Garant de l’indivisibilité de l’Espagne, le monarque fait le job en 13 minutes et 38 secondes.
La « convivencia », le vivre ensemble se détériorent dans le pays, dit Felipe VI le 24 décembre à l’adresse de ses sujets du royaume d’Espagne. En cause, les nations périphériques qui réclament leur souveraineté et l’énorme crise institutionnelle qui en découle. Le pouvoir judiciaire aux mains de la droite bloque les décisions du pouvoir législatif aux mains de la gauche. La patrie est en danger, ses institutions, sa Constitution aussi parfaites qu’immuables ne fonctionnent pas. Mais le roi très malin ne le dit pas comme ça. Pour clamer l’unité de la nation espagnole, il se garde de hurler « Una, grande, libre, arriba España », comme au bon vieux temps du Caudillo. Il préfère évoquer le nécessaire vivre ensemble, la « convivencia ». Cela veut dire la même chose, mais a l’avantage de masquer le nationalisme du discours. Dans l’enfer des intentions dont il est pavé, le nationalisme espagnol s’avance masqué, comme son homologue français qui use et abuse du mot république pour dire la France. Concernant la pratique gouvernementale, autre chanson. La convivencia est la domination d’un peuple et son Etat sur d’autres.
Le roi poursuit : « Un pays, une société divisés où règnent la confrontation n’avancent pas, ne progressent pas, ne résolvent pas correctement leurs problèmes, ne génèrent pas la confiance. La division rend plus fragile les démocraties, l’union au contraire les fortifie ».
Comme d’hab, le diviseur est dans le camp d’en face. Cette Constitution que nous n’avons pas votée, verrouille le débat, la confrontation démocratique. Le droit de vote a ses limites. On l’a vu en Catalogne avec l’interdiction des référendums, la condamnation, l’exil, l’incarcération de toute une génération politique. En somme, une démocratie espagnole encadrée, bridée, pourquoi pas un bon régime autoritaire, sont tellement plus confortables et efficaces pour garantir la « convivencia »… C’est là tous le sens subliminal du discours du monarque à son bon peuple prié d’applaudir.
Le député EHBildu Jon Iñarratu le remarque, le discours du roi brille par ses vides, ses silences sur tout ce qui a marqué 2022. Pas un mot sur la tragédie de l’encave de Melilla et sa trentaine de réfugiés morts en juin. Ces gens-là n’étaient même pas des Espagnols, donc sans grand intérêt. Pas un mot sur la violation des libertés publiques fondamentales par l’usage généralisé du logiciel espion israélien Pegasus dans les téléphones des leaders d’opposition les plus en vue. Il était installé par les services secrets du gouvernement et sur ordre. Silence radio sur l’inviolabilité de l’ex-roi, suite aux détournements financiers et aux frasques matrimoniales de Juan Carlos I.
Plus soft mais ne lâchant rien, Aitor Esteban, porte-parole du PNV au parlement esoagnol, demande au roi de « s’adapter à son époque » et d’accepter « la réalité des nations, ce qui implique les changements constitutionnels que nous avons proposés ». C’est-à-dire la reconnaissance d’un pouvoir de décider négocié, en lien avec les droits historiques, la suppression de l’article 155 de la Constitution qui permet à Madrid de suspendre un statut d’autonomie, ainsi que celle de l’article 8 qui fait de l’armée le garant de l’unité de l’Espagne.
La palme de la réplique revient au porte-parole d’Esquerra Republicana de Catalunya, Gabriel Rufián. Il affiche une photo du futur Felipe VI enfant, en train de saluer Francisco Franco, en présence de Juan Carlos : « N’oublions pas nos origines », se borne-t-il à écrire en légende. Franco est le seul Espagnol qui a élu Felipe VI.