L’ex-président de la Communauté autonome catalane et deux de ses ministres ont été condamnés par le tribunal supérieur de justice pour avoir organisé sans l’accord de l’Espagne un référendum sur l’indépendance. Le débat rebondit avec la demande de nouveau référendum en Ecosse et le statut de Gibraltar qui quittera l’Europe.
La justice espagnole a condamné le 13 mars Artur Mas à deux ans d’interdiction d’exercer toute fonction publique élective et à une amende de 36.500 euros pour avoir organisé le 9 novembre 2014 une “consultation populaire” sur l’indépendance de la Catalogne, malgré l’interdiction prononcée cinq jours auparavant par le tribunal constitutionnel.
L’ancienne vice-présidente du gouvernement catalan, Joana Ortega, et l’ex-ministre régionale de l’éducation, Irene Rigau, ont été condamnées à des peines légèrement inférieures: un an et neuf mois plus 30.000 euros pour la première, un an et demi plus 24.000 euros pour la seconde.
Tous trois ont annoncé qu’ils font appel auprès du tribunal suprême, puis devant la justice européenne.
Carme Forcadell, présidente du parlement catalan, est sous le coup d’une procédure pénale de la part du tribunal constitutionnel qui a annulé les délibérations du même parlement organisant le processus constituant du pays et le référendum de septembre 2017.
Le député Francesc Homs, ancien porteparole du gouvernement catalan, s’attend à être condamné par le tribunal suprême, sur la base des mêmes faits reprochés à ses trois compatriotes. Ces procédures et ces condamnations purement politiques ne font que renforcer la détermination des partis indépendantistes.
Mais les espagnolistes ne restent pas inactifs dans la rue. Le 19 mars, ils étaient plusieurs milliers à défiler dans les rues de Barcelone autour du thème: “Pour la liberté, la démocratie et la cohabitation”. La fameuse “convivencia”(1) dont on nous rebat les oreilles, y compris en Pays Basque.
Les perspectives de cohabitation apaisée ou d’un vivre ensemble s’amenuisent. Carles Puigdemont et Oriol Junqueras, président et vice-président de la Generalitat en appellent à la raison le 19 mars dans une tribune intitulée: “Que gagne l’esprit du dialogue et que les urnes décident. (…) Convenir la façon de résoudre les divergences politiques permet toujours l’union. Les divergences ne séparent que si on refuse de se mettre d’accord pour les résoudre; les divergences sont consubstantielles d’une société démocratique, elles ne sont pas négatives; il convient de les prendre en compte avec doigté, si elles sont ardemment défendues. C’est là que se renforce et se consolide la démocratie face aux pulsions naïves et populistes qui consistent à résoudre les divergences par les interdictions, les murs, la discrimination. Présenter les divergences comme une menace, un facteur de division dans une société qui vit tranquillement à l’abri de ses certitudes inébranlables et sacralisées, est, non seulement terriblement injuste, mais aussi un obstacle majeur pour rechercher des solutions”.
Les Ecossais remettent le couvert
Le jour où les tribunaux espagnols condamnaient les leaders catalans, la première ministre d’Ecosse Nicola Sturgeon annonçait qu’elle sollicitait un vote du parlement d’Edimbourg en vue d’organiser un nouveau référendum sur l’indépendance.
Un droit déjà accordé une première fois par Londres en septembre 2014. Elle répondait ainsi au refus anglais de négocier un statut spécial pour l’Ecosse désireuse de rester liée à l’Union européenne.
La rupture nationaliste du Brexit réveille le souverainisme des nations périphériques du royaume —en Irlande du Nord comme en Ecosse— et précipite sa désunion.
Le Brexit a une conséquence pour la péninsule ibérique: la frontière terrestre entre Gibraltar et l’Espagne devient une frontière extérieure de l’Europe. Cette frontière fut bloquée par Franco de 1967 à 1985 parce que Gibraltar avait organisé un référendum qui décida du maintien de la souveraineté britannique. Demain, les nombreux conflits Espagne- Gibraltar deviendront bilatéraux et ne bénéficieront plus de la neutralité et de la bienveillance de Bruxelles.
Les disputes sur les limites maritimes, l’existence d’un péage à la frontière ou le contrôle des stupéfiants seront discutés entre Londres et Madrid. D’autant que beaucoup d’habitants de Gibraltar possèdent une résidence côté espagnol et 9.000 Espagnols travaillent dans la colonie britannique. Madrid ne peut pas faire condamner par ses tribunaux les leaders politiques de Gibraltar comme en Catalogne. Le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Garcia-Margallo, choisit donc la négociation. Il propose “une co-souveraineté britannico-espagnole pendant une période limitée”, permettant à Gibraltar d’avoir accès au marché intérieur de l’Union européenne. Selon lui, cette co-souveraineté débouchera un jour sur la restitution de Gibraltar à l’Espagne.
“Pendant cette période transitoire les habitants de Gibraltar pourront conserver la nationalité britannique s’ils le souhaitent et un régime fiscal particulier”, a précisé le ministre. Comme quoi, la crise européenne apporte de l’eau au moulin de ceux qui souhaitent modifier la carte du territoire, les statuts des habitants, leurs droits et leurs relations. Dans le grand chambardement qui s’annonce, une seule chose est vraiment sûre, les premiers habitants du Peñon, les macaques berbères —seule race de singes vivant librement en Europe— ne seront pas consultés sur ces questions !
Quand la souplesse vient d’Allemagne
Le refus de Madrid de négocier quoi que ce soit sur l’autodétermination catalane n’apparaît que plus criant. La judiciarisation du débat, l’humiliation infligée aux leaders catalans, révèlent l’échec patent, l’incapacité de l’Etat central à régler une question politique.
Retranché derrière sa légalité, il fait preuve de la même rigidité, il met en oeuvre les mêmes humiliations, lorsqu’il refuse de contribuer à régler la question du désarmement d’ETA.
La judiciarisation du débat,
l’humiliation infligée
aux leaders catalans,
révèlent l’échec patent,
l’incapacité de l’Etat central
à régler une question politique.
Dans les deux dossiers, le fait de poser publiquement des questions aussi fondamentales que la souveraineté ou le monopole de la violence légitime, suscitent pour le moment un niet massif.
Mais ces revendications ont pris corps et se sont structurées, elles sont relayées par des institutions, elles sont entérinées par l’opinion publique. Elles viennent au centre du débat politique, le polarisent en grande partie. Le pouvoir d’Etat est incapable de s’adapter et de négocier. En somme, il avoue sa faiblesse. Sa position est de moins en moins tenable. Le roi est nu.
La fondation allemande Konrad Adenauer, liée à la CDU, vient d’adresser à l’Espagne un rapport qui va dans ce sens: la réponse judiciaire et policière est insuffisante, les différents modèles d’Etats fédéraux qui existent de par le monde ont prouvé leur efficacité, affirme Wilheim Hofmeister, directeur de cette fondation à Madrid. Les ressortissants de la République fédérale d’Allemagne savent de quoi ils parlent.
(1) Nos adversaires s’avancent masqués. Comme les mots “citoyen” ou “républicain”, la “convivencia” masque dans la bouche des dominants leur souci de maintenir l’hégémonie du peuple vainqueur et le nationalisme qui l’anime.