Le Congrès des élus a finalisé son projet d’autonomie en votant un pouvoir décisionnel pour la future Assemblée des peuples amérindiens. Le quotidien Le Monde du 16 avril sous la plume de Laurent Marot présente la revendication guyanaise et son contexte. A n’en pas douter, tout cela fera écho aux lecteurs d’Iparralde où se posent les questions de notre évolution institutionnelle.
Ils sont arrivés à la collectivité territoriale de Guyane (CTG), à Cayenne, vêtus des costumes traditionnels des peuples autochtones de Guyane, au son du tambour, et sont repartis avec des cris de victoire cinq heures plus tard : samedi, les chefs coutumiers des six « nations » amérindiennes du territoires ont célébré l’adoption par le Congrès des élus d’une résolution qui marque une avancée dans la reconnaissance des droits de leurs communautés, victimes de l’histoire coloniale. Il s’agit des « Teko, Wayana, Wayapi, Paykweneh, Arawak Lokono et Kali’na », soient 15000 Amérindiens, sur 300000 habitants en Guyane.
« La portée de cette résolution, ce sont cinq cent trente-deux ans de résistance à la colonisation », explique en début de congrès, devant les élus, Christophe Yanuwana Pierre, porte-parole des chefs coutumiers « des six peuples autochtones survivants de Guyane », précise-t-il. Le bas du visage noirci par une teinture naturelle utilisée lors de cérémonies, il évoque notamment le « génocide », le « choc bactérien » à l’arrivée des colons européens, ou encore les « homes indiens », des pensionnats religieux où les enfants amérindiens ont été acculturés de force de 1935 à 2023. « Ce besoin de reconnaissance est une étape supplémentaire vers une offre de réparation liée aux violences historiques qui ont marqué à jamais le territoire que nous partageons aujourd’hui », ajoute le porte-parole des autorités coutumières.
La résolution votée samedi résulte d’une proposition des représentants amérindiens négociée avec des élus mandatés par la CTG. Dans ce document, les Amérindiens de Guyane demandent la « reconnaissance de la notion de peuple autochtone », définie notamment par l’Organisation des Nations unies, qui protège les droits et les identités spécifiques de ces peuples, mais n’a toujours pas été intégrée au droit français. Malgré tout, les communautés amérindiennes de Guyane bénéficient de 757000 hectares de zones de droits d’usage collectifs, qui protègent les droits de chasse, de pêche, de cueillette et d’activités traditionnelles, et de 5000 hectares de concessions, pour l’habitat et l’agriculture.
Des élus divisés
Conformément au droit international, les peuples autochtones veulent aller plus loin : dans la résolution, « les terres autochtones », gérées « exclusivement » par les peuples autochtones, « sont déclarées inaliénables, insaisissables, incommutables et incessibles » et ne peuvent « être vendues, ni démembrées, ni hypothéquées ». La résolution acte la création d’une « Assemblée des hautes autorités autochtones », une « autorité publique indépendante », chargée notamment « de l’exécution des politiques publiques autochtones ».
Cette instance « dispose d’une capacité de saisine et d’autosaisine » pour se prononcer sur des projets « quand ils touchent aux intérêts » de ces peuples, et « d’une capacité de proposition de loi peyi [« pays »] », déjà prévues pour la future collectivité autonome. Enfin, les « avis » de cette Assemblée « sont conformes », ils iraient donc au-delà des avis consultatifs, les collectivités devant s’y conformer.
Cette résolution a divisé le Congrès (élus de la CTG, maires et parlementaires) : trente voix pour, vingt-sept contre et cinq abstentions. Les élus d’opposition à la CTG et la plupart des maires ont voté contre, notamment face au refus des Amérindiens de voir leur document amendé, après une année de travail et des concessions. « Je ne vois pas se profiler, avec cette résolution, une communauté de destin », commente Georges Elfort, maire de Saint-Georges. « Nous sommes en train de nous diviser… La communauté créole a sa culture aussi, donc il faut la protéger » lance-t-il.
D’autres maires et élus de la CTG s’inquiètent de voir des projets de développement potentiellement bloqués par les « avis conformes » de la future Assemblées des peuples autochtones. Ils s’interrogent aussi sur la légalité de cette disposition. L’adoption de cette résolution finalise le document d’orientation du projet guyanais : une demande d’autonomie dans le cadre de la République, avec un statut sui generis, propre à la Guyane, faisant l’objet d’un titre inscrit dans la Constitution.
Le 26 mars, en visite sur le territoire, le président de la République, Emmanuel Macron, a proposé un calendrier : d’abord deux mois pour voir « ce qu’on peut adapter – au niveau normatif – dans le cadre de l’article 73 [de la Constitution] », qui régit déjà la Guyane, puis, si les règles déjà existantes dans la Constitution ne permettent pas de répondre aux attentes des élus, deux mois de plus pour travailler sur le projet guyanais.
« La proposition des lois d’habilitation est totalement inopérante », a fustigé Gabriel Serville, le président de la CTG, samedi, devant le Congrès. Il évoque « la lourdeur d’une procédure très encadrée, avec une durée contrainte, avec des pouvoirs délégués, mais pas transférés ». « Nous sommes dans une guerre de tranchées, à chaque fois qu’on fera un pas en avant, le gouvernement viendra nous mettre des bâtons dans les roues… Notre seule référence, c’est le document d’orientation voté en congrès », ajoute l’exécutif de la CTG.
« Lors de la visite du président Macron en 2017 en Guyane, il y avait eu des échauffourées dans les rues de Cayenne », se souvient le député (Nupes) Davy Rimane.
« J’avais alors dit : ce monsieur-là, en tant que président, il ne rassemble pas la population, il la divise, il la fracture. C’est son modus depuis qu’il est président », poursuit le député, qui exhorte ses collègues élus à « ne pas tergiverser » .