La France fut le dernier Etat européen à abolir la peine de mort, au prix d’un débat houleux, mené par Robert Badinter à l’Assemblée Nationale et suivi d’un vote, le 18 septembre 1981. Cette mesure emblématique a néanmoins pour corollaire une réclusion à perpétuité qui peut être rallongée jusqu’à la mort.
En ce mois de septembre 2021, voilà donc la figure de Robert Badinter revenue sur le devant de la scène. C’est en effet à cet homme de 93 ans, aujourd’hui retiré de la vie publique, que la France doit l’abolition de la peine de mort. Le 15 septembre dernier, l’ancien Garde des sceaux, entré dans l’histoire de la Justice française, s’est néanmoins exprimé à l’Assemblée nationale, pour y prôner la nécessité de l’abolition universelle de la peine de mort. La France fut, en 1981, le dernier État européen à se débarrasser de ce lourd fardeau, au prix d’un débat houleux à l’Assemblée Nationale, suivi d’un vote organisé dans l’hémicycle le 18 septembre 1981. 363 voix pour, 117 contre. La guillotine allait ainsi disparaître de notre horizon, sans que, pour autant, notre imaginaire en soit complètement débarrassé. Le discours historique (le 17 septembre 1981, veille du vote décisif), du Garde des Sceaux, nommé par François Mitterrand, avait été l’occasion d’un débat passionné. Le Sénat allait ensuite dédier trois jours de discussions au projet de loi suivi d’un vote : 160 voix pour, 126 contre. La loi fut promulguée le 9 octobre 1981. 40 ans plus tard ? Robert Badinter a, certes, pris des rides, mais n’a rien perdu de ses convictions inamovibles.
Votes au Parlement
“Nul ne peut être condamné à la peine de mort” : tel est l’énoncé de l’article 66-1 qui figure dans la Constitution depuis la promulgation de la loi constitutionnelle du 23 février 2007. Article unique, lapidaire. La réclusion à perpétuité ou la détention à perpétuité (selon la nature du crime incriminé) allait se substituer aux références à la peine de mort, dans tous les textes en vigueur. Son abolition avait figuré parmi les 101 propositions du candidat François Mitterrand à la présidence de la République. Loin de répondre aux attentes d’une majorité de Français, elle y occupait le 56e rang. Le président socialiste qui ne semblait pas des plus intéressés par la portée philosophique de la suppression de la peine capitale sans retour possible, se prononça néanmoins en sa faveur, lors d’un débat télévisé (dirigé par Jean-Pierre Elkabbach et Alain Duhamel) en mars 1981. Débat au fil duquel, le futur chef de l’État déclara être opposé à la peine de mort “dans sa conscience profonde”, en même temps qu’il demandait “une majorité aux Français”. A ce moment-là, les prisons françaises n’abritaient pas moins de cinq condamnés à mort…
10 ans de sa vie
L’avocat Robert Badinter avait consacré la décennie 1970-1981 à se battre contre cette peine de mort à laquelle il fut confronté directement, lors d’un des procès les plus emblématiques des années 70. Procès du duo Claude Buffet-Roger Bontems, accusés en septembre 1971, d’un double assassinat lors d’une tentative d’évasion avec prise d’otages à la prison de Clairvaux. Condamnés à mort. Le juriste avait défendu Roger Bontemps au cours du procès à couteaux tirés qui se déroulait à Troyes. Roger Bontems pour sa part, jurait n’avoir pas participé aux deux meurtres (une infirmière et un gardien de la prison tués), mais en vain. L’avocat fut vilipendé, conspué, menacé (avec sa famille) de représailles dans une atmosphère passionnelle exacerbée, inimaginable aujourd’hui. Un climat que Robert Badinter explique lui-même, du fait du contexte spécifique politique et de l’ordre “moral” qui régnaient à l’époque. L’avocat pensait que Georges Pompidou allait gracier Roger Bontems. Il n’en fut rien. Sa dernière rencontre avec René Bontems, au petit matin de son exécution (le 28 novembre 1972) allait changer le cours de sa vie : “Quand je suis sorti à l’aube, de la prison (…) je me disais : ‘Ce n’est pas possible, jamais plus ! Tant que je pourrai, je combattrai la peine de mort. Une justice qui tue, ce n’est pas la justice(1).” Fort de cette conviction, il allait donc mener, non pas le combat de “sa vie”, mais le combat de “la” vie. L’avocat évoqua sa première rencontre inoubliable avec la guillotine, dans un roman intitulé L’Exécution(2). L’affaire en question fut l’une des grandes affaires des années 70 à soulever les consciences, mais pas la seule. L’affaire tout aussi terrible, autour de Christian Ranucci, jeune homme accusé de l’enlèvement et du meurtre d’une fillette de 8 ans, avait soulevé les consciences. Il fut exécuté en 1976.
Réclusion à perpétuité
L’abolition de la peine de mort a pour corollaire, du moins en France, le concept de réclusion (ou détention) criminelle à perpétuité. Celle-ci peut-elle signifier une “peine de mort” qui ne dit pas son nom ? Cela semble possible, dans la mesure où, du moins en principe, rien dans l’absolu ne semble pouvoir empêcher les juges de prolonger une détention à plus soif, jusqu’à ce que la maladie ou simplement le temps, fasse son oeuvre ultime ? Certains prisonniers de droit commun voient, en effet, leur temps de réclusion prorogé d’année en année, en dépit des clauses de sûreté ayant pu être spécifiées dans les jugements dont ils ont fait l’objet.
Certains prisonniers de droit commun
voient aujourd’hui leur temps de réclusion
prorogé d’année en année,
en dépit des clauses de sûreté ayant pu être spécifiées
dans les jugements dont ils ont fait l’objet.
Tel est notamment le cas des deux plus anciens détenus d’ETA, Ion Parot et Jakes Esnal (de nationalité française, considérés comme détenus de droit commun par l’Etat français), actuellement dans leur 32e année de prison. Tous deux bénéficiaient de clauses de sûreté, révolues depuis des années. Mais à ce jour, toutes leurs demandes de liberté conditionnelle ont été refusées.
(1) Propos tenus par Robert Badinter, diffusée par l’hebdomadaire Le 1 hebdo du 15 septembre 2021.
(2) L’Exécution, l’un des ouvrages de Robert Badinter parus après le procès.