Après une édition féconde à Bayonne il y a cinq ans, qui a inspiré la création de 175 éditions similaires dans le monde, Alternatiba est revenu dans sa ville de naissance avec un nouvel élan, malgré l’urgence climatique plus pressante et une réelle stratégie d’action.
Alternatiba est donc de retour à Bayonne, cinq ans après une édition mémorable qui consigne ainsi, inexorablement, le temps qui passe à clamer l’urgence climatique.
Cinq ans, c’est long lorsque les yeux sont rivés sur le thermomètre de la planète et que chaque dixième de degré promet “un impact majeur sur nos conditions de vie”, disent les scientifiques.
Cinq ans de renoncements des dirigeants de la planète.
Cinq ans aussi d’un incroyable mouvement populaire qui a su créer sa propre dynamique et faire de cet Alternatiba basque une véritable franchise qui a essaimé dans toute la France mais aussi dans d’autres pays européens, en Afrique, dans l’Océan indien ou dans les Caraïbes. 175 éditions en cinq ans.
Et ce sentiment complexe mêlant l’enthousiasme que cette initiative fait naître et l’inquiétude de l’attente du prochain rapport du GIEC (1) qui est tombé ce même week-end des 6 et 7 octobre.
La petite musique lancinante qui sifflote que c’est foutu au plus grand nombre. Et ces 1150 bénévoles qui fanfarent en contre-point dans les rues de Bayonne, avec près de 200 personnalités de premier plan et autant d’artistes, notamment le parrain de cette édition, le sociologue et philosophe Edgar Morin qui, à 97 ans, bat le rappel en exhortant de venir à Alternatiba, “car les circonstances, je crois, l’exigent”.
Que faire de cet enthousiasme ? Et comment s’arrange t-on avec ce défaitisme ambiant, cette catastrophe inéluctable, cette impuissance à renverser la table et à changer le système pour sauver le climat ? Les réponses sont dans un slogan de cette édition, qui promet de “tenter l’impossible pour éviter l’impensable”. Et dans une réelle stratégie qui prend le pari de gagner la bataille de la transition écologique par le terrain, plutôt que grâce à une improbable bonne gouvernance planétaire. Changer d’échelle et boxer sous la ceinture Donald Trump et son climatoscepticisme crasse ou la COP24 (2) qui célèbrera sont quart de siècle d’impuissance dans trois mois. Passer par le bas, en somme, pour contourner le problème. Ce qui tombe d’autant mieux que le terrain commence à s’agiter. Et que les leviers pour entamer une réelle transition écologique ne sont pas seulement dans les mains des Etats mais aussi dans celles des mairies, des régions, des collectivités territoriales, des associations. C’est aussi à cette échelle que les citoyens se mobilisent, dans leur environnement immédiat, contre les projets climaticides, pour des politiques cohérentes de transport, contre le consumérisme, l’extractivisme… Les exemples ne manquent pas au Pays Basque pour évoquer ces mobilisations populaires et esquisser l’ébauche d’un écosystème vertueux. Ni ailleurs, comme en atteste, par exemple, la présence de nombreux maires en ce premier week-end d’octobre à Bayonne.
Rampe de lancement
En ce sens, Alternatiba sert de rampe de lancement aux projets vertueux, comme une bourse aux plantes capables d’essaimer sur tous les territoires des modèles locaux cohérents qui agissent sur l’énergie, l’économie, l’emploi, l’agriculture, la santé et relèvent dans la foulée le pari d’un mieux vivre.
Un système attractif qui porte les germes d’une contamination à grande échelle. Une sorte d’“épidémie”, souhaite même Edgar Morin, qui estime qu’“on n’a pas d’autre arme”. “Il faut faire ce que fait Alternatiba, explique t-il. Il faut prêcher. Et il faut que notre pensée, qui actuellement est minoritaire, devienne épidémique. Il faut une épidémie d’idée. Il faut que nos idées trouvent un élan collectif. Nous sommes obligés de faire ceci, car nous ne pouvons donner de solution miracle”.
Au Pays Basque, cet écosystème se dessine dans les stands d’Alternatiba. Laborantza Ganbara réalise un travail alternatif de chambre d’agriculture en développant une agriculture paysanne respectueuse de l’environnement et soutenable. L’eusko, la monnaie vertueuse et éthique, contribue à recentrer l’économie du Pays Basque et a franchi le cap du million en circulation en devenant la première monnaie complémentaire européenne. Enargia concurrencera bientôt EDF pour fournir, au même tarif, une électricité propre et locale. Koop 57 propose des financements éthiques pour des projets collectifs. Une autre voie est possible à l’échelle d’un environnement immédiat et perceptible, en lien avec une souveraineté et une solidarité retrouvées.
Du local au global
Certes, la planète a besoin d’une solution globale. Elle sera dans l’action locale. En cinq ans, Alternatiba a accompagné une prise de conscience générale qui, à son tour, donne un nouvel élan à cette dynamique. L’édition 2018 d’Alternatiba à Bayonne s’inscrit dans la perspective d’un passage à l’acte, avec un appel massif à l’investissement de chacun sur des défis concrets qui sont autant de projets de territoire. Adhérer à l’eusko, changer de fournisseur d’électricité, soutenir les paysans basques, sont autant d’engagements indolores qui, répétées, changent la donne. “Quelle que soit l’action, lorsqu’il s’agit d’un pari, on n’est pas certain des résultats, prévient cependant Edgar Morin. La situation est dramatique mais nous devons savoir, comme le dit Hubert Reeves, que ‘là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve’’”. C’est avec cette foi qu’Alternatiba espère soulever la montagne. L’urgence climatique aurait pu avoir comme vertu de faire émerger une gouvernance mondiale. C’est peut être une société plus juste qui en devient possible. Car à l’impensable, nul n’est tenu.
(1) Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
(2) La COP24, 24e conférence des parties signataires de la Convention-cadre de l’Onu sur le changement climatique (CCNUCC) aura lieu en décembre en Pologne.