale à Jérusalem Est mais à… Abu Dis, un village de 10.000 habitants dans la banlieue de Jérusalem!
De son côté, le gouvernement israélien jubile. Depuis l’arrivée de Trump, c’est open bar! Deux jours à peine après l’annonce de Trump sur Jérusalem, il annonçait la création de 14.000 nouveaux logements dans les colonies puis faisait passer un amendement rendant quasi impossible toute modification de la territorialité de Jérusalem.
Le gouvernement israélien jubile.
Depuis l’arrivée de Trump, c’est open bar!
Deux jours à peine
après l’annonce de Trump sur Jérusalem,
il annonçait la création
de 14.000 nouveaux logements dans les colonies
Et au Likoud, le parti du Premier ministre, on se montre encore plus inventif! Une résolution prônant l’annexion des colonies a été approuvée à l’unanimité. Applaudi par les mille délégués du parti, Gilad Erdan, ministre de la sécurité publique, s’est enflammé: “l’heure est venue d’exprimer notre droit biblique au territoire”. Si ces mesures passaient, il serait difficile de nier qu’Israël est un régime d’apartheid. De nombreuses organisations juives progressistes s’en inquiètent ouvertement. Americans for Peace Now estime ainsi que ces mesures font tomber une façade sans laquelle “les Juifs Américains auront très peu d’arguments pour défendre Israël contre les accusations d’apartheid”. Le journaliste israélien Gershom Gorenberg résume bien la situation: le Likoud veut “transformer une occupation de facto en un apartheid de jure”. Les campagnes de boycott rendent déjà Israël fébrile, comme en témoigne la publication récente d’une “liste noire” d’organisations soutenant le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions). Finalement, les excès actuels de la droite israélienne sont peut-être la meilleure arme dont disposent les Palestiniens…