Quatre décennies plus tard, la totalité des compétences prévues par le statut d’autonomie de Gernika n’a toujours pas été transférée par Madrid à la Communauté d’Euskadi. Celle portant sur la gestion des prisons va l’être à compter d’octobre prochain. Qu’est-ce que cela peut changer ou pas pour le Pays Basque ? Voici quelques éclairages à ce sujet.
A ce jour, depuis 1983, la Catalogne est l’unique communauté autonome d’Espagne à assurer la gestion de ses prisons. En effet, lors des dernières décennies, aucune autre autonomie n’a sollicité ce transfert de compétences à l’Etat central, à l’exception bien sûr d’Euskadi à laquelle Madrid avait jusqu’ici, opposé un refus catégorique. Raison, ou plutôt prétexte, invoqué ? La permanence de la lutte armée d’ETA, assimilée à un terrorisme de nature à forcément pervertir le système. Dix ans après la Conférence internationale de Paix d’Aiete — le 17 octobre 2011 à Saint-Sébastien— et la fin définitive de la lutte armée, la donne semble avoir changé !
La Constitution espagnole et le statut d’autonomie de Gernika, respectivement adoptés en 1978 et 1979, avaient pourtant accordé au parlement de Vitoria-Gasteiz et au gouvernement d’Euskadi, la faculté d’exercer des compétences nombreuses et de tous ordres, dès l’instauration du régime constitutionnel post-franquiste. Elles ne leur ont été octroyées qu’au compte-goutte, l’Espagne s’étant refusée à respecter non seulement ses engagements mais surtout la loi en vigueur. La plupart d’entre elles ont ainsi servi de monnaie d’échange et fait l’objet d’âpres marchandages, voire de batailles rangées, menés par les gouvernements successifs d’Euskadi, essentiellement par le Parti nationaliste basque et quelques-uns de ses alliés ponctuels. Tout cela, au gré des circonstances et des aléas politiques, évoluant selon l’arrivée de la droite ou de la gauche au pouvoir à Madrid, en fonction des intérêts immédiats du bipartisme espagnol, de Felipe Gonzalez à Pedro Sanchez, en passant par José Maria Aznar, José Luis Rodriguez Zapatero et Mariano Rajoy au titre de chefs de gouvernement.
La question de la réinsertion
L’accord passé dernièrement, avec Madrid stipule qu’Euskadi assumera la gestion et le suivi des peines infligées à tel ou tel prisonnier, sachant qu’en Espagne (comme en France d’ailleurs) le statut de prisonnier politique n’existe pas en tant que tel. Sachant également que jusqu’ici, les prisonniers d’ETA en particulier, (en Espagne et en France) font encore l’objet de mesures d’exception. Précisons aussi que les prisonniers d’ETA demeurent du moins jusqu’ici, très minoritaires dans les prisons du Pays Basque. Une trentaine seulement, parmi le millier de personnes détenues dans les prisons de Martutene (Gipuzkoa), Basurto (Biscaye) et Zaballa (Alava). Parmi ce millier de reclus figurent aussi une centaine de détenues. Les mesures de rapprochement opérées ces derniers mois par le gouvernement Sanchez, ont surtout permis aux prisonniers d’ETA dispersés en Espagne, d’être rapprochés aux alentours d’Euskadi et de la Navarre plutôt qu’en Pays Basque. Euskadi dont l’intention est d’exercer une “tutelle” plus “humaine” ne pourra pas assumer la définition de la politique carcérale qui reste l’apanage exclusif de l’Etat. L’accord passé doit entrer en vigueur le 1er octobre prochain. Notons qu’obsolète, Martutene (ouverte en 1948), sera détruite pour être remplacée par un nouvel établissement à construire à la charge de l’Etat, situé non plus dans le quartier de Loiola, mais à Zubieta, aux alentours de Saint-Sébastien.
70 millions d’euros
Le gouvernement basque aura donc la main sur l’organisation et le fonctionnement des centres de détention, comme sur les questions relatives au travail en prison, la formation à l’emploi et la réinsertion des ex-détenus. Il s’est doté d’un conseil en la personne du juge Jaime Tapia, très impliqué dans ce domaine. Selon le magistrat, la réinsertion doit (aussi) s’appliquer aux “longues peines”, par le biais notamment de mises en liberté conditionnelle, accessible aux prisonniers bénéficiant du “tercer grado” (1).
La compétence carcérale dévolue à Euskadi, représente un coût de 70 millions d’euros, un contingent de plus de 600 fonctionnaires et autres salariés, qui dépendront de l’administration basque. Elle concerne donc les trois prisons de Saint-Sébastien(2), Bilbao et Vitoria-Gasteiz auxquelles s’ajoute le transfert des murs de la vieille prison de Nanclares(3), abandonnée depuis l’ouverture du macro-centre de détention de Zaballa en 2011. La Navarre qui dispose de son propre statut d’autonomie, n’est pas tout à fait logée à la même enseigne qu’Euskadi. Elle souhaite “travailler son modèle pénitentiaire” en amont et pour le moment, se borner à exercer le “suivi sanitaire” de sa population carcérale, selon un accord passé le 24 mai avec Madrid. L’on compte actuellement 210 prisonniers entre Espagne et France.
La grogne de la droite espagnole
Ce transfert n’est pas du goût des partis de droite (PP, Vox, Ciudadanos), favorables à une involution sévère du système autonomique espagnol. Ils soupçonnent en effet, les autorités basques de vouloir transformer leurs prisons en “passoires” pour prisonniers d’ETA. Deux ou trois autres transferts (beaucoup moins emblématiques) ont été statués par la Commission mixte ad hoc, réunie le 10 mai dernier à Bilbao, autour du vice-lehendakari basque, Josu Erkoreka et du ministre espagnol de Politique territoriale et de la Fonction publique, Miguel Iceta. Reste que le statut de Gernika n’est toujours pas complètement respecté ! 42 ans après ! Manquent toujours à l’appel une brochette de compétences légitimement exigées par Euskadi. La Sécurité sociale en particulier, jugée plus que prioritaire. Sacrée paire de manches à négocier !
(1) Il correspond au statut (3e “grade”) accordé jusqu’ici de façon discrétionnaire aux prisonniers d’ETA, sans réel équivalent en France.
(2) La prison de Martutene a connu l’évasion spectaculaire de Joseba Sarrionandia et Iñaki Pikabea, le 7 juillet 1985, dans le matériel que accompagnait le chanteur Imanol lors d’un concert.
(3) La “Via de Nanclares” a consisté à regrouper les prisonniers d’ETA prêts à renoncer à la lutte armée et à bénéficier de liberté conditionnelle, moyennant demande de pardon et paiement de responsabilité civile à leurs victimes.