Txetx Etcheveverry co-fondateur de Bizi! et du mouvement Alternatiba a participé depuis trois ans à la dynamique Alternatiba qui a largement contribué aux mobilisations populaires sur l’urgence climatique et la justice sociale durant toute la COP 21, malgré l’état d’urgence. Après six semaines de travail intense à Paris, avant et pendant le sommet Onusien sur le climat, de retour au Pays Basque, Txetx répond aux questions d’Alda! sur cette dynamique climat issue d’Iparralde, sa répercussion importante bien au-delà du Pays Basque, et ses liens avec les dynamiques propres à Euskal Herria.
Quelle a été l’évolution du processus Alternatiba depuis ses origines en 2012 au Pays Basque ?
Dès 2012, en préparant le premier village des alternatives d’octobre 2013 à Bayonne Bizi! voulait en faire un processus qui s’étendrait largement pour créer les bases d’un mouvement climat permanent dans l’Hexagone, voire une partie de l’Europe. Face à la résignation ambiante, laissant croire qu’il n’était pas possible de mobiliser massivement sur le climat, Bizi! a conçu la méthode Alternatiba comme un pari stratégique. A peine deux ans après Alternatiba Bayonne, le bilan est assez étonnant pour une initiative locale. Aujourd’hui on compte 113 Alternatiba en Europe (principalement dans l’Hexagone) et des habitants d’Haïti, du Togo ou de Tunisie commencent à en organiser à leur tour. Durant les 15 jours de la COP21, Alternatiba était une des principales forces militantes sur Paris. Malgré l’état d’urgence qui interdisait les mobilisations climatiques sur la place publique, la génération Alternatiba a participé de manière centrale à l’organisation de la plupart des grandes mobilisations populaires du 29 novembre au 12 décembre, armée d’une même vision stratégique et de nouvelles méthodes de travail ainsi que d’une très grande détermination.
En quoi le fait qu’Alternatiba soit originaire du Pays Basque a pu influencer la méthode Alternatiba ?
La méthode utilisée par Alternatiba s’inspire du logiciel qui caractérise Bizi! depuis son origine, lui-même hérité des luttes et expériences collectives propres au Pays Basque Nord et Sud. Un logiciel radical et pragmatique, rigoureux, exigeant et en même temps ludique, festif, alliant le local et le global, participant aux résistances et dénonciations diverses tout en construisant des propositions et alternatives concrètes ; et se basant sur une stratégie 100% non-violente. En Iparralde, nous sommes structurellement minoritaires par rapport à l’Hexagone et au sein même du département des Pyrénées-Atlantiques. Cela nous oblige à ne pas attendre d’avoir le pouvoir, la majorité pour commencer à régler nos problèmes. Nous ne nous contentons donc pas de revendiquer auprès des pouvoirs publics la solution à nos problèmes. Nous avons pris l’habitude de mettre en marche nous-même les solutions qu’on appelle de nos voeux, à construire nous-mêmes les alternatives qui résolvent les problèmes qu’on a à gérer. Nous sommes porteurs de beaucoup de revendications et de propositions adressées à l’Etat dans le domaine de l’euskara, de l’agriculture, de l’économie. Mais nous avons aussi mis en place des alternatives concrètes comme les Ikastola, les Gau Eskola, les radios en langue basque, la fédération Arrapitz, EHLG, Hemen Herrikoa, l’Eusko, etc. Ces alternatives “font mouvement”, renforcent notre rapport de forces, et du coup les revendications et propositions que nous adressons aux pouvoirs publics. A l’époque du sommet de Copenhague, la stratégie globale misait tout sur un accord international sur le climat, ambitieux, efficace, contraignant et juste. Or, et d’autant plus depuis l’échec de Copenhague, cela plongeait les gens dans un sentiment d’impuissance et de démobilisation car ils se sentaient incapables d’obliger les 195 chefs d’Etat à adopter un accord ambitieux sur le climat. Bizi! a donc proposé un autre angle d’attaque : partir non pas du problème global, des solutions et revendications globales, mais des alternatives concrètes, immédiates, que tout un chacun pouvait rejoindre, impulser, renforcer, à partir de la base. Du coup, les gens se sentaient “une prise” et se mettaient en mouvement. Et la multiplication des mises en mouvement locales, avec ces plus de 100 villages des alternatives au changement climatique, les Alternatiba, a produit une force collective permettant de peser un peu mieux sur les responsables politiques ou économiques d’en haut. La culture même de mobilisation et de lutte très riche en Pays Basque a été une source d’inspiration directe pour les formes d’action impulsées par Bizi et Alternatiba : Alternatiba doit beaucoup aux EHZ ou autres Lurrama, la campagne de réquisition des chaises ou le mouvement Action Non-Violente COP21 puisent notamment dans le répertoire des Démos, le Tour Alternatiba a été largement inspiré par la Korrika… Le bras de fer que nous avons mené à Paris tout au long de la COP21 face à un gouvernement voulant utiliser le traumatisme causé par les attentats du 13 novembre pour interdire toute manifestation pour le climat reposait également beaucoup sur notre habitude des rapports de forces avec des pouvoirs publics intransigeants. Au Pays Basque ce n’est pas parce que l’Etat nous dit “Non” qu’on renonce à le faire quand même.
Mais qu’ont donc en commun la lutte pour la stabilisation du climat et celle pour le Pays Basque ?
Pas mal de médias français m’ont posé cette question et je leur répondais qu’à mes yeux le lien était évident. Que ce soit pour le climat ou pour le Pays Basque, je participe à une même lutte pour la souveraineté des peuples, des territoires, dans un esprit d’ouverture, de solidarité et d’internationalisme dont Alternatiba est un exemple vivant. L’enjeu est de revenir à des modes de production, de consommation, de transport, d’aménagement du territoire plus soutenables, plus ancrés sur la réalité des territoires, plus proches des bassins de vie, des citoyens, nécessitant beaucoup moins de transport ou spécialisation de régions, et au contraire promouvant une diversité, une relocalisation, une souveraineté à la fois alimentaire, énergétique, économique, politique et démocratique. Contrairement au logiciel centralisateur qui affecte des spécialisations à chaque région (porc ici, lait là-bas, céréales ailleurs, machines-outils plus loin, tourisme là-bas etc.) c’est un logiciel tourné vers l’avenir tendant à rendre chaque territoire plus autonome, plus complet et plus résiliant en cas de crise. La transition énergétique elle-même marche sur deux jambes, 100 % compatibles avec les logiciels de décentralisation politique et économique, de fédéralisme, de diversité culturelle et sociale : la sobriété énergétique et les énergies renouvelables. La sobriété énergétique passe par l’isolation des logements, le développement du transport collectif de proximité, la reconversion de l’agriculture industrielle en une agriculture paysanne et durable, la logique de la réparation, du recyclage, du partage et re-emploi des biens matériels, etc. Tout cela permet une gestion au plus près des territoires via une grande décentralisation des ressources, des emplois et des formes d’organisation. La politique d’énergie renouvelable permet d’apporter des réponses différentes selon les caractéristiques et réalités du territoire : centrales hydro-électrique, éolienne, photo-voltaïque, géo-thermie, etc. qui sont gérables à l’échelle la plus proche. Par contre le vieux modèle repose lui sur la concentration de capitaux, d’emplois autour de grands groupes industriels, financiers, de plateformes pétro-chimiques, de centrales nucléaires, demandant dans le même temps centralisation, militarisation, uniformisation et spécialisation qui construisent un autre type de société que celui à laquelle nous aspirons.
Le combat abertzale devrait donc intégrer ces thématiques-là ?
Il le fait déjà et il a tout à y gagner. La bataille du climat, pour la transition sociale et écologique amène de l’eau au moulin de la revendication abertzale. Le combat abertzale est souvent dénoncé comme “la défense de spécificités, du repli sur soi, la revendications de droits ou de privilèges par rapport aux autres territoires”. Or, à mes yeux, il est porteur de logiques et de concepts (souveraineté alimentaire, énergétique, relocalisation de l’économie et de la politique, construction d’un système plus proche des gens, de la réalité du territoire et de la compréhension du citoyen de base) qui sont bons pour notre territoire et notre peuple, mais également pour tous les autres. L’abertzalisme est porteur d’une vision universelle et le projet de société qu’elle sous-tend est à même d’apporter une réponse prenant en compte les différentes crises que subissent les habitants du Pays Basque (d’origine basque ou non). Si le mouvement abertzale veut gagner en soutien populaire, il doit montrer que le logiciel abertzale ne se limite pas à répondre à quelque chose -de très important- comme le besoin d’identité, d’appartenance collective, de projet et de devenir commun mais qu’il apporte également des réponses concrètes aux crises, problèmes que les gens vivent au quotidien : emploi, santé, logement, transport, niveau de vie, environnement, etc.
Quelle sont les perspective du mouvement Alternatiba pour les prochaines années ?
Aujourd’hui Alternatiba est rentré dans une phase intense de débat et de réflexion par rapport à son avenir pour définir les axes de travail, les priorités stratégiques, l’évolution de son organisation et de son fonctionnement pour les années à venir. Les thèmes de discussion sont nombreux : la promotion et le développement des alternatives concrètes au changement climatique, le travail et les propositions au niveau municipal, les campagnes globales telles que le désinvestissement des énergies fossiles ou la souveraineté alimentaire, la stratégie non-violente, la défense des droits et des besoins élémentaires des secteurs les plus vulnérables de la population, l’ancrage dans les quartiers populaires… Nous essayons d’associer à cette réflexion collective les bénévoles des 110 Alternatiba et les nouveaux “cadres” que tout ce processus a fait émerger et a formés. Une coordination exceptionnelle des Alternatiba se réunira à Bordeaux les 20 et 21 février 2016 et validera les pistes d’action et de fonctionnement pour les années à venir.