Junts définit le contenu précis de l’amnistie générale qu’il exige pour tourner la page de la judiciarisation des relations avec l’Espagne.
Junts met en avant une exigence, l’adoption d’une loi qui permette une rapide amnistie générale de tous les Catalans ayant un dossier judiciaire sur le dos, depuis l’organisation du référendum de 2017. Les trois partis souverainistes, Junts, ERC et CUP avaient proposé en 2021 une loi d’amnistie, elle fut bloquée avant même d’être examinée au bureau du parlement par le PSOE, le PP et Vox. Seul, Podemos la soutint.
Aujourd’hui, la demande de Junts déclenche l’inévitable querelle d’experts qui s’en donnent à coeur joie et un débat classique entre obstacles juridiques et solutions juridiques. On s’en doute, la solution est celle d’une volonté politique forte qui écarte les faux semblants et les frilosités. Sumar (ex-Podemos) a pris les devants. Il monte un solide dossier juridique où la loi d’amnistie sera compatible avec la Constitution et qui poussera Pedro Sanchez à prendre la bonne décision. Le 29 août, la ministre de la défense Margarita Robles déclare qu’une loi d’amnistie est compatible avec la loi fondamentale. Heureux augure.
L’accord signé entre PSOE et ERC peu avant l’élection de la présidente du parlement le 17 août, évoque « la fin de la répression » par « les voies légales nécessaires ». Junts préfère davantage de clarté. Une simple mesure de grâce individuelle accordée par le gouvernement en faveur des personnes condamnées est bien différente d’une amnistie qui a un caractère général et suppose de tirer un trait sur le traitement judiciaire d’un grave problème politique. Il a été mis en oeuvre par Mariano Rajoy, premier ministre PP, puis globalement poursuivi par les socialistes qui se sont contentés de libérer au compte goutte les leaders catalans incarcérés. Ils sont restés quatre ans derrière les barreaux. Leurs collègues patientent toujours à l’étranger.
Qui sera concerné par l’amnistie ? Òmnium Cultural a élaboré un rapport détaillé là-dessus. Depuis 2017, 1432 dossiers judiciaires sont ouverts. 1689 personnes ont été victimes de violences policières et 1200 Catalans ont subi un « étouffement économique » par la Cour des comptes ou ont été destitués de leurs fonctions, en application de l’article 155 de la Constitution qui suspendit le statut d’autonomie. Les leaders catalans incarcérés ayant bénéficié hier d’une mesure de grâce partielle, demeurent privés de leurs droits civils et politiques jusqu’en 2030. Leur action est donc fortement bridée. La plupart se sont retirés de la vie politique, hémorragie gravissime pour un petit peuple. Selon Òmnium Cultural, sur les 1432 dossiers ouverts au pénal, environ 600 ont été archivés faute de preuves suffisantes, mais les dossiers demeurent. 200 personnes ont été jugées, condamnées ou absoutes à parts égales. Il reste 600 dossiers en attente de jugement. Les autorités espagnoles ne sont pas pressées. La course de lenteur judiciaire permet de « tenir » ou de calmer grâce à une épée de Damoclès nombre de militants souverainistes. A titre d’exemple, citons les cas de Josep Maria Jové, président du groupe ERC au parlement catalan et de Lluís Salvadó, président du port de Barcelone, tous deux hommes de confiance d’Oriol Junqueras. Le ministère public réclame contre eux entre six et sept ans de prison.
Tourner la page de la judiciarisation d’un problème politique
On sait que Pedro Sanchez a peu de prise sur une partie du pouvoir judiciaire et cela annule toute velléité éventuelle de justice transitionnelle. Pire, le Tribunal constitutionnel profite de la période estivale pour se réunir a minima et avec une majorité de juges de droite : le 9 août, il rejette un recours des deux exilés, Carles Puigdemont et Toni Comín qui demandaient le retrait des ordres d’arrestation pesant sur eux. Au même moment, les deux hommes négocient au sommet avec le PSOE sur l’avenir très incertain du gouvernement espagnol. La réforme du code pénal obtenue par ERC lors de la législature précédente a permis de supprimer pour les leaders catalans le délit de sédition, mais le juge Pablo Llarena maintient le délit de malversation aggravée, avec à la clef jusqu’à 12 ans de prison.
La politique des petits pas tentée par ERC pour obtenir l’élargissement de quelques leaders est demeurée très insatisfaisante, parce que partielle en termes de contenu et du nombre des bénéficiaires. On comprend dès lors combien Junts fait d’une amnistie générale et immédiate une « ligne rouge ». Il s’agit de tourner la page de la judiciarisation du processus catalan, pour jeter les bases de nouveaux rapports politiques. Junts ne veut plus se contenter de promesses, en échange d’un vote d’investiture ou du budget de l’État. « Il faut payer d’avance », dit-il au gouvernement socialiste. Le report de l’investiture au 26 septembre, en raison de la volonté du roi de proposer un tour de piste à Alberto Nuñez Feijóo, nouveau patron du PP, apparaît comme une aubaine. Elle donne du temps aux socialistes pour activer l’ingénierie juridique et faire entendre raison à une opinion espagnole plutôt défavorable.
Quand les Basques et les Catalans font les majorités espagnoles
C’est quasiment une constante de la vie politique du pays. Cinq députés PNV ont permis au socialiste Felipe Gonzalez de gouverner en 1993, puis au PP José Maria Aznar en 1996, et à Mariano Rajoy en 2016.
Au début des années 90, les 17 députés de CiU tenaient la dragée haute aux socialistes, l’influence du PNV avait baissé tant il fut gravement affaibli par la scission d’EA. Le PP conquit le pouvoir en 1996, bien qu’il fut à 20 députés de la majorité absolue. Indispensable était l’apport de CiU, du PNV et de la Coalition canarienne. Cela fit dire triomphalement au leader du PNV Xabier Arzallus : « J’ai davantage obtenu d’Aznar en 14 jours que de Felipe Gonzalez en 13 ans ». Et des Espagnols de commenter amèrement en ces temps de lutte armée : ces salauds de Basques se partagent les rôles, ETA secoue le cocotier et le PNV ramasse les noix. Mais l’exercice a ses limites. Cela ne suffit pas pour que le PNV obtienne le transfert intégral de toutes les compétences contenues dans le statut d’autonomie voté en 1979. Bien qu’en 1996 CiU ait perdu huit députés, il obtint le transfert des compétences sur le trafic routier et de 30 % de l’impôt sur le revenu. Mais il ne parvint jamais au Graal que seuls les Basques détiennent : la collecte de la majeure partie des impôts, grâce à une vieillerie semblant secondaire à l’époque de la Transition, les droits et les institutions forales.
Une telle situation alimente en Espagne la basco et la catalanophobie. Significative est la phrase insultante circulant contre le leader de CiU qui était de petite taille : « Pujol, enano, habla castellano », Pujol, le nain, parle castillan.
Le poids des partis abertzale atteint un sommet en 2019 avec 35 députés. Mais, même avec 34 élus comme en 2011, leur influence peut être nulle, ainsi avec le gouvernement de Mariano Rajoy en 2011 ou celui d’Aznar en 2000. Le PP seul détenait alors la majorité absolue.
L’arrivée du quadripartisme, l’irruption de Ciudadanos à droite et de Podemos à gauche donnèrent un poids supplémentaire aux partis catalans et basques.
Le PP Mariano Rajoy fut élu chef du gouvernement en 2016 grâce à l‘abstention de l’immense majorité des députés socialistes.
Mais en 1998, neuf jours après avoir voté le budget, le PNV tourna casaque pour faire tomber le gouvernement de droite, grâce à une motion de censure.
Les 24 députés abertzale, y compris les Catalans de PDeCat, ont maintenu Pedro Sanchez au pouvoir. Les souverainistes basques enkystés dans la lutte armée, n’ont compris que bien tard le rôle qu’ils pouvaient jouer dans le jeu parlementaire espagnol.