Alfonso est revenu

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Alfonso Etxegarai

Déporté pendant 33 ans sur l’île de Sao Tomé, en vertu de sombres “procédures d’urgence” des autorités françaises dans les années 80, Alfonso Etxegarai vient d’obtenir, grâce à la pugnacité d’un avocat, son passeport de retour pour une nouvelle vie d’après-guerre…

Vendredi 27 septembre 2019. La nuit tombe doucement sur le Petit Bayonne, dans l’ambiance déjà électrique de petits groupes qui s’agglutinent par grappes dans les bars. Un verre à la main, le regard un peu plus loin, Alfonso Etxegarai improvise un poteo, entouré d’amis. Sa femme, Kristiane Etxaluz est à ses côtés, comme pour reprendre le cours d’un verre qu’ils n’ont pas pu siroter à quelques mètres de là, sur les bords de la Nive, il y a tout juste 12.495 jours. Alfonso est revenu, après 34 ans, deux mois et quinze jours d’exode forcé, de bannissement, de déportation, d’exil que l’on peine à ainsi nommer, de réclusion. Il fait partie des militants basques qui, au milieu des années 80, ont été expulsés par la police française, sans justice, sans forme, sans paperasse et condamnés à croupir dans un vide juridique. Alfonso est de retour après 100 batailles. Ou plutôt, parce que la guerre est finie, il entame une nouvelle vie, avec cette fois des papiers.

Ce vendredi 12 juillet 1985, justement, Alfonso Etxegarai doit renouveler ses papiers à la Sous-Préfecture de Bayonne. Cela fait sept ans qu’il vit dans la cité labourdine, depuis qu’il a participé à un assaut armé contre le projet de centrale nucléaire de Lemoiz, en Biscaye et y a vu tomber l’un de ses camarades. Il choisit la lutte clandestine et se réfugie à Bayonne où se côtoient déjà de nombreux membres d’ETA. Il a 27 ans et aucune inquiétude administrative. Vêtu d’un pantalon beige et d’une chemise à carreaux rouge, il envisage un week-end festif à Ordiarp. Cinq jours plus tôt, le dimanche 7 juillet, Joseba Sarrionandia s’est fait la malle de la prison de Martutene, en musique, pour l’ouverture des San Fermin. Le roi d’Espagne, Juan-Carlos, commence le lendemain une visite officielle de trois jours en France et souligne, lors d’un dîner avec François Mitterrand, “l’ère nouvelle” qui s’ouvre pour les relations entre Paris et Madrid. Au même moment ce lundi soir, la fameuse “tueuse du GAL” ouvre le feu dans le bar Bittor de Ciboure et blesse un réfugié basque. Le roi d’Espagne offre à Mitterrand un ouvrage sur les Droits de l’Homme, illustré par des peintres espagnols, puis Paris et Madrid annoncent le mercredi qu’ils vont “développer et intensifier la coopération existante contre le terrorisme”. Amnesty international vient de publier un rapport, une dizaine de jours auparavant, dénonçant la pratique de la torture en Espagne. Le vendredi, vers 14h, les amis d’Alfonso Etxegarai s’inquiètent de ne pas le voir au Batzoki, l’actuel bar Sankara, pour cet apéro qui sera effectivement reporté pendant 34 ans. Ils s’aperçoivent qu’un homme portant pantalon beige et chemise à carreaux rouge a été arrêté puis relâché. Et comprennent que la police française recherche Alfonso depuis son passage à la Sous-préfecture. Embastillé à Bayonne, il sera rapidement transféré à Paris.

Feu vert à de nouvelles expulsions

Officiellement, Alfonso fait l’objet d’un arrêté d’expulsion depuis cinq mois. Mais à Bayonne, cette version est contestée. L’hebdomadaire Enbata s’interroge : “La police a-t-elle eu besoin de cinq mois pour retrouver Alfonso Etxegarai qui renouvelait régulièrement ses papiers ou cette visite (celle du roi NDLR) a-t-elle donné le feu vert à de nouvelles assignations à résidence, à de nouvelles expulsions et peut-être des extraditions ?” C’est que, depuis le 10 janvier 1984, la France socialiste, qui tergiverse pour autoriser les extraditions en Espagne, applique une “procédure d’urgence” pour expulser les militants basques, en situation régulière sur son territoire, dans des pays lointains. Une procédure d’urgence qui porte bien son nom tant le gouvernement français semble désordonné. Face aux réticences de l’opinion publique, de la justice et jusque dans son propre camp politique, le gouvernement français pare au plus pressé pour dégager la frontière espagnole et créer les conditions d’une entente économique et politique avec l’Espagne. Des procédures plus ou moins argumentées juridiquement, qui finissent par se ralentir au début de l’année 1985. Mais au printemps et à l’été, les visites entre dirigeants français et espagnols deviennent intenses et aux côtés des déclarations de bonnes intensions, leurs applications ne tardent pas à réapparaître. Quinze jours après son arrestation, Alfonso Etxegarai est embarqué, sans passeport ni visa, dans un avion pour l’Equateur où il est maintenu en résidence surveillée. Il ne pourra communiquer qu’un mois plus tard avec ses proches. Il est le 29e militant basque ainsi expulsé. A la fin de l’année 1991, on recensait 54 basques déportés par la France en Algérie, au Cap-Vert, à Cuba, au Panama, en République Dominicaine, à Sao Tomé, au Togo, au Venezuela. 22 autres étaient assignés à résidence, 19 avaient été extradés vers l’Espagne. Et 192 avaient été expulsés selon la procédure “d’urgence absolue(1), nouveauté juridique inventée sous le gouvernement Chirac. Sous cette cohabitation, la police française avait organisé “la grande rafle” du 3 octobre 1987, conduisant à 300 arrestations de militants basques et mettant fin presque instantanément aux agissements du GAL. Puis les extraditions sont devenus la norme, avant le Mandat d’arrêt européen.

Alfonso, après avoir été copieusement torturé par la police espagnole à Quito, avec la complicité des autorités équatorienne, sera finalement déporté sur l’île de Sao Tomé un an plus tard, sans pouvoir obtenir d’identité pendant 33 ans. Comme on laisse un marin coupable sur une île. Il doit son salut à la pugnacité d’un avocat parisien d’origine souletine, François d’Andurain, qui a déposé plainte auprès du tribunal administratif et obtenu, il y a quelques semaines, sa réhabilitation.

De cette vie de banni, Alfonso a conçu une œuvre littéraire, dont le dernier ouvrage, La guerre de 58, sert de trame au documentaire que Josu Martinez lui consacre aujourd’hui. Le jeune réalisateur basque est déjà l’auteur du film Sagarren denbora (2) (“La saison des pommes”) qui, en 2010, racontait la vie d’Alfonso Etxagarai et de Kristiane Etxaluz, un couple qui ne s’est pas lâché la main à 7.000 kilomètres de distance. Et dans ce temps suspendu entre deux verres. Ce que racontent les poteo du Petit Bayonne.

(1) – La cooperación hispano-francesa en la lucha contra ETA. Thèse de doctorat de Sagrario Moran Blanco, Universitad complutense de Madrid.

(2) – Voir le film Sagarren denbora en version originale en cliquant ici.

Quand des basques au Togo posaient “un problème” à la diplomatie française

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Les basques expulsés de France et actuellement au Togo (au nombre de 9) posent un problème qu’il convient de résoudre avant la conférence. Malgré nos assurances, c’est le gouvernement Togolais qui a entièrement subvenu à leurs besoins depuis deux ans. Il conviendrait sans doute de prendre ces dépenses à notre charge si l’on veut éviter que la presse française ne s’empare de cette question.

Cette recommandation, datée du 17 septembre 1986, constitue aujourd’hui l’aveu du vide juridique dans lequel la France gérait le sort des exilés basques. Signée par Michel Chatelais, directeur des Affaires africaines et malgaches au sein du quai d’Orsay, elle s’adresse au ministre français des affaires étrangères, Jean-Bernard Raimond, investi quelques mois plus tôt par un premier ministre de cohabitation, un certain Jacques Chirac. Dans cette note interne de trois pages, qu’Enbata s’est procurée, le directeur des affaires africaines au sein de la diplomatie française prépare un “dîner africain francophone” pour le ministre qui doit rencontrer, le 26 septembre 1986 à New-York, ses homologues d’Afrique francophone, dont une bonne quinzaine lui est encore inconnue. Il lui adresse les biographies des ministres invités, résume l’état des relations dans chaque pays et conclut par cette curieuse recommandation dans la gestion d’un dossier basque hérité d’un gouvernement socialiste. Dommage que le ministre RPR, qui restera deux ans en fonction, ait effectivement évité que la presse ne s’empare de cette question. Sans toutefois régler la note, que ses successeurs devront finalement acquitter cinq ans plus tard avant d’avoir tenté de la présenter aux espagnols.

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