La crise qui oppose les pêcheurs aux défenseurs de l’environnement masque les maux véritables qui affectent la profession et l’absence de vision stratégique durable pour cette économie.
Il va bien falloir, un jour ou l’autre, cesser de mettre tous les pêcheurs dans le même filet. Non pas pour opposer les uns aux autres —les forçats de la mer ont déjà suffisamment à faire —, mais enfin, parler de « la pêche » ou « des pêcheurs », comme le fait le secrétaire d’État chargé de la mer, Hervé Berville, interpelle sérieusement quant à ses capacités à résoudre les problèmes actuels de la profession. Il est d’ailleurs étonnant qu’en Pays Basque, où a émergé une conscience de l’agriculture paysanne face à l’agriculture industrielle, la pêcherie reste dans le vague, tantôt exaltée par un passé glorieux de chasseurs de baleines, ou plus récemment fustigée pour le génocide supposé de sympathiques dauphins. Il ne s’agit pas ici de revenir sur la surpêche des baleines franches ni même de trancher sur les causes de l’échouage de 900 dauphins sur le littoral français cet hiver ou même, sur la ressource de cette espèce protégée depuis le milieu des années 70. Plutôt de constater que les polémiques n’en finissent pas de nous rappeler que les pêcheurs basques sont en voie d’extinction, aussi sûrement que les ressources halieutiques. Et qu’il faut bien différencier, dans ce lent naufrage, les troisièmes classes à fond de cale des huiles des ponts supérieurs, une pêche artisanale et durable d’une pêche industrielle aussi néfaste pour l’environnement que pour la ressource.
Productivisme
Sur le papier, l’affaire a l’air simple mais dans la réalité, c’est encore le productivisme qui tire son épingle du jeu. Comme dans le monde agricole, le gros poisson est aidé au détriment du petit, quel qu’en soit le coût environnemental. La récente crise qui a secoué le monde de la pêche, conduisant les professionnels à organiser blocage et « journée morte » en cette fin mars — notamment à Bayonne et à Saint-Jean-de-Luz —, n’a pas fait émerger dans le débat cette dichotomie. Les professionnels dénonçaient des « réglementations européennes inadaptées », notamment la récente interdiction de la pêche de fond dans les aires marines protégées d’ici à 2030, le prix du gazole, la fermeture de certaines zones de pêche en Atlantique afin de préserver les dauphins et, in fine, le « désengagement » de l’État. Le secrétaire d’État chargé de la mer, Hervé Berville, a fait mine d’avoir « obtenu » un assouplissement de Bruxelles quant il ne s’agissait en fait que de propositions, pour l’instant non-contraignantes. Une façon de regarder ailleurs en attendant la catastrophe. La Commission européenne a présenté en février un plan d’action « pour une pêche durable et résiliente » visant à mettre en œuvre l’engagement européen à « protéger juridiquement et efficacement » 30% des mers. Parmi les mesures préconisées, figure la suppression progressive d’ici à 2030 des engins de fond mobiles, tels que les chaluts, les dragues, les palangres ou les casiers, dans toutes les aires protégées. Concernant les dauphins, c’est le Conseil d’État qui somme le gouvernement français d’agir d’ici septembre pour protéger une espèce en « danger sérieux d’extinction, au moins régionalement ». Là encore, le secrétariat d’État à la mer rechigne à fermer des zones de pêche en prétendant défendre un artisanat, ce qui soulage bien nos pêcheurs basques.
Différence de taille
Mais entre les fileyeurs ou les ligneurs de Saint-Jean-de-Luz, qui constituent l’essentiel de la flotte basque et les chalutiers pélagiques géants de 80 à 140 mètres qui longent les côtes françaises, la différence est de taille et même un dauphin comprendrait qu’ils n’ont pas le même impact. Il y a désormais urgence à assumer cette distinction. Au jeu des quotas de pêche ou des subventions, qui privilégient encore la pêche industrielle, il convient aujourd’hui de développer un mode de pêche soutenable, artisanal, qui préserve la ressource et même la planète. Une façon de récompenser les bons élèves et de valoriser la petite pêche côtière, plus vertueuse, y compris en termes économiques puisqu’elle génère davantage d’emplois et reste moins consommatrice de gasoil. Cette vision stratégique, qui fait si cruellement défaut, pourrait permettre de distribuer les quotas de pêche en fonction de l’utilité sociale et environnementale des navires, quand ils sont aujourd’hui accaparés par les bateaux industriels géants. C’est le propos par exemple du directeur du pôle halieutique mer et littoral Didier Gascuel. Dans un essai intitulé La pêchécologie, le chercheur défend l’idée d’une « agroécologie pour l’océan », afin de sauver les mers des dérives de la pêche et finalement la pêche elle-même. Mais comme pour l’agriculture, qui ne parvient pas à se débarrasser d’un modèle productiviste désastreux et nuisible, le salut vient peut-être d’en bas et d’un soutien social pour une pêche basque vertueuse qui n’a aucune raison de ne pas défendre son environnement.
C’est vrai qu’en Pays Basque Nord, où l’agriculture paysanne s’est organisée pour survivre, pour faire face à l’industrialisation et proposer un modèle plus viable, la pêche est beaucoup plus abandonnée et les ports du Lapurdi ont triste mine quand on les compare aux cartes postales d’il y a 40 ans.
En EAE on pourrait presque dire que c’est l’inverse: un exode rural plus précoce et massif, des terres beaucoup plus concentrées sur un nombre d’exploitations réduit (notamment en Araba), tandis que pour la flotte locale de Gipuzkoa et Bizkaia le gouvernement local a toujours activement soutenu les modes de pêche traditionnelle (bolintx, appât vivant et ligne de traîne), créateurs de plus d’emploi par tonne débarquée et ne causant pas de capture accidentelle de cétacés. Par exemple entre 1990 et 2001 le gouvernement d’EAE a aidé le secteur à hauteur de 138 M€, chiffre qui laisse rêveur à Ciboure où on était déjà dans les oubliettes, faute de soutien local.
Pourtant c’est à Ciboure en 1947 que la pêche à l’appât vivant dans le Golfe de Gascogne a commencé, pourquoi est-elle si relictuelle aujourd’hui? 4 bateaux en tout pour le quartier de Bayonne, dont un subventionné comme monument historique.
Outre l’abandon institutionnel dont Iparralde paie le prix fort, une autre erreur fut de vouloir voir trop grand et trop loin, quitte à délaisser la petite pêche moins spectaculaire. La technique de l’appât vivant a beaucoup augmenté la capacité de la flotte dans les années 1950, on a construit beaucoup de bateaux, très vite on a voulu aller pêcher aussi l’hiver à Dakar, puis passer des canneurs aux senneurs congélateurs, puis s’étendre de l’Atlantique à l’Océan Indien, en emmenant les Bermeotar et les Concarnois dans le sillage. Le secteur de la conserverie demandait plus de tonnage à des prix plus bas, dans la même logique qui a mené à l’élevage industriel et à la faillite de nombreuses petites fermes ne pouvant rivaliser en quantitatif. “Petit Navire” est fourni par des bateaux de 110m de long.
Dans ce contexte, et dans la même logique industrielle, la France a favorisé dans le Golfe de Gascogne le chalut pélagique et le filet maillant dérivant (interdit ensuite depuis 2002) pour débarquer autant avec moins de marins, et avec de grosses externalités négatives sur le milieu dont ces fameuses mortalités de dauphins.
Ce panorama met en lumière que face à l’idéologie de la croissance à tout prix, il faut des organisations locales fortes (comme les kofradia) et des instances décisionnaires locales fortes, les premières poussant les secondes dans le sens du maintien d’une activité génératrice de redistribution. Nous n’avions ni l’une ni l’autre en Lapurdi, mais la fin de l’histoire n’est pas encore écrite.